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Gignac, vu d’ailleurs
En cette semaine internationale, André-Pierre Gignac traverse l’Atlantique et revient, comme en novembre dernier, à Clairefontaine dans l’espoir de se faire une place dans les 23 de Didier Deschamps pour l’Euro en juin. Car, cet été, APG n’a pas envie de farniente et rêve d’un ciel bleu, pas du côté du Mexique, mais plutôt au-dessus du Stade de France. Pourtant, parfois, les vacances au soleil vous font tirer des plans sur la comète, vous invitant à rêver à un futur meilleur. André-Pierre, lui, est déjà passé du rêve à la réalité à l’été 2015. Et depuis plus de huit mois, les boules de feu, il les envoie au fond des filets adverses, en mode célébration à la Dragon Ball Z, pour s’imposer comme une référence sportive dans le championnat mexicain et faire taire les sceptiques européens. Mais comment les Mexicains perçoivent ce conquistador d’un genre nouveau ?
Drague 2.0 dans les pas d’El Patrulla
Les Tigres n’ont gagné que quatre titres de champion dans leur histoire sans jamais avoir une figure de proue qui ait pu laisser une trace indélébile dans les mémoires des aficionados felinos. Seul le Péruvien Gerónimo Barbadillo, aka « El patrulla » , mythique numéro 7, avait marqué les esprits, entre 1975 et 1982, avec deux titres de champions et une coupe du Mexique, premier titre de l’histoire du club. Depuis, plus grand-chose à se mettre sous la dent… Gignac, lui, a réussi à devenir, en quelques mois à peine, LA référence pour toute une nouvelle génération de supporters du club auriazul.
Tout est pourtant parti d’un simple follow d’APG aux comptes Twitter et Instagram des Tigres lors de ses vacances en juin dernier à Cancún. À partir de cet instant-là, les spéculations sont allées bon train, même si de nombreux observateurs mexicains ou français ne pensaient pas qu’un joueur qui venait de réaliser une de ses plus belles saisons en Ligue 1, et qui était libre de s’engager dans le club européen de son choix (Lyon, Galatasaray ou un nouveau riche club anglais), puisse signer dans un club de l’autre côté de l’Atlantique en juillet. La surprise fut donc de taille, surtout qu’APG n’a pas signé chez le richissime club de la capitale Club América, l’un des plus titrés et populaires du pays, mais dans un club moins huppé : chez les Tigres de Monterrey, dans la mégalopole industrielle de plus de quatre millions d’habitants du nord du pays.
Dédé, premier non-retraité
Le championnat mexicain avait pour habitude d’accueillir jusqu’alors d’anciennes gloires mondiales en préretraite, comme Ronaldinho il y a peu, ou Michel avant lui (à Celaya en 96-97), un cimetière des éléphants en quelque sorte. En rejoignant le championnat mexicain au sommet de sa forme, APG vient rompre cette dynamique mortifère : « L’arrivée de Gignac est importante à plusieurs niveaux » , explique Bruno Valencia, correspondant pour les chaînes TDN et Univisión en Europe. Par rapport au championnat mexicain, cela « démontre qu’un joueur international européen de moins de trente ans peut jouer en LigaMX (championnat mexicain), qu’il peut maintenir son niveau de jeu dans ce championnat et donc être encore appelé en sélection » . Et c’est aussi l’occasion de « montrer au reste du monde qu’il y a au Mexique de beaux stades, des clubs structurés et un championnat intéressant » . Dans cette histoire entre Gignac et le Mexique, c’est donc du gagnant-gagnant depuis le départ. En fait, c’est aussi un peu « coup de foudre… à Monterrey » : « Gignac, c’est un crack dans tous les sens du terme ! C’est notre joueur numéro un, celui qui a permis à Tigres de revenir sur le devant de la scène nationale et internationale. En plus, on a l’impression que tous ses buts sont des golazos! Il est vraiment spectaculaire ! » s’enflamme Eder Jacob Gonzalez Rocha, supporter affublé de la playera des Tigres.
Jorge Rosales Medina, qui suit l’équipe des Tigres au quotidien pour l’agence Pressport à Monterrey, ne dit pas autre chose : « Gignac est arrivé en étant au sommet de sa carrière et cela s’est directement vu sur le terrain par rapport à ses capacités footballistiques, et du coup, les supporters en tout de suite accroché. » La simplicité et le sourire du Français ont facilité son adaptation express : « Alors que c’est un joueur connu, il ne se comporte pas comme une star, il est accessible et humble, que ce soit avec ses coéquipiers où avec les supporters. » Ses supporters le lui rendent bien, puisque neuf maillots sur dix que l’on peut voir dans les rues des villes sont floqués du nom du numéro 10 français. « L’image qu’il renvoie est vraiment positive sur le terrain et en dehors » , ajoute Bruno Valencia, car « en plus d’être une référence sportive pour l’équipe, les supporters savent qu’ils peuvent le rencontrer en ville et qu’il leur offrira de son temps » . Ou un peu de son argent et de son influence, comme lors de cette rencontre nocturne surréaliste durant laquelle APG a plaidé la cause auprès des policiers d’un groupe de jeunes supporters des Tigres dont la voiture allait partir à la fourrière ! Il a également payé une partie de l’amende… Royal Gignac !
Tout le monde veut son Gignac
APG a donc déjà conquis le Mexique et a permis à la LigaMX d’être vue sous un jour nouveau, depuis la France en tout cas pour commencer. Car la « mode Gignac » a touché les autres club du championnat comme nous l’explique Jorge Rosales : « Maintenant, chaque club veut trouver « son Gignac » en Europe, et les recrutements en ce sens se sont multipliés : Pachuca avec Ruben Botta, Rayados avec Funes Mori et Walter Gargano, Atlas avec Bergessio, Cruz Azul avec Víctor Vázquez… C’est quelque chose qui n’existait pas vraiment avant et qui est lié au succès de Gignac avec les Tigres. Il a ouvert une porte. C’est un phénomène qui peut permettre au championnat mexicain de grandir et de s’améliorer. »
Surtout si, comme le prévoit Alejandra Juárez, reporter chez Univisión, « Gignac va tomber sous le charme du Mexique et s’y sentira comme chez lui, comme la majorité des joueurs étrangers. Pourquoi ? Grâce à la beauté du pays, l’accueil des gens et… la nourriture mexicaine ! » C’est sûr que si on attaque Dédé par les sentiments… Mais quelques tacos peuvent-ils suffire à attirer d’autres joueurs du calibre de Gignac en LigaMX ? Il en faudra sûrement plus, et pas que des tacos : « Le Mexique, à cause de son système économique, ne peut pas payer de gros salaires à plusieurs joueurs. Avec le change peso-euro, chaque club ne peut s’offrir le luxe d’avoir qu’un, ou deux joueurs grand maximum, qui touchent leur salaire en euros » , analyse Bruno Valencia. En tout cas, si les joueurs européens ne suivent pas tous la route tracée par l’ancien goleador marseillais dans les saisons à venir, il y en a un qui s’y prépare déjà : Eden, le dernier né de la famille Gignac. Né au Mexique, il a été présenté par son géniteur André-Pierre comme « futuro delantero del Tri » (futur attaquant de la sélection du Mexique) sur les réseaux sociaux. Son Goku Junior reviendra peut-être donc sur terre… sous un autre maillot tricolore. Comme quoi, pas besoin d’être en vacances pour tirer des plans sur la comète.
Par Benjamin Laguerre