- Ligue des champions
- 1re journée
- Manchester City/Juventus (1-2)
Gigi l’amoureux, Gigi le monstrueux
Face au Chievo, samedi, il a été énorme. Face à Manchester City, ce mardi, il a encore été énorme. Si Pirlo est parti, le gardien du temple Buffon, lui, est toujours là. Et il n'a pas l'air d'avoir envie de vieillir.
L’horloge du stadio Tardini affiche la 18e minute de la seconde période. Moment choisi par Ronaldo pour s’emparer du ballon et filer seul au but en vitesse. Le Brésilien est fauché par Ze Maria dans la surface. Monsieur Rodomonti désigne le point de penalty. Le ralenti ne semble pas franchement lui donner raison, mais qu’importe. Ronaldo doit marquer. Le score est alors de 0-0, l’Inter deuxième de Serie A à quatre points d’une Juventus qui est en train de se casser les dents sur la pelouse de l’Udinese. Une victoire à Parme, cinquième au coup d’envoi, et l’Inter reviendrait à deux points du leader bianconero. Oui, sauf qu’entre les Nerazzurri et le rêve du Scudetto, il y a un homme. Un gardien qui a fêté ses 20 ans un mois plus tôt. Un grand espoir du foot italien qui répond au nom de Gianluigi Buffon. Ronaldo pose son ballon, et choisit le côté droit. Buffon se détend, et repousse la tentative du Fenomeno. Poing levé, il exulte face à la Curva parmesane en s’accrochant au grillage. Douze minutes plus tard, Hernán Crespo délivre le Tardini d’une frappe du gauche à bout portant sous la barre. 1-0, Parme s’impose, l’Inter est reléguée à cinq points de la Juve, et se fait même dépasser au classement par la Lazio. Ce jour-là, tous les regards sont pour le jeune Gigi Buffon, qui célèbre la victoire en arborant sur la pelouse un T-shirt de Superman. Prétentieux ? Non, juste un résumé anticipé de la suite de sa carrière.
Gardien de la nation
L’horloge de l’Etihad affiche la 18e minute de la seconde période, encore. Moment choisi par Manchester City pour enfoncer une Juventus qui a un genou à terre. Raheem Sterling se présente seul face à Gigi Buffon. Sa frappe du gauche semble destinée à finir au fond, mais Buffon se couche et repousse d’une main ferme. Le portier de 20 ans, jeune et en pleine force de l’âge, a le temps de se relever et de détourner en corner la frappe à bout portant de David Silva. 20 ans ? Ah non. Nous ne sommes plus en 1998, mais en 2015. 17 années se sont écoulées, Gigi a désormais 37 ans, mais le temps des horloges semble s’être arrêté pour lui. Un homme qui ne connaît pas le terme « être au sommet de sa carrière » , car sa carrière toute entière est un sommet. Un col sur lequel les meilleurs alpinistes se sont perdus. Zidane, entre autres, y a laissé son rêve d’une deuxième Coupe du monde lorsque San Gigi s’est envolé pour détourner au-dessus de sa barre un coup de casque qui aurait propulsé le double Z vers l’Éternel. Recoba, lui, se réveille parfois encore en sueur, la nuit, en pensant que sa frappe du gauche est allée se loger dans la lucarne…
« Buffon strepitoso » (magnifique), « Buffon mostruoso » (monstrueux), « Buffon fenomeno » (phénomène). Tous les commentateurs italiens, de Bruno Pizzul à Fabio Caressa, ont déjà utilisé leurs plus beaux superlatifs pour définir leur Gigi national. Tellement national que Buffon est aujourd’hui le seul joueur applaudi sur toutes les pelouses de Serie A. Là où des légendes comme Totti sont adulées chez elles et huées sur les autres pelouses, Buffon, lui, reçoit des ovations partout. Et les rend. En avril 2013, il s’était même rendu sous le virage Nord du stadio Olimpico après une victoire 2-0 de la Juve pour saluer les tifosi de la Lazio, qu’il dit « beaucoup estimer » . Gardien de Parme, gardien de la Juve, gardien de la Nazionale, gardien de la patrie. S’il n’a connu que trois maillots dans toute sa carrière, Buffon appartient un peu à tous les Italiens. Il est un porte-étendard, un leader qui ne fléchit jamais. « Ma noi abbiamo Buffon. » « Mais nous, nous avons Buffon » , s’était exclamé Caressa pendant le Mondial 2014, après une parade monstrueuse face à Luis Suárez. Comme pour dire, « nous, nous avons notre indéfectible général » . Gigi a disputé les finales de toutes les compétitions. Mondial, Euro, Ligue des champions, Coupe UEFA. Il en a gagné, il en a perdu. Sans jamais broncher, sans jamais se plaindre. Et sans jamais connaître de contrecoup.
Vers un sixième Mondial ?
Quelque part, Buffon est encore le dernier vestige d’un football italien que beaucoup regrettent. Une Serie A dans laquelle évoluaient, en même temps, Ronaldo, Batistuta, Vieri, Salas, Inzaghi, Del Piero, Totti, Baggio, Bierhoff, Mancini, Crespo, Veron, Signori, Montella, Rui Costa, et bien d’autres. Toutes ces légendes, hormis Del Piero (qui coule des jours heureux en attendant la deuxième édition de l’Indian Super League) et Totti (de plus en plus cantonné au banc de touche) ont désormais raccroché. Ils sont entraîneurs, présidents de club ou consultants. Buffon, lui, est toujours là. Titulaire inamovible dans la meilleure équipe d’Italie, champion sur et en dehors du terrain, il a même apporté un vent de fraîcheur dans sa vie personnelle en se séparant de sa femme l’année dernière, et en se mettant en couple avec la présentatrice de Sky Ilaria D’Amico. De quoi faire la Une des journaux people italiens pendant plusieurs mois…
Une déferlante médiatique à laquelle Buffon n’a pas réagi, demandant juste « un minimum de respect de sa vie privée » . Le mec est au-dessus de tout ça. Il préfère se concentrer sur ses objectifs sportifs. Et à 37 ans, il en a encore. Déjà, l’Euro en France. En 2000, il était blessé et avait regardé depuis son canapé Toldo réaliser ses exploits. En 2012, il avait échoué face à l’Espagne en finale. Ce trophée manque à son palmarès, tout comme la Ligue des champions, qu’il a caressée à deux reprises en 2003 et 2015. Mais au vrai, Gigi cultive un rêve au fond de lui. Il voudrait être de la partie en Russie, en 2018. Il aura 40 ans, l’âge qu’avait Dino Zoff, le portier auquel il a tant été comparé à ses débuts, lorsqu’il a remporté le Mondial 82. Si Gigi défend les cages de la Nazionale en 2018, il deviendra le premier joueur de l’histoire à prendre part à six phases finales de Coupe du monde : 1998 (troisième gardien), 2002, 2006, 2010, 2014 et 2018. Non, Gigi n’avait dupé personne : le T-shirt de Superman est bel et bien sa deuxième peau.
Par Éric Maggiori