- Ballon d’or FIFA 2015
- Billet d'humeur
Gigi, c’est toi qui le mérites, ce Ballon d’or
Dans quelques heures, Lionel Messi devrait recevoir son 5e Ballon d’or. Pourtant, cette année, c'est Gigi Buffon qui aurait dû le gagner. Voilà pourquoi.
Une main innocente prend l’enveloppe dans ses mains. Délicatement, elle en déchire la partie supérieure, pour en retirer une carte qui contient le nom de l’heureux élu. Les yeux se posent alors sur ce nom, le silence règne, et enfin, les deux mots résonnent : « Gianluigi Buffon » . Tonnerre d’applaudissements. Gigi, en costard noir et blanc, barbe de trois jours savamment négligée, cheveux peignés au Pento en arrière, se lève de son siège, sourire aux lèvres. Il s’avance sur la scène principale. Dans sa tête, tout défile en quelques secondes. Son penalty arrêté contre l’Inter en 1997. Sa première sélection avec la Nazionale. La Coupe UEFA gagnée avec Parme en 1999. La signature à la Juventus. Le premier Scudetto. L’arrêt sur le missile de Podolski lors du Mondial 2006. Celui sur la tête de Zidane, évidemment. La Serie B, la renaissance de la Juve. La finale de l’Euro 2012, celle de la Ligue des champions 2015.
Gigi s’avance et se pose derrière le pupitre. Qu’il est beau, bordel. Il n’a pas encore saisi le Ballon d’or, il le contemple, il n’ose pas. Les applaudissements cessent, on attend ses paroles comme on attend celles du pape lors de la messe du dimanche au Vatican. « C’est un rêve qui se réalise. Je ne pensais pas qu’un gardien pourrait gagner à nouveau un jour le Ballon d’or. Je suis fier. Fier de ce que j’ai accompli, fier d’être italien. Ce trophée est pour tous ceux qui croient en eux. Merci, merci. » Nouvelle salve d’applaudissements. Cette fois-ci, Gigi n’a plus peur. Il s’empare du globe doré et le brandit face à une foule toute acquise à sa cause. C’est un moment unique où le temps s’arrête. Malheureusement, cette scène, aussi parfaite et romantique soit-elle, n’aura jamais lieu. Et pourtant, Dieu sait que tout amoureux du ballon rond rêverait d’y assister. Rien qu’une fois.
Meilleur gardien de la décennie et du siècle
Non, Gigi Buffon ne gagnera pas le Ballon d’or en 2015. Il n’est même pas dans le trio de tête. D’ailleurs, vous savez quoi, il n’est même pas dans la liste des 23. Bah, c’est vrai, quoi, qu’a-t-il fait en 2015 pour oser prétendre à pointer le bout de son nez dans cette prestigieuse liste où figurent des joueurs qui ont tout raflé en 2015 comme Yaya Touré ou Kevin De Bruyne ? Il a gagné le Scudetto ? Et alors ? Il a gagné la Coupe d’Italie ? Et alors ? Il est invaincu avec la Nazionale et s’est qualifié pour l’Euro ? Et alors ? Ah, il a même atteint la finale de la Ligue des champions en écœurant en demi-finale le Real Madrid ? Et alors ? Il est allé encore plus loin en battant à lui seul à deux reprises Manchester City ? Et alors ? Tout le monde est en mesure de faire tout ça, ce n’est en rien un exploit, surtout lorsque l’on a 37 ans.
Trêve de sarcasme, c’est évidemment un scandale que Gigi ne figure pas dans la liste des 23. Nous, on lui aurait même donné, ce Ballon d’or 2015. Pour son année 2015, d’abord, mais aussi pour l’ensemble de son œuvre. Car, rappelons-le, Buffon, c’est déjà un palmarès ahurissant. Six titres de champion d’Italie (huit sur la pelouse), deux Coupes d’Italie, six Supercoupes d’Italie, une Coupe UEFA, deux finales de C1, une Coupe du monde, élu huit fois meilleur gardien de Serie A, quatre fois meilleur gardien du monde, une fois meilleur gardien de la décennie, et même une fois meilleur gardien du siècle par l’IFFHS. Il est le joueur le plus capé de l’histoire de la Nazionale italienne, le joueur comptant le plus de présences lors de l’Euro (54), le joueur à avoir joué le plus de minutes dans l’histoire de la Juventus, et l’un des trois seuls joueurs à avoir disputé cinq phases finales de Coupe du monde avec, forcément, un œil à l’horizon vers sa sixième, en 2018. Mais bon, les statistiques, on s’en fout, non ? Puisque ce qui compte, visiblement, c’est juste de savoir qui a marqué le plus de buts cette année.
MSN ? BBC ? Non, juste Gigi
Le plus fou, avec Buffon, c’est qu’il ne subit pas le poids des années. Depuis le début de sa carrière, les autres pays ont tous vu des générations de gardiens se succéder. Lloris a remplacé Barthez, Neuer a remplacé Kahn, De Gea a remplacé Casillas, Hart a remplacé Seaman… Et qui a remplacé Buffon ? Personne. Parce qu’à 37 ans, il est toujours le numéro 1 en Italie. Pourtant, de nombreux gardiens se sont bousculés pour venir lui chiper sa place. De Marchetti à Sirigu, en passant par tous les petits nouveaux : Perin, Sportiello, Leali, Sepe… Aucun n’est parvenu à inquiéter le maître. En 2015, il a affiché un niveau extraordinaire. On l’a vu faire des miracles en Ligue des champions face au Real Madrid, face à Manchester City, et même en finale face au Barça. Souvenez-vous de cette parade de malade sur la frappe à bout portant de Dani Alves…
En Serie A, même musique. Gigi a été monstrueux de janvier à décembre, et ce n’est pas un hasard si, sur l’année civile 2015, la Juventus n’a encaissé que 31 buts en 39 matchs. Les joueurs du Chievo se demandent d’ailleurs encore comment il a pu sortir cette frappe de Bostjan Cesar.
Alors oui, Buffon ne marque pas des triplés à chaque match. Buffon ne montre pas ses pectoraux pour exprimer sa joie. Buffon ne fait partie ni d’une MSN ni d’une BBC. Il est juste gardien. Gardien de la Juventus. Gardien de l’Italie. Gardien de la nation. Gardien de la patrie. Gardien du temple. Il ne gagnera donc pas le Ballon d’or en 2015, ni en 2016, ni en 2017. Pourtant, Gigi Buffon est, en talent, charisme, élégance, haut niveau sur la durée, au moins aussi fort, voire meilleur que Fabio Cannavaro, Roberto Baggio, Paolo Rossi, Gianni Rivera et Omar Sivori, les cinq autres Italiens à avoir posé le globe doré sur leur cheminée. Non, Gigi, tu n’auras pas le Ballon d’or, mais nous, on te le donne. Parce que tu le mérites tellement. Et aussi pour t’imaginer te lever, en costard noir et blanc, barbe de trois jours savamment négligée, cheveux peignés au Pento en arrière et sourire aux lèvres. Gigi, bello mio…
Par Éric Maggiori