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Gigi, c’est fini
Il était censé être immortel, pourtant, cette fois, c'est la fin. Épargné par le passage du temps, Gianluigi Buffon va laisser sa place dans les cages de la Nazionale après 175 sélections. Une équipe qui n'a malheureusement pas su aussi bien vieillir que son emblématique portier.
Il y avait quelque chose de déchirant à le voir tenter, en vain, de retenir ses larmes au micro de la télévision italienne. À quarante ans, Gianluigi Buffon a tout gagné, ou presque, mais pleure encore comme un grand enfant après l’élimination de sa Nazionale face à la Suède lundi dernier. Un enfant prodige, qui aurait mérité de finir en apothéose sur une dernière Coupe du monde en Russie. Un enfant modèle, aussi, dont la sportivité est restée exemplaire de bout en bout. En atteste sa volonté de saluer les Suédois pour les féliciter de leur exploit après le match. Ou encore ses applaudissements à destination de l’hymne adverse peu avant la rencontre, au milieu de la marée de sifflets de San Siro. Même s’il n’ira pas au Mondial, jusqu’à la fin, Buffon est resté Gigi. Et c’est déjà beau.
L’homme sans âge
Beau, car personne n’oubliera que Gigi aura regardé droit dans les yeux une variable souvent impitoyable pour ses homologues footballeurs : le temps. Le 29 octobre 1997, il a 19 ans quand il débute dans les cages de la Nazionale, lors d’un match de play-offs pour accéder à la Coupe du monde 1998, face à la Russie. Un dépucelage hors du commun, puisque celui qui est alors le portier de Parme entre en jeu à la 32e minute pour remplacer Gianluca Pagliuca, qui s’est blessé au genou. Dans la neige moscovite, Buffon commence sans attendre à écrire sa légende en sélection. Notamment en dégainant un arrêt dingue sur une frappe d’Alenichev, qui allait trop vite pour tout le monde. Sauf pour lui. « Je n’ai pas vu le ballon partir, j’y suis allé à l’instinct » , déclare le bizut à la fin du match. Le sélectionneur italien, Cesare Maldini, lui, avance déjà que « les cages de laNazionaleseront très bien gardées pour de longues années. »
Paroles prophétiques. Après le mondial français, où il se contente d’un statut de remplaçant (derrière Pagliuca), Buffon prend le pouvoir pour ne jamais plus le lâcher, à l’exception notable de l’Euro 2000 où, blessé, il doit céder sa place à Francesco Toldo dans les buts. Les années défilent. Les déceptions aussi, comme la Coupe du monde 2002 et l’Euro 2004, où l’Italie est prématurément éliminée. Puis vient l’extase en 2006. Et cette image indélébile, celle d’une parade de Gigi, suspendu dans le ciel de Berlin, qui vient sortir en corner une tête monumentale de Zidane.
La génération dorée de l’Italie, celle de Totti, Nesta, Zambrotta, Cannavaro, Camoranesi, Gattuso, Pirlo, Del Piero et Inzaghi, décroche enfin le Graal, juste avant d’entamer son inévitable déclin. Aucun d’entre eux ne sera véritablement remplacé. Et dix ans plus tard, c’est une Nazionale décrite comme l’une des plus faibles de l’histoire qui se présente à l’Euro 2016 en France. Pourtant, elle sera aussi l’une des équipes les plus enthousiasmantes de la compétition. Grâce à deux ingrédients miracles : le génie tactique d’Antonio Conte et les sauvetages de Buffon, qui réalise un match titanesque face à l’Espagne en huitième de finale.
Les histoires d’amour finissent mal, en général
La Squadra Azzurra ne quittera l’Euro français qu’après une défaite face à l’Allemagne, aux tirs au but. Un exploit, presque une anomalie, au regard du manque de talent avec lequel l’Italie doit désormais composer. Signe que depuis plusieurs années, la fin de carrière de Buffon prend un tournant paradoxal : lui qui vient de disputer deux finales de C1 à 35 ans passés avec la Juventus, n’a presque pas pris une ride, mais son Italie, incapable de se redéfinir après le Mondial 2006, a indéniablement pris un coup de vieux. En atteste cette élimination sans saveur en barrages pour le mondial russe face à la Suède. C’est triste, alors Gigi pleure. Et parle sans tabou : « On a vraiment failli à faire quelque chose qui, même au niveau social, était très important. C’est malheureux… C’est difficile de finir comme ça, mais le temps passe pour tout le monde… » Cette fois, on y est. Parce que toutes les histoires ont une fin, celle de demain s’écrira sans Buffon. Les plus optimistes ne manqueront pas de soulever qu’un Gigi en cache un autre, puisque Gianluigi Donnarumma devrait remplacer le portier de la Juventus dans les cages de la sélection. Même précocité en équipe nationale, même prénom, et un surnom auquel il va devoir forcément faire honneur : « Gigio » . Une petite lettre en plus, car l’Italie toute entière le sait déjà : il n’y a qu’un seul Gigi Buffon.
Par Adrien Candau