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Giakoumakis à toute VVVitesse
25 buts en 23 matchs. Rien que ça. Des statistiques à faire pâlir de jalousie les plus fines gâchettes du continent. À 26 ans, Georgios Giakoumakis, le meilleur buteur d’Eredivisie, écrase tout sur son passage sous le maillot du VVV-Venlo, modeste 14e du championnat néerlandais. L'éclosion s'est fait attendre, mais la fleur grecque envoûte désormais de son doux parfum la totalité du pays des tulipes.
« Why Always Giakoum ? » Voilà le message qu’avait souhaité faire passer Georgios Giakoumakis au moment de célébrer un but avec le club grec d’Atsalenios. Inspiré par Mario Balotelli, l’attaquant d’à peine 16 ans avait alors dévoilé cette phrase devenue iconique en soulevant son maillot. Comme les grands. Une question prémonitoire puisque tous les défenseurs d’Eredivisie se la posent aujourd’hui. Car si deux choses sont inévitables aux Pays-Bas en ce moment, ce sont bien le coronavirus, et Giakoumakis qui plante.
Du Monsieur 100% pressing à Monsieur 60% de buts
Le Grec caracole en tête du classement des buteurs, loin devant son dauphin Donyell Malen (PSV), qui culmine à treize pions. À lui seul, Giakoumakis a marqué davantage que l’ensemble des joueurs d’Emmen, Waalwijk et l’ADO Den Haag. Forcément, le VVV-Venlo est Giakou-dépendant, l’attaquant grec ayant planté 62% des buts de son équipe en championnat. Même l’arrière-garde du Vitesse Arnhem, deuxième meilleure défense du championnat, a volé en éclats, atomisée par un quadruplé de l’artificier le 27 janvier (4-1). Et ce n’était même pas son coup d’essai : le Grec avait déjà vu quadruple contre Den Haag deux semaines plus tôt (4-1).
L’intéressé est pourtant arrivé aux Pays-Bas il y a seulement sept mois. Surtout, il n’avait marqué que trois fois la saison dernière. Martin Chudý l’a côtoyé de mars à juillet 2020 au Górnik Zabrze, en Pologne, où Giakoumakis était prêté. Le gardien explique pourquoi la machine n’était pas encore en route : « Il jouait devant en 4-4-2 avec Igor Angulo, l’un des meilleurs buteurs de l’Ekstraklasa. Il était plus là pour se battre et garder le ballon, et Igor pour marquer. C’est pour ça qu’il n’a pas tant marqué, mais il nous a beaucoup aidés. Dès son premier match, il a gagné de nombreux duels et a pesé sur la défense adverse. »
Si le néo-international grec n’était pas destiné à un rôle de buteur, c’est sans doute parce qu’il a été victime de sa réputation. Une réputation flatteuse de soldat qui n’hésite pas à foncer de lui-même en première ligne pour servir de chair à canon et mâcher le travail de ses compagnons d’armes. « Il avait ce côté chien fou de la jeunesse, qui ne calcule pas », resitue le milieu français Azrack Mahamat, ancien coéquipier de Giakoumakis à Platanias (D1 grecque) entre 2014 et 2016. « Il courait dans tous les sens. Il faisait des pressings à tout-va, « il pressionnait » littéralement les défenseurs. Et dès que le ballon était récupéré, il te faisait une course à haute intensité de 20-30 mètres. C’est ce qui faisait son charme : il était tellement centré sur le collectif que ses efforts lui coûtaient sa lucidité devant le but. »
Mais pour le gardien français Kevin Olimpa, qui a aussi pu observer la bête de près à Platanias, Giakoumakis ne peut pas être résumé qu’à son punch. L’ancien international martiniquais ose même une comparaison éloquente. « Ce n’est pas celui qui esquivait le duel et le contact, mais plutôt celui qui jouait avec. Il me fait un peu penser à un Cavani dans le sens où il est toujours là à faire des courses, et il a une faculté à être présent dans les bons coups, dans la bonne zone du terrain. »
Coucou Giakou, coucou
Et si Giakoumakis vit aujourd’hui un rêve éveillé avec Venlo, il reste traumatisé par un événement collectif, décrit à Voetbal International comme le « pire moment de sa carrière » : la débandade 13-0 infligée par l’Ajax. « Atroce. Ça m’a tourmenté pendant un mois, et ça fait encore mal aujourd’hui. La nuit, c’est comme si j’allais mourir de chagrin. Je n’osais plus aller au supermarché, je n’osais plus aller me promener. La première fois que je suis ressorti, deux garçons m’ont interpellé en criant : 13-0 ! Je leur ai lancé un regard noir.(Rires.) » Et Giakoumakis de mesurer sa chance d’être encore en vie : « Si ça s’était produit en Grèce, les fans nous auraient tués, ils auraient brûlé le centre d’entraînement – et ils auraient eu raison ! De toute façon, quand tu joues contre un adversaire plus faible en Grèce, tu t’arrêtes à 4 ou 5-0. Une question de respect. Aux Pays-Bas, c’est précisément par respect que tu continues d’attaquer ».
Mais le sensible Grec ne fera pleurer personne. Si sa carrière a enfin pu décoller, c’est aussi grâce à cette notion toute néerlandaise de respect dont il ne se prive pas au moment d’humilier les défenses du royaume. Encore faut-il pouvoir les planter, ces quadruplés. Alors, qu’est-ce qui a changé entre le Giakoumakis si avare de buts depuis le début de sa carrière (26 en 150 matchs avant Venlo) et celui qui fait trembler les Pays-Bas ? Rien ou presque, à en croire ses anciens coéquipiers comme Kevin Olimpa.
« Devant le but, il avait déjà une réflexion, il avait l’œil. C’est un acharné, et cet état d’esprit est très important pour réussir. Il a cette détermination dans sa frappe, cette précision qu’il travaillait beaucoup à l’époque. » Quant à Azrack Mahamat, il estime que le natif d’Héraklion, en Crète, a simplement appris à canaliser sa fougue. « Il parlait beaucoup, beaucoup avec notre entraîneur d’alors pour apprendre à s’économiser. On pouvait parfois entendre le coach crier à l’entraînement pour stopper Giorgo en train de faire un énorme sprint », sourit le milieu retourné à l’US Lusitanos Saint-Maur (National 2).
Eldoradivisie
Ainsi, ce n’est pas tant Giakoumakis qui a changé, mais plutôt ce qu’il y a autour de lui. « Les Pays-Bas sont un pays très fécond pour les attaquants grecs », reconnaît le principal intéressé auprès de Trouw. De Nikos Machlas (111 buts en 196 matchs avec Vitesse Arnhem et l’Ajax) au héros de l’Euro 2004 Angelos Charisteas (Feyenoord et Ajax), en passant par Kostas Mitroglou au PSV – l’exception qui confirme la règle, les buteurs hellènes semblent atterrir dans un eldorado offensif, après avoir connu un climat footballistique tellement plus aride chez eux.
Stan Valckx, le directeur sportif de Venlo qui a cru en Giakoumakis, l’affirme auprès de 1Limburg : il faut changer d’approche pour jauger un joueur en provenance d’un certain championnat. Pour un buteur, en l’occurrence, le tout est de ne pas s’arrêter à un nombre de buts indigent. « En Grèce ou en Pologne, on tâche surtout de ne pas prendre de buts, c’est plus dur pour les attaquants. » « Il y a aussi beaucoup de pression de la part des supporters, et peu d’opportunités pour les talents grecs, qui passent toujours derrière un joueur étranger expérimenté dans l’esprit des clubs », ajoute auprès de NRC un agent grec à l’origine du transfert du joueur à Venlo, se faisant l’écho d’une stupéfaction générale dans un pays qui est passé à côté d’une telle comète.
Mais le mérite en revient surtout au principal intéressé, qui a donné de sa personne pour s’ouvrir le chemin du succès. « Pendant notre entretien de pré-embauche en Pologne, il m’a cité des noms de joueurs de Venlo, les transferts en cours, le système dans lequel on jouait… En tout, il avait vu neuf de nos rencontres », déroule un Stan Valckx bluffé. Et Giakoumakis ne s’arrête pas là, forçant son destin : « Je leur ai clairement fait savoir que je voulais jouer seul en pointe », exposait-il à la Gazzetta cet automne. Accordé. L’accueil réservé par le club à son arrivée ( « les Néerlandais nous admirent réellement, nous les joueurs grecs » ) achèvera de mettre le Crétois dans la peau d’un roi.
20 – Only Tonny van der Linden has reached 20 Eredivisie goals faster (18 games back in 1956-57) than Georgios Giakoumakis (19 games). Deadly. pic.twitter.com/USbihxGnzZ
— OptaJohan (@OptaJohan) January 27, 2021
Aujourd’hui, Giakoumakis a un menu à son nom dans un restaurant crétois de Venlo, mais rien ne semble le faire descendre de son petit nuage. Cela tient au tempérament du bonhomme, estime Stavros Vasilantonopoulos, son ancien coéquipier à l’AEK Athènes. « Il est tout le temps en train de blaguer. Il rigolait tellement de tout et n’importe quoi que ça lui enlevait une bonne partie de pression, je suppose. D’autant qu’en dehors du foot, c’est un mec très relax. Quand il n’était pas avec sa femme et son nouveau chien, on allait faire des promenades ensemble. Ça le détendait. » De quoi prendre avec beaucoup de décontraction le défi péremptoire lâché par son entraîneur Hans de Koning dès leur première rencontre : « Si tu ne mets pas au moins 20 buts dès ta première saison chez nous, ce sera un échec. » Et mat.
Par Quentin Ballue et Douglas de Graaf
Propos recueillis par QB et DDG, sauf mentions.