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Ghana-Cameroun, sur un air de 2008
Le destin est ainsi fait. Le Cameroun et le Ghana étaient faits pour se retrouver, peu importe comment, peu importe quand, mais pour une demi-finale de CAN, c’est encore plus beau. Alors, à Franceville, jeudi soir, il y aura forcément un goût de revanche, car personne n’a oublié le 7 février 2008, jour où les Lions avaient dégagé les Black Stars de leur CAN. Souvenirs.
Le tableau est presque parfait. Sur la photo, il n’y a que des morceaux d’histoire : Rigobert Song, Geremi, le neuf des neufs, Joseph-Désiré Job, Carlos Idriss Kameni et un peu plus loin, ce vieux monsieur sans aucun style qui regarde la scène du haut de ses soixante-dix ans. En Afrique, cette silhouette est connue et reconnue. C’est celle d’Otto Pfister, un homme qui a commencé à coacher dans les années 60 chez lui, en Allemagne, avant de venir garnir son CV sur le continent africain et qui a donc récupéré le destin du Cameroun depuis quelques mois à peine. Sa mission, Pfister l’a commencée à la fin du mois d’octobre précédent, mais surtout à quelques mois d’une CAN organisée au Ghana, six ans après le dernier succès camerounais dans la compétition. Face à lui, une piscine où chacun profite du soleil, mais surtout d’un billet validé pour une finale où personne ne s’attendait à retrouver les Lions indomptables. Nous sommes le 8 février 2008 et le sélectionneur allemand a enfin rangé sa colère.
Il ne s’acharne plus contre l’organisation ghanéenne comme il l’avait fait après la victoire contre le Soudan (3-0) pour boucler la phase de poules. Otto Pfister s’en était alors pris à la CAF ainsi : « C’est une catastrophe. D’un côté, il y a une équipe (le Ghana, ndlr) qui loge dans un cinq étoiles – et nous… J’ai demandé au moins dix fois une chose simple : avoir un entraînement sans spectateur, mais non, il y a à chaque fois des milliers de supporters autour de nous.(…)J’ai entraîné le Ghana pendant six ans (entre 1989 et 1995, ndlr), tout le monde me connaît ici. Mais ce n’est pas correct. J’ai dû attendre que ma chambre soit prête plus de deux heures et ce n’était pas encore bon.(…)Pareil, quand on était à Kumasi. On voulait manger, mais le propriétaire de l’hôtel avait oublié les clés à l’intérieur de la cuisine. Chaque jour, il y avait quelque chose, un détail… Comment on garde le moral d’un groupe dans ces conditions ? » Bonne question, mais le Cameroun y est arrivé. Ce matin de février, ils s’apprêtent à préparer une finale qu’ils perdront finalement contre l’Égypte (0-1). Car la veille, ils ont fait tomber le Ghana, celui de Claude Le Roy.
L’unité contre le bricolage forcé
Cette demi-finale, c’était il y a maintenant neuf ans, mais le souvenir est resté, surtout au moment où le Cameroun et le Ghana s’apprêtent à se retrouver jeudi soir pour une place en finale d’une autre CAN, au Gabon cette fois. « Notre secret ? C’est notre mental » , expliquait alors Rigobert Song, le capitaine du Cameroun, enterré après le premier match de sa troupe contre l’Égypte dans la compétition (2-4), juste avant la finale. Interrogé dans les colonnes du Guardian durant le tournoi, Geremi avait avancé dans le même sens : « Notre présence en finale est une nouvelle preuve qu’il ne faut jamais sous-estimer l’esprit du Cameroun. Une chose importante avec les Lions : quand ils semblent dormir, ils sont encore plus dangereux. Si on joue au foot, ce n’est pas que pour nous ou nos familles, mais pour apporter de la joie à un pays tout entier. Voilà pourquoi cette finale est particulière. » Il faut donc revenir à Accra, ce 7 février 2008.
Avant la demi-finale, le Ghana est en confiance et a aligné un sans-faute : trois victoires en poule, un succès contre le Nigeria (2-1) en quart et deux petits buts encaissés. Problème, John Mensah, alors au Stade rennais, a été expulsé face aux Super Eagles et est donc absent pour croquer le dernier carré. Claude Le Roy doit bricoler, Essien est replacé en défense, où il lâche une bonne copie, mais Muntari passe à côté de son match pendant que le gosse André Ayew, juste dix-huit ans, et Quincy Owusu-Abeyie restent invisibles. En face, le Cameroun ne changera pas de stratégie : de l’unité, attendre et planter quand il faut, comme face à la Tunisie au tour précédent. Résultat, à l’usure, les Black Stars vont sombrer en deux temps : une première mi-temps à pousser et manger notamment une barre de Geremi sur coup franc, une seconde à s’exciter dans le même rythme et une punition en contre posée par le remplaçant Alain Nkong à un quart d’heure de la fin. Difficile à avaler, mais le mental a parlé. « On savait que ça allait se passer comme ça, explique aujourd’hui Claude Le Roy. Finalement, c’est assez invraisemblable que l’on ne gagne pas, surtout avec cette équipe, mais l’histoire du foot montre que certains matchs sont comme ça : rien ne tourne en votre faveur. Tout se joue sur une action, un éclair de génie de mon fils spirituel Sam Eto’o, l’arc, pour la flèche Nkong. »
Les fils de Bikey
De cette rencontre, il reste donc cette danse de Nkong, les larmes d’Eto’o et une joie collective. Mais une autre image est restée dans l’histoire comme le symbole de cette rencontre et une tache sur le succès. Oui, à quelques minutes de la fin, un instant est entré dans la légende de la CAN. Rigobert Song est au sol, entouré de soigneurs. Certains pensent que le capitaine des Lions veut gagner du temps à l’expérience. L’un des soigneurs veut alors le faire sortir de la pelouse. Pile le moment décidé par le défenseur de Reading, André Bikey, pour foncer sur l’homme et le pousser au sol. Oui, Bikey a couché un soigneur et est expulsé. Il ne verra pas la finale des siens, gâchant sa belle copie rendue contre le Ghana et sortant du terrain sous des bouteilles qui lui sont jetées au visage. Personne ne sait encore à ce jour ce qu’il lui est passé par la tête et l’essentiel sera finalement ailleurs. Si la compétition de Bikey se termine ainsi, à l’ombre de la piscine le lendemain, celle du Cameroun ira donc jusqu’en finale. Son dernier sommet en date avant de retrouver le fil de son histoire jeudi soir à Franceville. Le Ghana, lui, bouclera son aventure en remportant la petite finale contre la Côte d’Ivoire (4-2). « Après la demi-finale, le vestiaire était incroyablement ébranlé. John Mensah semblait prendre sur lui tout le poids de cette défaite à cause de sa suspension. Mais le public ne nous a pas lâchés et il y avait plus de 30 000 personnes à l’aéroport pour jouer ce match pour la troisième place à Kumasi. Au Ghana, c’est simple : il faut battre le Nigeria et la Côte d’Ivoire. On l’a fait, malgré la déception » , complète Le Roy. Ce soir encore, le Ghana sera favori. Le reste n’est qu’une question de mental.
Par Maxime Brigand
Propos de Claude Le Roy recueillis par MB.