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Gerry Marsden ne chantera jamais seul
La voix qui fait chavirer Anfield depuis plus de cinq décennies s'est éteinte ce dimanche à l'âge de 78 ans. Oui, Gerry Marsden nous a quittés, mais son You'll Never Walk Alone est éternel, à Liverpool et au-delà.
« J’adore les paroles, j’adore l’ensemble et je l’ai juste chantée comme je pensais qu’elle devait être chantée. Par chance, ça a marché. » C’est comme cela que feu Gerry Marsden, pour les 50 ans du chef-d’œuvre de sa vie en 2013, racontait la naissance de l’une des plus grandes chansons de stade de tous les temps, si ce n’est la plus grande. En 1963, Gerry and the Pacemakers, joyeuse bande de Liverpuldiens créée en 1959 par Marsden et son frangin Fred, est déjà un groupe installé dans le paysage du Merseybeat – cette scène pop-rock de Liverpool en pleine explosion – aux côtés des Beatles : ses deux premiers singles « How Do You Do It ? » et « I Like It » ont tout cassé dans les charts britanniques et, il compte bien poursuivre sur la lancée.
« Où est notre chanson ? »
Alors pour la suite, les « stimulateurs cardiaques » de la Mersey décident de balancer en guise de troisième opus, malgré les réticences du mythique manager Brian Epstein et du vrai « Cinquième Beatle » Sir George Martin, une reprise d’un extrait de la comédie musicale Carousel, apparue à Broadway en 1945 (écrite par Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II), et dont Gerry est tombé amoureux par hasard au cinéma. Cette chanson, c’est You’ll Never Walk Alone. Dans l’exercice, ce dernier passe après des voix telles que Frank Sinatra, Nina Simone ou Ray Charles, rien que ça. Loin du registre tragique de la version originale et tranchant totalement avec les airs enjoués des premiers singles du groupe, cette cover se veut un cri du cœur entraînant, vibrant et entêtant : de quoi faire lever quelques poils, en somme, surtout quand on prête l’oreille à ces lyrics inspirantes. Bingo : à partir du 29 octobre de cette même année, Marsden et ses potes trustent pour la troisième fois consécutive le sommet des classements outre-Manche, du jamais-vu à l’époque.
Le titre n’a pas encore tous les arrangements qui ajouteront à son côté mystique dans une nouvelle version des années plus tard, mais c’est déjà à ce moment-là que l’histoire s’écrit, comme le racontera le principal intéressé, évidemment supporter des Reds : « Avant chaque coup d’envoi, ils jouaient le top 10, du n°10 au n°1, doncYou’ll Never Walk Aloneétait joué avant le match. J’étais au stade et j’ai entendu tous les supporters chanter, je me suis dit« Bloody hell, ils chantent ma chanson, c’est fantastique. »Quand elle est sortie du top 10, ils l’ont retirée de la playlist, puis pour le match suivant, le Kop criait« Où est notre chanson ? Où est notre chanson ? »Ils ont donc dû la remettre. »
Les frissons de Celtic Park
Rapidement devenu incontournable à Anfield avant, pendant et après les rencontres, le tube de G&TP ne quittera plus le LFC – et vice versa – et entrera dans une nouvelle dimension après le drame d’Hillsborough (1989), en symbole d’unité entre Scousers. Et puis il y a cette phrase que l’immense Bill Shankly aurait susurré à l’oreille du musicien, en 1964, après avoir découvert le son par le chanteur lui-même : « Gerry, fiston, je t’ai donné une équipe, et tu nous as donné une chanson. » L’Écossais, à la tête de l’équipe de 1959 à 1974, participera à faire du single l’hymne des Rouges à partir de la finale de la FA Cup 1965, remportée à Wembley contre Leeds (2-1). Ce n’est pas étonnant si l’on peut désormais lire « You’ll Never Walk Alone » au sommet du Shankly Gates à l’entrée du stade (depuis 1982), et par ricochet sur le blason du club (depuis 1992) au-dessus du nom et de l’iconique liver bird.
Tragic news this morning. We have lost one of the most treasured members of the @LFC family. We were honoured to welcome Gerry to Anfield in 2018, and he rewarded us by singing YNWA just before kick off. #RIPGerry pic.twitter.com/YLGUnuJCRz
— Peter Moore (@PeterMooreLFC) January 3, 2021
Bien sûr, la vie de l’auteur-compositeur-interprète ne se limitera pas à cela : il fait partie de l’ordre de l’Empire britannique depuis mars 2003 pour l’ensemble de ses actions caritatives, a connu une petite carrière télévisuelle et a continué d’offrir des albums et tournées, en solo ou sous le nom des Pacemakers, jusqu’en 2012 (avec plusieurs autres succès au milieu des années 1960), ne raccrochant sa guitare qu’en 2018. Mais après cet automne 1963, sa ballade, en même temps qu’elle accompagnait les succès d’Emlyn Hughes, Ian Rush, Kenny Dalglish, Steven Gerrard ou Jordan Henderson, ne l’a plus jamais quitté.
Il en produira notamment une nouvelle version en 1985 avec le supergroupe The Crowd pour les victimes de l’incendie de Valley Parade à Bradford ; mais on retiendra surtout son interprétation hors normes en communion avec le Celtic Park en mars 2003 avant la réception de Liverpool en quarts de finale de Coupe l’UEFA – entre les deux clubs les plus marqués par cette chanson, laquelle a largement dépassé les frontières de la ville portuaire – ou celle précédant la finale de la Coupe d’Angleterre 1989 à Wembley entre le LFC et… Everton. Le 6 juin 2019, cinq jours après le succès des Reds en C1, il était monté sur scène une dernière fois sur invitation du groupe Take That, pour chanter YNWA en plein cœur d’Anfield. On a vu pire, comme sortie.
Par Jérémie Baron
Propos de Gerry Marsden tirés de liverpoolfc.com et de l'Independent