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Gerrard sur une pente savonneuse
Ce samedi, Liverpool retrouve Chelsea, six mois après la défaite des Reds face aux Blues qui scella le rêve de sacre. Un échec qui porte un nom : Steven Gerrard. Pas sûr que ce dernier s'en soit vraiment remis…
Cette fois peut-être, il vérifiera la taille de ses crampons. Ou demandera un arrosage moins soutenu de la pelouse, allez savoir. En tout cas, une chose est certaine, ce samedi, Steven Gerrard sera traversé par le souvenir tenace de cette glissade le 27 avril dernier devant le pressing « juste pour voir » de Demba Ba. Une glissade fatale. Une glissade en enfer pour le capitaine de Liverpool face à Chelsea et cette défaite cruelle qui sabra les rêves de titre pour les Reds, quasiment un quart de siècle après le dernier sacre. Et que Gerrard soit le « coupable » de cette déception donne une dimension supplémentaire à cette histoire. Une injustice pour beaucoup, amoureux des symboles représentés par l’enfant de la ville pour son club de toujours. Mais aussi, peut-être, un juste retour de bâton aux yeux de certains autres qui n’ont pas oublié non plus que le skipper rouge en 2010 avait fourni lui-même la boussole à Didier Drogba, sous la forme d’une passe en retrait ultra-foireuse, pour permettre aux Blues de rafler le titre au nez et à la barbe de l’ennemi Manchester United. Oui, d’une certaine manière, au printemps dernier, Gerrard a sans doute payé à l’histoire le prix de ce cadeau.
Bon, ça, c’est pour une certaine lecture philosophique des choses. Car ce qui est plus concret, c’est que Stevie G. a toujours trimbalé une ambivalence. L’homme si souvent décisif en faveur des siens est aussi, selon un joueur français ayant évolué avec lui, un sacré « cagueur » en quelques occasions… et quelles occasions ! De sa passe en retrait (une de plus) pour Henry à l’Euro 2004, au péno de la gagne totalement bazardé face à Chelsea (tiens !) lors de la finale de Coupe de la Ligue 2005, Gerrard s’est clairement fait dessus à certains moments. Quand ce n’est pas son karma qui fait le reste, à l’image de sa déviation de la tête malheureuse pour Luis Suárez au dernier Mondial lors d’Uruguay-Angleterre (2-1). Mais pour en revenir à Chelsea, les plus fins connaisseurs du numéro 8 de Liverpool savent aussi que le bougre a un rapport compliqué au club pensionnaire de Stamford Bridge. Car eux se rappellent qu’en 2004 et surtout en 2005, le leader de la Maison rouge avait été tout près de rejoindre Frank Lampard et sa bande et qu’il avait vraiment fallu l’intervention in extremis du père de Gerrard pour convaincre le fiston de rester sur les bords de la Mersey. Les Scousers purs et durs avaient mis du temps à pardonner à leur leader, lui préférant l’incorruptible Jamie Carragher, le vrai gardien du temple selon eux. Mais aujourd’hui, « Carragold » est à la retraite et c’est Gerrard qui incarne seul le club quintuple champion d’Europe. Sauf que depuis quelque temps, l’affaire se complique pour le natif de Huyton…
2009, la première cassure
C’est entendu, Steven Gerrard est désormais loin du niveau qui fut le sien durant ses plus belles années (à la louche 2003-2009, même si ce fut parfois bluffant auparavant et encore pas mal après). Car ce qui fit longtemps la singularité du milieu anglais, c’est ce fameux côté « box to box » , une spécialité de l’île, doublé d’une influence technique réelle dans l’animation, tel un « playmaker » de tout premier ordre, bien supérieur sur ce plan à un Lampard par exemple. Mais ce Gerrard-là a disparu depuis quasiment cinq ans. Peut-être dans la foulée du titre perdu dans la dernière ligne droite en 2009, au profit des Red Devils qui plus est. Une première cassure. Car depuis, Gerrard a perdu progressivement de cet impact athlétique, surtout après une longue blessure à l’aine en 2011. Conscient de ce déclin, l’ancien homme à tout bien faire recule, se poste en sentinelle devant le back four et envoie du jeu long en veux-tu en voilà grâce à une qualité de pied intacte et un coup d’œil peut-être encore plus vif. En revanche, plus question de se projeter à l’ancienne. L’ennui c’est que cette présence technique, bien utile pour des lancements de jeu de classe, fragilise la récupération de Liverpool, d’autant que la charnière a trop souvent depuis trois ans des allures de catin bon marché, comprendre disposée à se faire ouvrir par le premier badaud venu.
Alors bien sûr, il existe d’autres techniciens reconvertis avec succès à ce poste de meneur reculé, comme Andrea Pirlo par exemple. Sauf que dans ses meilleures heures à l’époque de Milan, l’orfèvre italien était méchamment entouré par deux pits nommés Ambrosini et Rino Gattuso. Autre chose que Jordan Henderson et Joe Allen, deux gars avec la raie sur le côté, pas assez dissuasifs. Certains pourraient arguer que l’an passé, Liverpool a failli devenir champion avec ce dispositif. C’est vrai. Mais la saison dernière, Brendan Rodgers pouvait compter sur une attaque de feu, la plus prolifique de l’histoire du club en Premier League dans les pas d’un attaquant world class envolé depuis en Catalogne, suffisamment en feu en tout cas pour contrebalancer une fragilité défensive indigne d’un candidat au titre. Et cette année, sans Suárez pour illuminer devant, les lézardes arrière sont d’autant plus criantes et avec elles, les lacunes de Gerrard. Fatalement, on se demande : jusqu’où faut-il continuer avec la légende liverpuldienne ? Au fond, étant donné l’importance statutaire du capitaine bien au-delà de son influence réelle sur le jeu, n’est-ce pas l’occasion de tourner la page pour vraiment se tourner vers la reconstruction ? Rodgers a beau dire qu’il souhaite poursuivre avec son emblème, personne n’est dupe, puisque le club ne lui a toujours pas proposé de prolongation. Dur… mais peut-être impitoyablement lucide. Une glissade peut-être plus cruelle encore que celle d’un après-midi d’avril dernier.
Par Dave Appadoo