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Gérone-Barcelone, le mirage américain
En ce début de championnat espagnol, une polémique en chasse une autre. Après avoir annoncé la délocalisation d’une rencontre par an aux États-Unis, la Liga a décrété que les premiers de corvée seront Gérone et Barcelone. Un choix ô combien délicat, les deux villes étant des bastions de l’indépendantisme catalan, de la part d’un Javier Tebas qui fait de la politique tout en s’en cachant. Décorticage.
La vie politique catalane ne se limite pas à Manuel Valls. Le football en prend également sa part. Car en cette rentrée de la Liga, une nouvelle décision de Javier Tebas, président pyromane de la LFP espagnole, provoque l’ire de ses détracteurs, nombreux en Catalogne. Dans les faits, après avoir officialisé quelques jours plus tôt la tenue d’une rencontre de Liga aux États-Unis, le président de la ligue confirme que le derby entre Gérone et Barcelone se disputera en janvier prochain à quelque 7573 kilomètres du stade de Montilivi. Direction Miami Beach et son Hard Rock Stadium, donc, pour ce troisième derby de l’histoire entre les deux voisins en première division. Ce choix, dicté par un impératif contractuel – chaque année, et durant 15 ans, la rencontre délocalisée outre-Atlantique devra compter sur la présence du FC Barcelone ou du Real Madrid –, ravive les braises des tensions politiques inhérentes à la Catalogne et, par extension, à son football. « Même s’il n’y a pas d’intention politique derrière cette décision, et que le facteur économique dicte sa loi, les conséquences sortent du cadre sportif » , synthétise Carles Viñas, docteur en histoire contemporaine de l’université de Barcelone.
Tebas, en bon pompier pyromane
Retour un an plus tôt, quand la première réception du FC Barcelone par le Girona FC en Liga se déroule sous des auspices festives. Et politiques, donc. À peine le coup d’envoi est donné que de multiples esteladas – drapeau symbole de l’indépendantisme de la Catalogne – fleurissent dans les tribunes du Montilivi et que les cris de « ¡Votarem, votarem! » – « Nous voterons ! » en VF – rythment le déroulé de la rencontre. À l’heure où institutions étatiques et régionales se font la guerre autour du référendum d’auto-détermination, autant dire que ce derby catalan dégage des relents de softpower pour la Généralité. Onze mois plus tard, le climat dans la société est toujours aussi délétère, à la différence près que la LFP y est allée de son grain de sel. En décidant, sans aucune discussion, de délocaliser ce derby aux États-Unis, la Ligue remet la politique au centre des débats : « Avec la mise en place du processus d’indépendance, tous les domaines de la société ont été sommés de prendre partie, et le football est loin d’être étranger au contexte social. Avec cette décision, la LFP prend définitivement fait et cause pour l’une des deux parties. »
C’est que, depuis 2013 et la nomination de Javier Tebas à la tête du football pro espagnol, le supporter n’est plus que la variable d’ajustement du modèle économique. Rien de nouveau sous le soleil, donc, dans un championnat qui s’est construit autour de la domination sans partage du couple Real-Barça. La nouveauté, c’est la politisation à outrance d’un sujet que le sieur Tebas déclare apolitique. La Liga n’est plus à une contradiction près, comme en attestent les péripéties de l’annonce de cette délocalisation. Pour tenter de contenter les déçus, le club de Gérone, en accord avec la Ligue, promet le remboursement de 40% du prix de l’abonnement, ou un aller-retour dans la journée vers Miami pour 1500 spectateurs. Du côté des partis politiques pro-indépendance, le silence est pourtant de mise. À l’heure des derniers préparatifs pour les élections municipales, « la bataille se joue sur d’autres terrains » , dixit Carles Viñas : « De plus, cette décision intervient au retour des vacances, et peu de voix se sont élevées pour réclamer que le match soit une opportunité pour internationaliser le mouvement indépendantiste » .
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— Gabriel Rufián (@gabrielrufian) 5 septembre 2018
Mais face à la peur d’une énième démonstration de force des mouvements indépendantistes, la LFP fait le choix du tout-politique. « Les supporters de Barcelone aux États-Unis ne font pas l’apologie de l’indépendantisme, c’est un sujet qui ne les intéresse pas, professe Javier Tebas sur les ondes d’Onda Cero. Ce sont les supporters américains du Barça qui iront au stade. » Ce qui ne l’empêche pas de dégainer un arsenal pro-unioniste pour vanter les bienfaits de la « marque Espagne » . Pêle-mêle, les drapeaux catalanistes seront bannis du stade de Miami alors que la LFP annonce la distribution de pas moins de 40 000 bannières espagnoles, le tout sous l’air de la Marcha Real, hymne sans parole espagnol. Autant de faits qui contredisent la théorie de la non-ingérence de la politique dans les choix de la Ligue, mais qui ravissent Manuel Valls, candidat potentiel à la mairie de Barcelone. « Mais le mal est plus profond, va plus loin que la politique, assure Carles Viñas. Le résultat de cette délocalisation, c’est surtout un processus de défidélisation, lent, mais progressif, des supporters. Beaucoup de personnes ne se reconnaissent plus dans ce football professionnel. »
Par Robin Delorme
Tous propos recueillis par RD