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Gerd Müller, bombardier canonisé
Gerhard Müller, dit Gerd, nous a quittés ce dimanche matin à 75 ans des suites de la maladie d’Alzheimer. Buteur compulsif au palmarès vertigineux avec le Bayern et la Mannschaft, Der Bomber a personnifié à l’extrême ce que « l’efficacité devant le but » signifie. Auf wiedersehn, Gerhard !
« Bien sûr qu’on peut encore marquer 30 à 40 buts par saison ! », râlait Gerd en 1999 dans France Football. Raillant les buteurs du moment aux stats largement inférieures aux siennes, le retraité abonné aux rafales de buts dans les années 1970 admirait pourtant le talent de Weah, Ch-Shevchenko et Romário, « plus fort que son compatriote Ronaldo ». Et puis Messi donna raison à Müller en explosant à son tour les compteurs. En 2012, Leo battit avec 91 pions le vieux record de buts marqués lors d’une année civile détenu par le Munichois (85 en 1972) ! Lionel lui envoya un maillot dédicacé : « Pour Gerd Müller. Mon respect et mon admiration. Chaleureusement ». Très touché par ce geste très classe, Der Bomber déclara être « très reconnaissant et fier d’avoir le maillot du meilleur joueur au monde ». L’aîné bavarois avait adoubé le jeune Argentin, nouvel arrivé dans la caste très select des géants du foot.
Trois ans plus tard, en 2015, ce bon vieux Gerd (70 ans) était en perdition, en proie au marquage très serré de son pire adversaire : Alzheimer. Le cercle familial du Bayern Munich l’avait alors une fois de plus entouré de toute son affection. Paul Breitner, le compagnon de club et de sélection, lui rendit alors un hommage des plus émouvants : « Il est le footballeur le plus grand et le plus important qu’ait eu l’Allemagne depuis 1954. » La gorge serré, l’œil humide, Paulo avait conclu : « Sans Gerd Müller, le Bayern ne serait pas devenu aussi mythique. Sans lui, je ne serais pas là ». Au club, on se souvenait des premiers signes avant-coureurs de la maladie mentalement dégénérative qui l’avait atteint. Accompagnant l’équipe lors d’un déplacement du Bayern à Milan, il avait disparu subitement sans donner de nouvelles. Un des membres du staff l’avait retrouvé errant dans les rues milanaises, se parlant à lui-même. Il recherchait Roberto Rosato, le défenseur qui lui avait donné tant de fil à retordre lors de la demi-finale épique Italie-RFA du Mundial 1970…
Un 9 treize en pointe…
C’est au soleil du Mexique que Gerhard Müller (24 ans) s’était révélé au monde en finissant meilleur buteur de cette édition, décrochant le Soulier d’or du tournoi avec 10 buts inscrits, soit à trois unités de Just Fontaine. Il reçut le Ballon d’or France Football de cette même année 1970 et acquit un surnom détonnant, Der Bomber der Nation ( « Le Bombardier national » ou « Canonnier national » ). Commence alors un âge d’or de six années au cours desquelles il va se hisser pour longtemps comme le buteur, ou plutôt « l’avant-centre dans la boîte », le plus efficace de l’histoire de son sport. Numéro 9 avec le Bayern, numéro 13 porte-malheur avec la Mannschaft ( « Dieu pardonne, moi pas », dixit lui-même), il contribuera à la pointe de l’attaque à la formidable moisson de titres de ses deux équipes.
L’artificier prolifique stupéfia donc la footosphère lors de l’année civile 1972 avec 85 buts (72 avec le Bayern et 13 en sélection). Devenu ogre moustachu puis ogre barbu, il marquera quatre des huit buts munichois lors des trois finales de C1 remportées par le Bayern en 1974, 1975 et 1976. Étrangement diminué lors du fameux clash au sommet Ajax-Bayern (4-0) de mars 1973, il avait tenu sa place jusqu’à ce qu’on découvrit après-match qu’il avait une fissure du péroné ! Müller plantera le but du 2-1 au retour à Munich face aux Ajacides, mais Amsterdam alla au bout cette année-là. Pas grave ! Le 9 passé 13 prendra sa revanche l’année suivante avec le maillot blanc de la RFA face aux tuniques orange de Cruyff en finale du Mondial 1974. À la maison. À l’Olympiastadion de Munich. Le but victorieux du 2-1, à la réception d’un centre de Rainer Bonhof. Un but typique du Bomber, en toupie : contrôle dos au but, une volte et une frappe sèche croisée à ras de terre vers le poteau opposé ! Ces célèbres rotations sur lui-même lui déglingueront la colonne vertébrale au point qu’il se fera plus tard opérer du dos. En plus du titre de champion du monde 1974, c’est encore lui qui avait offert à son pays l’Euro 1972 en plantant un doublé en finale à Bruxelles contre la redoutable URSS (3-0).
Buteur essentialiste
Visionner certains des innombrables buts de Gerd Müller renvoie aux documentaires animaliers où le prédateur (requin, cobra, vautour, fauve) fige sa proie avant de porter le coup fatal. « J’avais une seconde d’avance sur les défenseurs. J’avais cet instinct en moi dès mon plus jeune âge. Je ne pensais qu’au but. Et peu importait la manière », dissertait-il. Deux cuisses énormes pour des appuis bien fermes, une gestuelle parfaitement coordonnée (contrôler-armer-tirer) d’une rapidité inouïe et un équilibre du haut du corps maintenu par des bras petits, mais costauds. Gerd frappait comme la mort fauche, inscrivant du bon, du beau, du moche et du très moche avec toutes les parties du corps. Même à terre, vicieux comme un scorpion, il envoyait un ultime pointu dans les filets pour achever la bête : « Je veux la mettre au fond. Peu importe la manière, je ne cherche rien d’autre », professait le buteur essentialiste. Exécuteur complet, en plus du pied droit foudroyant et précis et de son gauche non moins létal, le bonhomme de taille moyenne (1,76m) possédait aussi un jeu de tête dévastateur grâce à son timing parfait à l’impulsion, juste avant de cogner très fort du front pour que le gardien n’ait aucune chance. Malheur aussi aux portiers qui relâchaient le ballon : la punition les abattaient direct !
Avant d’être le démon de la finition, il avait surtout le génie du déplacement, se jouant du terrible marquage individuel de son époque et flirtant avec la ligne du hors jeu sans jamais passer du mauvais côté. Surgissant parfois plus vite que son ombre, ses jaillissements soudains trompaient même les arbitres de touche. Gerd se verra ainsi refuser deux buts importantissimes pour des positions de hors jeu inexistantes ! Le premier de ces buts annulés fut en finale de Coupe du monde 1974, alors que la RFA menait 2-1 (score final) en seconde mi-temps : sur un centre de Grabowski, il s’extirpait de la ligne défensive néerlandaise pour tromper Jan Jonbloed de près. Refusé ! À 3-1, le match aurait été plié pour de bon. L’autre but, toujours en finale, mais en Ligue des champions 1976 contre les Verts, à Glasgow (victoire 1-0), est l’aboutissement d’une passe de Hoeness : il échappe à Lopez et marque d’une frappe croisée. Refusé aussi. Pas grave ! Sa légende était déjà imprimée en lettres d’or.
Sepp, Franz… et Uli !
Müller est entré dans la légende du football mondial en entraînant dans son sillage ses deux compères munichois, Maier et Beckenbauer, héros indissociables aux prénoms eux aussi monosyllabiques qui claquent au vent : Gerd, Sepp, Franz ! Le Kaiser qui a une très haute estime de lui-même n’avait pourtant jamais occulté, lui aussi, tout ce que sa gloire devait au « petit gros » ( « Kleines dickes », son surnom à ses début au club) : « Parmi les joueurs d’exception, Gerd Müller est pour moi le plus grand de tous. Il était irrésistible ! Tout ce qu’il a réalisé, le Bayern le doit à Gerd Müller. Sans les buts de Gerd, nous serions encore assis aujourd’hui dans les tribunes vétustes de la Säbener Straße (le siège social et centre d’entraînement du Bayern Munich, NDLR ) » . Après la C1 1976 remportée à Glasgow, Gerd entra comme son club dans un lent déclin qu’il ponctua toutefois d’un dernier titre de co-meilleur buteur de Bundesliga 1978 (24 buts). Avant d’aller tenter lui aussi ensuite l’aventure américaine en jouant deux saisons pour Fort Lauderdale (1979-1981), il a accumulé un palmarès hallucinant : champion d’Europe et du monde en sélection, trois C1 et une C2 1967, une coupe Intercontinentale, deux Supercoupe UEFA, quatre titres de Bundesliga, quatre coupes de RFA et sept fois la couronne de meilleur buteur du championnat national ! Mais quand il raccroche à 36 ans, c’est la descente aux enfers.
Privé de l’adrénaline de la compétition, son instinct de chasseur en berne, il sombre dans l’ennui profond puis dans la dépression, planté devant la télévision pendant des heures. En plus de l’alcoolisme et des disputes conjugales, ses deux hanches bouffées par l’arthrose l’empêchent également de taquiner encore le cuir, hormis quelques matchs de gala entre vieilles légendes du foot. En 1992, ses anciens potes de club, Franz et surtout Uli (Hoeness) lui sauvent la vie en le recrutant au départ pour démarcher de nouveaux sponsors. Puis pour rechercher de nouveaux talents et participer aux entraînements des attaquants et des gardiens. Ce n’est que plus tard qu’il devient coach de l’équipe junior puis entraîneur-adjoint, après avoir passé son diplôme d’entraîneur.
Les Müller : de Gerd à Thomas…
En 1995-1996, il devient entraîneur de l’équipe réserve du Bayern en division régionale. Un rôle d’entraineur-formateur qu’il occupera vaille que vaille jusqu’au début des années 2010. Il contribuera à façonner les jeunes talents comme Philipp Lahm, Bastian Schweinsteiger surtout Thomas Müller. La relation quasi filiale entre Thomas et Gerd, tant humaine que sportive, justifie à elle seule la réputation du Bayern « club familial » ou la transmission intergénérationnelle n’est pas un vain mot. « J’ai beaucoup appris de lui, témoignait Thomas Müller. C’est lui qui m’a appris comment jouer en buteur-finisseur dans la surface de réparation. Par exemple, shooter dans la direction opposée du gardien ou viser le petit filet, à ras du poteau, car le gardien n’a pas le temps de réagir. » À l’annonce des troubles de démence aggravés du vieux lion, Thomas dédiera les titres présents et futurs du Bayern à son mentor.
Gerd Müller s’est éteint ce 15 août 2021 dans la folie irréversible, mais il demeure, peut-être, la plus grande machine à marquer de tous les temps avec un total ahurissant de 405 buts en 507 matchs de Bundesliga (une moyenne de 0,80 but par match). Sans compter les 66 buts en coupes d’Europe et les dizaines de pions en Coupe d’Allemagne. Ses 68 buts en 62 sélections pour la Nationalmannschaft (plus de buts que de capes !) demeurent pour Rudi Völler « un record pour l’éternité »… Et le commentateur TV allemand de la finale 74 de s’écrier incrédule, au moment où Gerd reprend victorieusement le centre de Bonhof : « Müller… UND ZWEI-EINS ! ! » Et Gerd de courir en Terre promise, bras levés, bondissant trois fois de bonheur comme un gamin au moment des vacances d’été…
Par Chérif Ghemmour