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Gerard Piqué : la révolution en pantoufles
Gerard Piqué n’en finit plus de s’autoproclamer révolutionnaire du football au nom d’un peuple du ballon rond qui ne supporterait plus la version classique de ce sport. Un populisme gavé de culte technologique dont la finalité, notamment pour son prophète catalan, sert d’abord à augmenter les profits...
Gerard Piqué se veut avant-gardiste. Et comme tous les iconoclastes, il oublie souvent qu’il n’est pas le seul, ni le premier, à promouvoir sa fameuse « révolution ». « Le football a peur du changement. Il a une énorme histoire, c’est très traditionnel, mais le changement va arriver, il doit arriver », proclame-t-il de la sorte dans le Sunday Time, son joystick de pèlerin à la main. Seulement, le football n’a jamais cessé d’évoluer, dans ses règles et ses contours. Même si quelques fondamentaux se trouvent effectivement ancrés, il s’est révélé au fil des décennies un objet culturel à multiples facettes et configurations avec des amendements réguliers aux fameuses lois du jeu, des hors-jeu à l’introduction de la VAR.
Naturellement la version qu’en donne l’International Football Association Board s’avère ultradominante, une sorte de doxa universellement (re)connue. Toutefois, le foot a toujours été plus grand que la FIFA. En lançant la Kings League, une compétition de foot à 7, l’ex-star du Barça n’a rien inventé et, pour tout dire, récupère à peu de frais pour des motivations financières évidentes une pratique déjà largement présente sur les terrains du monde entier (en France, on joue en FSGT un foot à 7 autoarbitré, certes bien loin des « guests » et des live Twitch).
Tablette, pyjama, canapé et biscuits : le futur vendu par Gerard Piqué
Cependant, finalement, le pire ne se situe peut-être pas dans cette classique appropriation commerciale du foot d’en bas avec, qui plus est, la prétention d’y apposer sa trademark. Toujours dans le Sunday Time, l’ancien défenseur du Barça a ressorti l’ancienne logorrhée, jamais prouvée ni démontrée, d’une discipline devenue trop lente, trop longue et inadaptée aux nouveaux modes de consommation de la jeunesse, avec l’argument réac le plus éculé possible, celui tiré de l’expérience vécue par son entourage proche dont la famille (à l’instar du « il faut subventionner d’abord l’école privée, car mes gosses s’y épanouissent »). « L’une des raisons pour lesquelles nous avons créé la Kings League est que j’ai vu mes enfants regarder un match de football, et après dix minutes, ils étaient sur leurs téléphones, leurs tablettes, en train de regarder autre chose. Le football est en compétition avec Netflix, Amazon, YouTube, TikTok. Chacun a sa limite de temps. Le foot durant 90 minutes n’est plus aussi excitant. » De fait, selon les évangiles de Piqué, le foot représente bel et bien l’opium du peuple, il faut désormais passer à la cocaïne…
Ce prophète des illusions du progrès possède ce particularisme de ne réfléchir qu’à l’aune de son expérience et de son vécu. « Vous ne pouvez pas stopper la technologie. L’autre jour, j’ai porté des lunettes de réalité virtuelle. J’étais dans mon pyjama, à la maison, prêt à aller dormir, et j’ai regardé un match de NBA, depuis le parquet. » La scène ressemble à un mauvais film de SF. Tout ne se situe ou ne parle qu’à hauteur de son narcissisme : « Maintenant, je veux m’asseoir à côté de Xavi ! Maintenant, je veux regarder depuis derrière le but ! » Surtout, peu importent les chiffres ou les faits qui peuvent contredire son discours (nombre de licencié.es en clubs, audiences télé, fréquentation des gradins, etc.) « Les clubs vont payer des fans pour aller au stade, parce que l’expérience à la maison, dans ton pyjama, avec des biscuits dans le canapé (avec des lunettes de réalité virtuelle) est encore meilleure qu’aller au stade. » Tant pis pour les imbéciles (ultras, supporters, ou celui qui va simplement se jeter un verre devant le match à son bar sûr avec ses camarades), on vous le répète, le processus est inéluctable…
La cosmologie égotique de l’ex de Shakira condense des bribes de populisme (« on n’écoute pas le peuple, car moi je sais ce qu’il veut ») et de libéralisme outrancier (« le foot n’existe que pour son économie, peu importe ce que vivent ou veulent les réfractaires… »). Dans son esprit, les amateurs de ballon IRL (In real life) représentent sûrement les équivalents des collectionneurs de 33 tours, des nostalgiques élitistes, mais l’avenir de la musique ne peut être que streaming… Heureusement, le foot a d’autres horizons à offrir que de se vautrer en immersion virtuelle. Cela fait plus de 150 ans qu’il est un des premiers réseaux sociaux sur la planète.
Par Nicolas Kssis-Martov