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Gerard Piqué : la loi, l’éthique ou les deux

Par Anna Carreau
6 minutes
Gerard Piqué : la loi, l’éthique ou les deux

Ce lundi, le journal El Confidencial révélait que Gerard Piqué, ou plutôt son entreprise Kosmos, avait touché 24 millions d’euros sur six ans, pour avoir filé un coup de main dans la mise en place du nouveau format de la Supercoupe d’Espagne disputée en Arabie saoudite. Le défenseur du FC Barcelone, qui participe lui-même à cette compétition, n’y voit aucun problème éthique et plaide une simple affaire économique. Mais c'est un peu plus compliqué que ça.

Comme il n’y a jamais de jour de repos au FC Barcelone, El Confidencial s’est dit qu’un Lundi de Pâques était la date parfaite pour sortir une information exclusive. Enfin, pas si exclusive. Le média espagnol, spécialisé dans les « révélations » , a publié un audio d’une discussion privée entre Luis Rubiales, président de la fédération espagnole, et Gerard Piqué où les deux évoquent les montants de la commission que touchera Kosmos, l’entreprise du défenseur catalan, pour l’organisation de la Supercoupe d’Espagne en Arabie saoudite. Une information qui en réalité était publique depuis 2019, date de changement du format de la compétition, qui est passée de deux à quatre clubs, et délocalisée dans le royaume du Moyen-Orient. Le tout pour un contrat très juteux, rémunéré 40 millions d’euros par an par la SELA, société publique de marketing sportif d’Arabie saoudite, duquel Kosmos perçoit quatre millions par an, en tant qu’intermédiaire. La société de Gerard Piqué n’est donc pas payée par la Fédération, mais touche une commission du contrat qu’elle a mis en place entre la RFEF et les Saoudiens, ayant aussi participé à la transformation de la compétition pour la rendre plus lucrative.

« Selon moi, il n’y a pas de conflit d’intérêts »

Le changement garantit presque systématiquement la présence du Real et du Barça, qui n’ont plus besoin de gagner la Liga ou la Copa pour y figurer, mais simplement de finir dans les trois premières places du championnat ou de remporter la coupe. Le tout avec à la clé huit millions d’euros pour chacun d’eux, quand les deux autres clubs se partagent deux à trois millions. Piqué, pas si mauvais en maths, calcule à voix haute avec le président en vocal : « Voyons, Rubi (petit surnom qu’il se permet avec le président de la fédé, NDLR), si c’est une question d’argent et que le Real Madrid ne participe que pour huit millions, on en file huit au Real et au Barça… les autres sont payés deux et un… Ça fait 19, et tu gardes les six kilos(six millions, NDLR)de la fédération, mec. » Le contrat atteint finalement la somme des 40 millions par édition, une partie allant donc au vainqueur, au finaliste et… à Gerard Piqué, via son entreprise. L’Espagne s’indigne immédiatement de voir non seulement l’international espagnol favoriser les deux géants locaux, mais surtout qu’il touche de l’argent d’une compétition à laquelle lui et son club participent. Le soir même des révélations, le défenseur barcelonais viendra défendre son business dans une conférence de presse improvisée, diffusée sur Twitch : « Je me sens très fier de cet accord, car pour le football espagnol, c’est un accord important, totalement légal et selon moi, il n’y a pas de conflit d’intérêts.[…]Avant, la fédération gagnait 140 000 euros par édition, maintenant ils en prennent 40 millions. » Une augmentation qui lui permet au passage de toucher un beau petit chèque, quand la fédération explique que ce supplément sera investi dans le football amateur.

Toujours prompt à tacler les Madrilènes, Gerard Piqué rappelle que sans le changement de format initié par son entreprise, le Real Madrid n’aurait pas gagné deux des trois dernières éditions, n’ayant pas les requis sportifs demandés pour y participer. Une façon pour le défenseur du Barça de se soustraire à toute accusation de favoritisme pour son club dans une compétition qu’il a aidé à mettre en œuvre. Le Gerard Piqué à la casquette d’entrepreneur dit aussi savoir « comment séparer ce qui est une affaire commerciale » de ce qu’il fait au quotidien : « À savoir jouer au football. » Luis Rubiales, qui paraît enfin en conférence de presse après 48 heures de silence, sort un argumentaire digne d’un prix Nobel de la paix et s’insurge contre « les gangsters et les voleurs qui ont volé des informations sur (s)on téléphone ». « L’opération est légale, on passe donc au niveau éthique, au conflit d’intérêt, acte celui qui se qualifie comme un combattant ayant toujours été du bon côté de la force. Chacun a sa propre morale, sa propre éthique. À la Fédération, nous avons trois filtres et nous avons passé les trois avant de signer cet accord. En ce qui concerne Piqué, j’aimerais qu’il y ait plus de footballeurs comme lui, qui sont des entrepreneurs et plus instruits. » Le tout en se présentant comme défenseur du football féminin en Arabie saoudite, en victime d’une personne que tous les médias connaîtraient, mais dont personne ne parlerait, et qui doute que l’on mette un jour de la cocaïne dans sa voiture pour l’accuser de nouveau.

Légal, mais pas moral

Si tout ce business est parfaitement légal, il pose donc la fameuse question de l’éthique. D’autant que les enregistrements entre Rubiales et le défenseur témoignent d’une relative proximité. Piqué, lui, rétorque que ses nombreuses années passées en sélection lui ont permis de tisser des liens privilégiés. Ce qui lui permet de passer un coup de fil au président de la fédé quelques jours avant la révélation de la sélection olympique espagnole, pour faire pression sur celui-ci afin d’être du voyage à Tokyo : « Tu peux bien me faire ça, hein, Rubi. » Sans que Rubiales n’y voie aucun problème, il promet de l’aider. Des relations qui pourraient être utiles bien au-delà de sa casquette de joueur professionnel, lui le propriétaire du FC Andorra, leader de son groupe en troisième division espagnole, gérée par la Fédé. Et même s’il rappelle que le club qu’il a acquis en 2018 a fini à neuf contre onze avec un penalty donné à leurs adversaires lors de son match de play-off pour la montée en D2 la saison passée, le doute subsistera toujours. « Il y a, en toile de fond, l’étrange facilité avec laquelle il a pu prendre la place du défunt Reus Deportivo pour son Andorra », rappelle aussi Alfredo Relaño dans une tribune pour le journal madrilène AS.

À force de cumuler les casquettes d’homme d’affaires, d’organisateur de la Coupe Davis, de streamer occasionnel en compagnie du YouTubeur espagnol Ibai Llanos, de négociateur d’un sponsor du Barça, de réalisateur d’un film de Griezmann qui trolle son club, de sauveur de la communauté autonome de Madrid à qui il fait livrer des masques en pleine pandémie et, de temps à autre, de défenseur central du FC Barcelone… Gerard Piqué finit donc logiquement dans un conflit d’intérêts. « Tout indique que c’est légal, mais il y a un conflit d’intérêts évident », assure Juanma Castaño, rédacteur en chef de Cope, qui donne l’exemple suivant : « Je ne comprendrais pas que Rafa Nadal aille à Roland-Garros et ait un accord économique avec Roland-Garros alors que le reste des joueurs de tennis n’en ont pas. » Si Diego Simeone est persuadé que Gerard Piqué est « très intelligent » et ne verse pas dans le mélange des genres, le défenseur assure qu’une telle affaire ne remettra pas en cause ses affaires, toujours plus lucratives qu’éthiques. « Nous travaillons aussi avec la Liga, l’UEFA et la fédération, complète-t-il en conférence de presse. Vous savez, le conflit d’intérêt quand vous apportez une opportunité… les gens sont intéressés. C’est comme ça que le business fonctionne. Alors vous pouvez penser que c’est bien ou pas, mais c’est la façon dont ce pays fonctionne et je n’ai aucun problème à l’expliquer. » Rendez-vous donc pour un prochain épisode, quand Piqué aura délocalisé à Doha la finale de Ligue des champions à laquelle il participe.

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