- Disparition de Gérard Houllier
Gérard Houllier : Les risques du métier
Gérard Houllier avait failli périr d'une dissection de l'aorte en octobre 2001 à cause de son irrépressible passion pour la balle ronde. Seule l'arrivée rapide de Phil Thompson (et du médecin des Reds) l'avait sauvé d'une issue fatale à la mi-temps d'un Liverpool-Leeds. Depuis lors, il devait composer avec une santé vacillante. L'ancien instituteur du Pas-de-Calais laisse finalement un souvenir ambivalent, celle d'un visionnaire brillant malmené par un ego en mal de reconnaissance. Il est mort cette nuit des suites d'une ultime opération à l'aorte.
À l’heure de solder les comptes, des nécros écrites à l’avance, de résumer des existences au long cours en quelques feuillets (l’unité de mesure des pisse-copies), il y a toujours quelque chose d’injuste, de nécessairement réducteur, voire de vain. Ainsi, certains musiciens brillants sont souvent réduits at the end of the day à un tube facile, alors qu’ils ont accumulé les albums séminaux, par nature plus difficiles d’accès. Pour beaucoup, la vie de Gérard Houllier pourrait se résumer à l’élimination cataclysmique de l’équipe de France en 1993 contre Israël (2-3), puis la Bulgarie (1-2) pour le Mondial américain, et à son entêtement, pour le moins scandaleux, à faire porter le chapeau à David Ginola. Ce serait oublier la trajectoire étonnante d’un instituteur du Pas-de-Calais, devenu prof d’anglais, qui a grimpé quatre à quatre les échelons du football français jusqu’à diriger les Bleus avant de devenir le cornac d’une des plus grandes échoppes du continent, le Liverpool FC, sans passé de joueur professionnel. Il était écrit que 2020, Covid or not Covid, relèverait de l’hécatombe pour le foot international : Robert Herbin, Michel Hidalgo, Nobby Stiles, Jacky Charlton, Robby Rensenbrink, Ray Clemence, Bruno Martini, Papa Bouba Diop, Hans Tilkowski, Alejandro Sabella, Diego Maradona, Paolo Rossi et d’autres encore. Pour les plus superstitieux, il reste dix-sept jours à tenir.
Septembre 1969 : coup de foudre à Anfield
Peut-être bien que la vocation du futur coach de Lyon et du PSG est né un soir de septembre 1969 du côté d’Anfield où les Reds réduisirent à l’état de bouillie les Irlandais de Dundalk (10-0). Erasmus n’existait pas encore, mais le kop – où 28 000 supporters liverpuldiens pogotaient de concert -, si. Houllier se trouvait sur les rives de la Mersey dans le cadre de son CAPES d’anglais qu’il avait entamé à la fac de Lille. Il mettra quelque temps à terminer ses études à cause de la maladie de son père et deviendra un temps instituteur, puis directeur de l’école normale d’Arras. Ce séjour d’un an en Angleterre lui inoculera à jamais le virus pour le foot d’Albion. En 1973, il devient entraîneur-joueur du Touquet qui fraye alors en Promotion d’honneur. Son travail là-bas ne passe pas inaperçu. L’US Nœux-les-Mines, bastion du football nordiste à l’époque, l’accueille en 1978. Dès sa première saison, Gérard Houllier hisse le club en D2. Mieux, en 1981, le club du Pas-de-Calais joue les barrages d’accession à l’élite française, seulement battu par le Toulouse de Pierre Cahuzac. L’année suivante, les Nœuxois éliminent le FC Nantes en Coupe de France, avant de chuter face au PSG de Luis Fernandez et Safet Sušić, futur vainqueur de l’épreuve. En faire un métier est devenu une obsession pour l’ancien prof d’anglais. Sans surprise, il signe au RC Lens, le grand club du département, au début de la saison 1982-1983. Il y restera trois ans, conduisant l’enseigne Sang et Or en Coupe de l’UEFA. Comme tous les Rastignac de provinces reculées, Houllier rêve d’un destin extra-large. C’est déjà un bourreau de travail, complètement tourné sur son gratin, à la manière d’Arsène Wenger, qu’il retrouvera plus tard en Angleterre, et un homme de réseau hors pair. En 1985, il signe au PSG et succède à Christian Coste et à Georges Peyroche, l’homme des deux coupes de France (1982, 1983). « J’ai vécu une de mes plus belles saisons avec lui dès sa première année. C’était un homme qui m’a beaucoup aidé, toujours soutenu. Il était un grand professionnel et un homme profondément humain », rapporte aujourd’hui Luis Fernandez.
Dans la capitale, l’ancien instituteur va commencer par faire des miracles. Une première saison presque parfaite : champion de France avec une paire de demi-défensifs stratosphériques (Fernandez-Lemoult) qui se démultiplie à l’infini, et demi-finaliste de la Coupe, éliminé de justesse par les Girondins de Bordeaux. La suite ne sera pas du même tonneau : sorti par les Tchécoslovaques de Vítkovice au premier tour de la C1, puis 7e en fin de saison en D1, avant de sombrer l’année suivante (15e). Houllier est écarté à l’automne. L’homme va vite retomber sur ses pattes, il a de la ressource. Quelques mois plus tard, il devient l’adjoint d’Henri Michel, puis de Michel Platini, qui vient d’être appelé en équipe de France : à lui le terrain, à l’ancien skipper des Bleus la stratégie. Cette équipe de France de la realpolitik, avec Papin et Cantona en figures de proue, se qualifiera pour l’Euro suédois de 1992 (8 matchs, 8 victoires) sans faire rêver grand monde avant de chuter lourdement en Scandinavie, lors de la phase finale. Quand Platini démissionne avec fracas à l’été 1992, la Fédération se tourne « naturellement » vers son adjoint, c’est à cela que ça sert d’être un homme d’influence. On connaît la suite.
Après avoir mal débuté par une défaite à domicile contre le Brésil de Raí et un revers en Bulgarie pour le premier match des qualifications à la Coupe du monde 1994, l’équipe de France redresse la barre avant de brutalement sortir de la route en fin d’éliminatoires. La Suède et la Bulgarie, les deux équipes qualifiées du groupe, atteindront les demi-finales aux États-Unis. Pire, toute l’ossature de France 1998 est pourtant déjà là (Blanc, Desailly, Deschamps, Petit, Lizarazu, Djorkaeff), flanquée d’un trio royal Papin-Cantona-Ginola. Beaucoup ne s’en seraient jamais remis. Houllier, si. Il dirige les U18, les U20 avec qui il se crashe au Mondial en Malaisie 1997, après un titre européen, tout en devenant DTN du football hexagonal. Nicolas Anelka en concevra quelque amertume, ce ne sera pas le dernier. Au fond de lui, le natif de Thérouanne ressassera toute sa vie cette occasion unique ratée avec la sélection, notamment quand Aimé Jacquet, l’adjoint de l’adjoint en quelque sorte, conduira les Bleus au titre mondial en 1998. Il quitte alors le giron fédéral pour réaliser l’autre rêve de sa vie, entraîner Liverpool. La formation à la française lui ouvre, par ricochet, les portes du club le plus titré d’Angleterre à l’époque.
Mersey beaucoup
Sur les bords de la Mersey, Gérard Houllier doit d’abord partager le pouvoir avec Roy Evans. Le binôme ne fonctionne pas, et le second démissionne en novembre 1998. Le futur coach de Lyon entreprend un plan quinquennal destiné à réveiller le géant endormi. Il vend et achète beaucoup, manière de mettre sa patte. La première année, l’ennemi intime, Man’ United, fait un triplé historique (Champions’, Premier League, FA Cup) quand les Reds terminent septièmes du championnat. Chaque année, les Scousers progressent (4es en 2000, 3es l’année suivante, seconds en 2002…). Liverpool ne sera jamais champion d’Angleterre, ne gagnera pas la C1, mais l’année 2001 restera dans les annales : vainqueur de la Coupe UEFA, de la FA cup, de la Coupe de la Ligue, de la Supercoupe d’Europe et du Charity Shield, sans compter le Ballon d’or en fin d’année pour Michael Owen. Houllier rend leur fierté aux fans de Liverpool. « Un vrai gentleman du jeu, qui a toujours mis le club au-dessus de tout », assure aujourd’hui Ian Rush. En octobre 2001, il est victime d’une dissection de l’aorte et il doit la vie à des secours accourus rapidement, à la mi-temps d’un Liverpool-Leeds. Cinq mois plus tard, il revient à Anfield pour un match européen contre la Roma, où il est acclamé par les fans liverpuldiens. Il gagnera une dernière Coupe de la Ligue l’année suivante, mais le temps a passé. Les critiques se font de plus en plus vives, notamment en ce qui concerne sa politique de transfert et le jeu de l’équipe jugé « trop unidimensionnel ». En mai 2004, le board des Reds lui demande de quitter le club. Il est remplacé par Rafael Benítez, qui gagne la Ligue des champions dès sa première saison dans l’invraisemblable finale d’Istanbul contre le Milan, après avoir été mené 0-3. À peine le match fini, Houllier plastronne dans les vestiaires avec les joueurs qu’il a lancés (Carragher, Gerrard) ou qu’il a achetés (Hyypiä, Kewell, Hamann, Šmicer…) avec une inélégance rare. D’une certaine façon, il avait contribué au sacre des Reds, mais cette manière de « voler le show » à l’entraîneur espagnol touchait à l’obscène.
Doué pour se faire des potes et collectionner les ennemis
Gérard Houllier prendra ensuite une année sabbatique, jamais loin des terrains (comment pourrait-il en être autrement ?) avant de repiquer au truc. À l’été 2005, il prend place « au volant de la Formule 1 lyonnaise », selon le mot d’Aulas. La première année, le club rhodanien aurait pu gagner la Ligue des champions, éliminé au bout du compte sur une rapine d’Inzaghi et une erreur (rarissime) d’Abidal. La seconde saison, l’OL survole la première partie de championnat (51 points sur 57) avant de lentement décliner et de se faire sortir à Gerland par la Roma, cruelle et impavide comme seules peuvent l’être les équipes italiennes, en 8es de finale de la Champions’. Après un dernier passage à Villa, interrompu par un nouveau problème de santé, l’ex-skipper de Nœux-les-Mines deviendra un hiérarque de niveau international : ici à l’UEFA, là à la FFF (il faisait partie du Comex au moment de Knysna, savonnant la planche à Domenech, après avoir milité pour son maintien après l’Euro 2008) ou encore dans les arcanes de la galaxie Red Bull (de New York à Salzbourg) et pour finir à l’OL, où il conseillait le président. Houllier était doué pour se faire des potes comme pour collectionner les ennemis. Dans un livre, Secrets de coach, en 2011, il en avait remis une couche en accablant une nouvelle fois David Ginola, comme s’il lui fallait aux yeux de la postérité, un responsable à la béance jamais cicatrisée du France-Bulgarie de 1993. Pas vraiment la classe. L’homme pouvait être charmeur, puis cassant l’instant d’après. Il aimait le pouvoir et surtout les gens qui en disposaient. Finalement, son extraordinaire parcours – une manière d’excellence de la méritocratie républicaine et sportive – aurait dû lui valoir une reconnaissance unanime, surtout qu’il reste l’un des quatre seuls entraîneurs français avec Helenio Herrera (franco-argentin), Luis Fernandez et Zinédine Zidane à avoir gagné une Coupe d’Europe. La réalité est un peu plus compliquée.
Par Rico Rizzitelli