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Gérald Passi : « Je faisais du Passi ! »
Gaucher talentueux, Gérald Passi faisait partie des successeurs potentiels de Michel Platini. Si le frère de l’ancien entraîneur de l’OM n’a pas égalé Platoche, il a régalé par son style atypique les supporters français et... japonais.
Dans une interview donnée au Téfécé, vous déclariez : « On croit que je suis dilettante, mais je m’accroche comme les autres. » C’est l’histoire de ma carrière. Les gens ont toujours pensé que je jouais de manière tranquille, mais je vivais le foot à 100%. Certains ont une façon particulière de jouer et on a toujours l’impression qu’ils peuvent faire plus, j’en faisais partie. Quand vous réussissez, on dit que c’est génial et lorsque vous ne réussissez pas, vous êtes nonchalant et manquez de détermination.
Vous étiez meneur de jeu.Meneur de jeu à l’ancienne, numéro 10. Pas une grosse culture défensive, même si je m’y suis mis lorsqu’il a fallu, notamment à Monaco. J’aimais donner le ballon, faire des passes, jouer long. À l’époque, ça se faisait beaucoup. Les passes longues dans des intervalles. Je n’étais pas vraiment un dribbleur, mais j’aimais bien ça quand même.
Est-ce que la vision du jeu se travaille ?
Il y a des choses innées. J’étais Passi, pas Platini. Lui avait une perception tellement large du terrain, tellement précise et surtout un pied magnifique. Mais en même temps, je pense que ça se travaille car il faut rester éveillé, concentré sur la situation, sur ce qui se passe sur le terrain. Ça faisait quand même partie de mes qualités d’être capable de savoir quasi à tout moment où j’étais situé et ce qu’il se passait autour de moi.
Numéro 10, c’était dans votre ADN ?J’ai toujours joué milieu. Plus petit, je marquais quand même plus de buts. Je n’étais pas attaquant parce que je n’avais pas la vitesse. Je n’étais pas non plus explosif lorsqu’il fallait me retourner, mais j’avais une forme de dribble assez bizarre pour certains, faite de feintes, de touches de balle. Il me permettait de sortir du marquage adverse.
Après votre carrière, vous vous reconvertissez dans le design. Peut-on y voir un lien avec le côté artiste du numéro 10 ?Il y a un lien dans le sens où c’est de la création. Sur le terrain, j’étais un créateur et j’avais trouvé, grâce au design, un moyen d’exprimer ma créativité à travers quelque chose qui était quand même de l’ordre de l’analyse. Il y avait un peu des deux. Le poste de numéro 10 demande cette analyse des temps de jeu, de la prise en considération de tout ce qu’il se passe autour, où sont nos partenaires, de ce qu’on peut faire avec le ballon. Je pense qu’il y a un lien. Je pense même qu’il y a un lien intéressant avec ce que je fais maintenant. Je suis recruteur, et pour moi, c’est du design. C’est exactement la même méthodologie de création, de pensée. Recruter, c’est à la fois trouver le produit qui va bien dans l’univers dans lequel il doit être exposé, et qui a les caractéristiques adéquates pour fonctionner.
Vous êtes né à Albi en 1964, le football, c’est une affaire de famille chez les Passi.Ah oui, on ne pouvait pas y échapper ! Mon père est congolais. Il est venu en France pour jouer au football. Il a été joueur, puis entraîneur. Il aurait même pu être professionnel, mais il n’a pas eu autour de lui des personnes pour lui faciliter les choses. Mais il nous a suivis. Il était assez exigeant, mais proche de nous.
Franck et vous avez deux ans de différence. Vous êtes l’aîné. Dans une interview donnée à 20 minutes, vous disiez : « Je lui montrais la voie, mais j’essuyais les plâtres. » Tous les aînés essuient les plâtres (rires). Il avait le droit de faire plein de choses qui ne m’étaient pas permises. Franck a bénéficié du fait que je sois passé avant. C’est logique.
Quelles choses par exemple ?Les sorties, il y avait plus de mansuétude pour ce que faisait Franck. Mais c’est vrai dans toutes les familles. Les parents sont plus exigeants avec le premier qu’avec le second. Avec le premier, on est sur des principes, on relativise mieux avec le deuxième.
Qu’est-ce qui vous rapproche ?Tout. Notre éducation, nos valeurs, la manière de voir la vie. Pourtant, on est vraiment éloignés en matière de personnalité.
Qu’est-ce qui vous différencie ?
On a été bercé par le football, c’est un peu notre éducation. J’avais un peu plus d’aisance avec le ballon. Pour Franck, c’était certainement un peu plus compliqué techniquement, mais il s’est construit au travers de cette difficulté. C’est quelqu’un qui fait face à tout. Il est solide comme un roc. Il a une vision. Sans dire qu’il fonce, il va au bout de ses idées. Moi, j’étais un peu plus artiste, un peu plus léger concernant tout ça. On n’a pas dû affronter les mêmes problèmes, donc on s’est construit différemment.
Vous avez joué à Toulouse et Montpellier ensemble. D’un point de vue technique, se comprend-t-on mieux, est-ce que ça facilite les automatismes ?On n’avait aucun souci relationnel, c’est déjà important. Si on rencontrait un problème sur le terrain, ça pouvait se régler tranquille entre nous. En plus, Franck jouait à l’origine numéro 6 et moi numéro 10. Ça fait partie d’un lien privilégié aussi sur le terrain. On se comprenait, on se connaissait. Dans le jeu, chacun pouvait encore aider mieux l’autre parce qu’on était frères. Je trouve même qu’on ne l’a pas fait suffisamment. Lorsque Franck jouait latéral, on avait moins de proximité, donc c’était plus difficile.
Vous vous êtes affrontés en 1988 lors d’un Toulouse-Marseille, avec ce fameux tacle qu’il vous a adressé. Ce n’était pas évident. On était attendu, il y avait un gros focus sur ce que nous allions faire. Je fais partie de ceux qui pensent que le football reste un jeu, au-delà de toutes les envies de gagner et tout ce qui en découle. Franck est quelqu’un de déterminé. Son tacle était engagé mais correct. Il n’aurait jamais fait quoi que ce soit de négatif. Il était dans sa tâche, à 100%. Il avait une grande détermination. Ça n’a pas été un grand match non plus, mais c’était un moment assez particulier que deux frères s’affrontent et que l’un marque l’autre. On était à l’époque du marquage individuel. Ce n’était pas simple, mais pas trop compliqué non plus.
Il y avait de l’intox entre vous, des clins d’œil, des sourires ?Non, c’était quand même sérieux. Tous les matchs sont importants (rires). Je sais relativiser, mais si je peux gagner, je gagne. On fait le maximum, et à la fin, on se fait une bise et on repart ensemble. C’est d’ailleurs ce qu’on devrait tous faire, qu’on soit frère ou non.
Je vous cite : « J’ai toujours pensé que Franck était un numéro 1. Au départ, il fallait qu’il travaille sur lui, c’était une étape contre nature. » Je connais trop bien Franck, c’est un leader. C’est quelqu’un qui depuis toujours est un numéro 1 dans la vie. C’est un leader de terrain, dans les vestiaires. Il était capable d’être leader pour sa vie et celle des autres. Quand je disais travailler sur lui, c’est que lorsque vous êtes un potentiel numéro 1, c’est dur de rester numéro 2. Au tout début, ce n’était pas gagné. Ce n’est pas simple de rester à sa place, mais il l’a très bien fait avec les différents entraîneurs dont il a été l’adjoint.
Vous avez été formé au Montpellier Paillade Sport Club, l’ancien nom du MHSC, et avez débuté en pro lors de la saison 1981-82.
Ce sont des belles périodes pour moi, car elles étaient pleines d’insouciance. Un an plus tôt, j’étais en Junior B, à l’école. Un an plus tard, je jouais en pro, je n’avais même pas dix-huit ans. C’était une belle histoire, j’ai toujours aimé le football. Lorsque j’ai fait mon premier match contre Tours en première division, j’étais avec Jean-Louis Gasset dans la chambre et j’ai dormi toute la sieste. Le club était dans une situation inconfortable, lui n’avait pas trop dormi. Il me regarde et me dit : « Tu as dormi comme un bébé. » Oui, ce n’était qu’un match de foot, en première division certes.
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En 1985, vous partez à Toulouse où vous vous révélez aux yeux du grand public, avec cette même insouciance.Oui, là encore, c’était une belle histoire. J’arrive à Toulouse de deuxième division, très content de fuir Montpellier, et finalement, on fait deux saisons exceptionnelles. Pour la première : qualification pour l’Europe à la dernière journée. C’était trop bien. L’insouciance a continué. Je jouais sans réfléchir, sans pression, et vous savez, moins il y a de pression, mieux on joue.
Comment ne pas avoir de pression lorsqu’on joue dans des stades pleins, en étant un meneur de jeu ?Je le faisais naturellement, l’important c’était de jouer, m’amuser, régaler. Plus tard, ça a été plus compliqué. On prend la mesure de l’enjeu et d’un seul coup, on subit beaucoup plus de pression.
À quel moment le changement s’est-il produit ?À partir du moment où j’ai été sélectionné en équipe de France. Tu es regardé, épié, à chaque fois que tu sors. Tu fais partie du groupe France, tout le monde te juge. Chaque semaine, chaque match représentait un niveau supérieur lié à l’équipe de France. C’est vrai que ça reste un poids important à porter. En club, dans la vie, le fait d’entrer en équipe de France, c’est une autre exposition.
À Toulouse, vous retrouvez Jacques Santini, que vous allez ensuite rejoindre à Saint-Étienne. Quels étaient vos liens ?
Jacques, c’est celui qui m’a fait débuter, alors c’est bien que vous posiez la question. C’est quand même lui qui m’a permis d’arriver en équipe nationale. Lorsque j’ai signé à Toulouse, j’avais été choisi par Daniel Jeandupeux, malheureusement pour lui, il n’a pas été conservé à mi-saison. Jacques est arrivé. Je le connaissais de Montpellier. C’était un jeune entraîneur, il me connaissait, des liens se sont créés. C’est aussi pour ça que je l’ai suivi après à Saint-Étienne.
Santini arrivait à comprendre votre âme d’artiste.Mes plus belles années toulousaines, c’était avec lui. Il m’a fait travailler, il m’a même protégé à des moments où j’aurais voulu jouer tous les matchs. Logiquement, j’aurais dû les jouer, mais j’étais tout jeune. Il y avait une vraie relation.
À Toulouse, vous découvrez la Coupe d’Europe et vous éliminez le Naples de Maradona en 1986.C’était extraordinaire. En plus, à ce moment-là, je n’avais jamais joué la Coupe d’Europe. On a construit notre équipe en quelques années et on joue contre le meilleur joueur du monde de l’époque. Allez jouer à Naples, c’était fabuleux, mais malheureusement, je me dis que je n’ai pas assez de souvenirs. Les matchs s’enchaînent et on passe à autre chose. Les supporters se massaient le long de la route qu’on a empruntée pour aller jouer là-bas. Il y avait au moins 80 000 personnes dans le stade, c’était terrible. Maradona était un dieu. Très, très belle expérience, des souvenirs exceptionnels et en même temps, c’est aussi la limite de ce qu’était le football français à cette époque-là. Finalement, on a vécu ça comme une belle histoire, mais ça s’est vite arrêté. Il aurait fallu aller plus loin. On a éliminé Naples, mais pas Moscou.
Pourtant, vous inscrivez à l’aller face au Spartak, un triplé dont tous les Toulousains se souviennent.Ça fait partie des matchs exceptionnels. Le premier but était extraordinaire. Je suis au-delà des vingt mètres. Le ballon m’arrive sur un corner, amorti de la poitrine, volée, dans la lunette de Dasaev. Magnifique. Après, les choses tournent bien, comme dans un bon film (rires). Le dernier but, je pars du milieu de terrain, je m’enfonce droit devant, en éliminant tous les joueurs de mes dribbles un petit peu bizarres, pour aller battre Dasaev. Si c’était le match parfait au niveau des buts, ça ne l’était pas au niveau du contenu. Je l’ai revu, il y avait pas mal à redire. Ce n’était pas mon meilleur match, mais c’était celui où j’ai marqué trois buts à Dasaev.
En 1990, vous signez à Monaco. On va évidemment parler de votre but en finale de Coupe de France 1991. Sur les images, vous avez l’air tellement heureux.
Je ressens une immense joie et ça se voit. Je n’ai pas l’habitude d’être comme ça au moment où je marque un but. J’entre en transe pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’était la dernière minute et que ce but nous permet de remporter la finale de la Coupe de France. Mais la raison la plus forte est que, quelques semaines avant, alors que tout allait bien, je crois que c’est Fichaux qui m’avait blessé lors d’un match contre Lille. Il m’avait pété le genou. J’ai travaillé très, très dur pour avoir la chance de participer au match. Finalement, je marque le but vainqueur. C’était à la fois une grande joie par rapport au résultat, mais aussi par rapport à ce que j’avais pu réaliser pour revenir au niveau.
L’année suivante, il y a une finale de Coupe des coupes perdue contre Brême.Ça m’évoque un grand regret, mais aussi la finale de la Coupe de France gagnée. J’étais avec Franck Sauzée. Je lui dis : « Franck, tu te rends compte, on va jouer une finale de Coupe de France. » Et lui qui en avait joué avant moi m’avait dit : « Mais Gérald, jouer une finale si on ne la gagne pas, ça ne sert à rien. » Sur le coup, je n’ai pas compris la profondeur de cette phrase, mais je l’ai réalisée l’année suivante lorsqu’on perd cette finale de Coupe d’Europe. C’est une phrase bateau, mais une finale, ça se gagne. On l’a perdue, c’est un vrai regret. J’aurais aimé vivre ça, être le premier club français à gagner une Coupe d’Europe.
En 1992 vous signez à Saint-Étienne à la demande de Jacques Santini, mais la saison suivante, vous demandez un entretien pour mettre fin à votre carrière.L’année d’avant, on finit cinquième ou sixième aux portes de l’Europe. L’année d’après, il y a un putsch. Le président Laurent est éjecté, on met un nouveau président, de nouveaux joueurs. Ça n’a pas trop fonctionné. Je ne l’ai pas trop vécu parce que j’étais souvent blessé. À la suite de cette année, les dirigeants ont voulu faire des économies, repartir à zéro. J’avais d’autres projets.
Qui a mené le putsch ?À l’époque, Casino avait repris les rênes, donc il y avait M. Guichard qui était président, et l’année d’après, c’était M. Vernassa.
Pourquoi être sorti de votre retraite pour tenter l’aventure japonaise ?
J’ai toujours eu envie d’aller vivre en Asie. Et là, pour le coup, il y a eu une espèce de concours de circonstances. Un jour, mon frère m’appelle pour me dire qu’Arsène Wenger a signé au Japon. Et là, je me suis demandé comment il avait fait, parce que pendant mes années monégasques, j’avais moi aussi essayé d’aller en Asie. À l’époque, il n’y avait pas tant de possibilités. J’avais pensé à la Chine, mais il n’y avait rien, et le Japon n’avait pas commencé. Lorsque le coach Wenger m’a dit qu’on était venu le solliciter, il m’a dit : « Gérald, je ne savais pas que tu étais intéressé par l’Asie. » J’ai répondu : « Ça m’a toujours intéressé. » Il conclut : « Si ça t’intéresse, moi aussi. »
Quels souvenirs en gardez-vous ?Magnifiques et frustrants. Magnifiques parce que tout était là pour s’éclater avec un football qui était ce qu’il était, mais il y avait tout autour des structures pour lui permettre d’émerger. Il y avait beaucoup de choses à faire, une folie autour du football. Tout était réuni pour s’éclater. Malheureusement, ma blessure datant de Saint-Étienne ne m’a pas permis de bien jouer. J’ai arrêté. Mais avec le recul, j’aurais pu rester longtemps au Japon.
Et Arsène Wenger ?Il fait partie des grands hommes. On ne va pas parler de l’entraîneur, mais de l’homme. On a gardé un lien, c’est sûr. C’est un homme fidèle, avisé, stable, mesuré, intelligent, qui a dédié sa vie au football, mais il n’oublie pas pour autant la vie des hommes.
Vous comptez onze sélections en équipe de France. Est-ce qu’il n’y a pas quelques petits regrets ?
Si, il y en a, parce que je pense que j’aurais pu mieux faire. Ce n’était peut-être pas le moment ou le bon environnement. Je retiens un truc qui m’a quand même assez étonné a posteriori. Ma génération vient juste après celle de Platini, Giresse, Tigana. Ces joueurs mythiques ont régné sans partage sur l’équipe de France pendant une quinzaine d’années. Il n’y avait pas de place pour les jeunes de la génération d’après. Finalement, l’équipe était faite, et tellement bien faite que seul un ou deux jeunes ont pu s’intégrer. Toute la génération d’Ayache, Vercruysse n’a pas eu la chance de jouer ou en tout cas pas suffisamment. Ils manquaient d’expérience. Et quand tous les gros joueurs ont arrêté, c’était au même moment. Ça nous a mis dans une situation assez inconfortable. Ce n’est pas une critique. Je ne me permettrais pas de juger. Ils avaient déjà fait l’histoire de l’équipe de France. Mais en revanche, les dirigeants auraient dû prévoir la suite et ils ne l’ont pas fait. J’espère que ce genre d’erreurs permettra d’anticiper les ruptures de générations.
On vous a comparé à Platini. Comment le viviez-vous ?C’est très simple. Ce que faisait Platini en tant que joueur, ça m’éclatait. Ça reste une référence. Je savais pertinemment que je n’étais pas capable de le faire. Ça ne m’a donc jamais mis de pression. Ça me l’aurait mise si je m’étais dit que je n’étais pas loin (rires).
Vous étiez réaliste ou vous manquiez un peu d’ambition ? J’étais réaliste, je ne manquais pas d’ambition. Je faisais du Passi et l’histoire me donne raison. Pour l’instant, des Platini, il n’y en pas eu cent. Il y a eu Zidane, mais Zidane faisait autre chose. Il a fait gagner l’équipe de France en Coupe du monde. Il fait des choses encore plus fortes. J’essaie d’être objectif. Quand on voit ce qu’était capable de faire Platini…
NB : L’interview a été réalisée avant le départ de Franck Passi de l’Olympique de Marseille.
Par Flavien Bories