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Darmanin, à en couper le sifflet

Par Pierre-Philippe Berson, à Paris

Ses dernières attaques envers Karim Benzema en attestent : Gérald Darmanin anime constamment le côté droit du gouvernement. Avant de prendre autant parti, le ministre de l’Intérieur officiait comme arbitre dans le Val-de-Marne. Une expérience dont il garde visiblement quelques traumatismes.

Minister of the Interior Gerald DARMANIN during the Press Conference regarding the security of the Opening Ceremony of the Olympic Games on May 23, 2023 in Paris, France. (Photo by Daniel Derajinski/Icon Sport)
Minister of the Interior Gerald DARMANIN during the Press Conference regarding the security of the Opening Ceremony of the Olympic Games on May 23, 2023 in Paris, France. (Photo by Daniel Derajinski/Icon Sport)

Elle était censée déringardiser les hommes en noir et les faire rentrer dans le monde des maillots colorés. Diffusée lors des coupures pubs de Téléfoot, la réclame démarre par un flash qui éclaire le visage d’un arbitre à l’œil perçant. Elle se poursuit par une série de highlights ponctuée par un tour d’honneur sous les projecteurs. Le film dure 22 secondes et montre quelques stars de l’arbitrage du tournant des années 1990, comme Bruno Derrien ou Nelly Viennot. Sur les manches courtes de leur nouveau maillot jaune flashy, le sponsor La Poste. En voix off, ce message : « La Fédération française de football recrute 25 000 arbitres. Renseignez-vous au 0 826 165 000. » La main tendue est facturée 0,15 euro la minute. Si le numéro surtaxé n’est plus d’actualité, le slogan de la pub est quant à lui entré dans la légende du football français : « Arbitres de football, on n’a pas le même maillot, mais on a la même passion. » Une formule qui a marqué une génération de téléspectateurs, parmi lesquels Gérald Darmanin, alors arbitre de district dans le Val-de-Marne depuis deux ans. « Je me souviens très bien de cette publicité. À la même période, j’avais reçu un maillot fuchsia », replace le ministre de l’Intérieur depuis ses bureaux de la place Beauvau. Entre deux réunions sur l’immigration et la sécurité, ce dernier avoue qu’il s’inspire encore du fameux slogan lorsqu’il s’agit de resserrer les liens entre ses troupes. « Je le dis souvent dans des réunions aux policiers et aux gendarmes, parce qu’il y a toujours une guéguerre entre police et gendarmerie : “Vous n’avez pas le même maillot, mais vous avez la même passion” », confie-t-il, avant de marquer une pause, comme s’il était soudain pris d’un doute sur la clarté du message. « Je ne suis pas sûr que tout le monde comprenne la référence… »

Le choix de l’ambition

Gérald Darmanin a fréquenté le petit monde de l’arbitrage pendant cinq saisons, entre 1998 et 2004. Un choix par défaut plus qu’une réelle vocation, car à la base, le licencié de l’AS Centre de Paris ne rêvait que d’une chose : percer en tant que footballeur. « J’étais un défenseur un peu rugueux, extrêmement moyen, ausculte le ministre. Un dirigeant m’a dit : “Si tu veux faire du haut niveau, il y a un moyen, c’est être arbitre.” » Darmanin, 16 ans, prend alors immédiatement une licence au club de l’AS Banque de France, l’entreprise publique qui emploie sa mère comme concierge. Séparée, elle vit avec son fils dans les locaux de l’institution, rue de la Vrillière, dans le 1er arrondissement de la capitale. C’est elle qui fait les présentations entre son ado et Jacques Mesas, le président du club. « J’ai le souvenir de quelqu’un d’extrêmement timide, réservé, revoit celui que tout le monde appelle “Jacky”. On ne pouvait pas imaginer qu’il allait faire carrière. Sa mère nous l’avait présenté en disant que c’était l’arbitrage qui l’intéressait. C’est toujours une tannée de trouver des arbitres, donc on a dit oui tout de suite. C’était assez inédit d’en avoir un si jeune. »

J’aurais bien voulu arbitrer une finale de Coupe du monde. J’ai plus rêvé à cela qu’à être président de la République.

Gérald Darmanin, premier flic de France

Drôle de demande, et drôle de club. Le siège de l’AS Banque de France est situé à Bougival, dans les Yvelines. L’équipe joue en DH. Dans ce foot corpo, les derbys ressemblent à des fusions-acquisitions. Les clubs rivaux se nomment BNP Paribas, Crédit lyonnais ou Orange. C’est loin d’être sexy, mais c’est un début pour celui qui s’est mis en tête de devenir un ténor de l’arbitrage. Un moyen détourné de percer sur la piste aux étoiles qui en dit déjà long sur l’ambition de celui qui sera quelques années plus tard l’un des plus jeunes directeurs de cabinet ministériel. « Quand il était adolescent, il disait : “Plus tard, je serai arbitre professionnel ou président de la République” », remet Jean-François Delecaut, ancien secrétaire de l’AS Banque de France. L’intéressé corrige aujourd’hui ces ambitions politiques, mais pas celles liées à l’arbitrage. « Je n’ai jamais voulu être président de la République à 14 ans, ni à 16, ni à 25, jure Darmanin, dont les approximations régulières avec les faits n’obligent pas à le croire. Par contre, oui, je voulais être arbitre professionnel ou semi-professionnel. J’aurais bien voulu arbitrer une finale de Coupe du monde. J’ai plus rêvé à cela qu’à être président de la République. »

« On m’a insulté, mais on ne m’a jamais agressé physiquement »

Ses premiers coups de sifflet ont lieu pendant des rencontres de district et des matchs amicaux de son propre club. Il dirige notamment une partie à laquelle participe Pascal Perrinelle, latéral gauche de l’AS Banque de France, qui a fait le rapprochement des années plus tard, quand Darmanin a commencé à pointer son nez sur BFMTV. « Vers 2012, par là, un soir dans le vestiaire, on me dit : “T’as vu le député de Tourcoing ? Bah ce Darmanin, là, il nous a arbitrés quand il était jeune.” Là, je dis : “Ah mais oui, putain !” Je remets son visage, il avait quasiment le même quand il était adolescent. J’ai fait la connexion direct. » À l’époque, Perrinelle joue en seniors et chiffre une petite trentaine d’années. Darmanin en a la moitié et affiche une dizaine de centimètres de moins que lui. Pour faire oublier son visage de gamin et cette voix fluette qui ne colle pas à l’idée qu’on se fait habituellement de l’autorité, il la joue profil bas. « Je ne me souviens pas d’un arbitre qui prenait des décisions complètement débiles, explique Perrinelle. Il était très consciencieux, très propre dans ce qu’il faisait. Très scolaire, je dirais. »

Je ne me souviens pas d’un arbitre qui prenait des décisions complètement débiles. Il était très consciencieux, très propre dans ce qu’il faisait. Très scolaire, je dirais.

Pascal Perrinelle, ancien latéral gauche de l’AS Banque de France

Parfois, les réactions sont plus franches, et les matchs moins amicaux. C’est notamment le cas lorsque la future recrue de la Macronie est affectée à l’autre bout de l’Île-de-France, dans le district du Val-de-Marne, là où la moindre fausse note au sifflet peut coûter très cher. « Je me souviens de matchs à Thiais, des trucs très, très difficiles, souffle le premier flic de France. Au Kremlin-Bicêtre, c’était pas évident. À Créteil, pas simple non plus… Quand vous êtes tout seul, que vous avez 17 ans et que vous êtes entouré de grands gaillards qui sont dans une cité, que vous arrivez en transports en commun et que vous repartez après seul, il faut avoir une certaine confiance en soi. J’ai reçu des insultes, des gens m’ont menacé, mais jamais personne ne m’a agressé physiquement. » Cela a-t-il provoqué chez le futur ministre un trauma de jeunesse, qui se réveillera 20 ans plus tard par des déclarations à faire pâlir l’extrême droite, du style « il faut stopper l’ensauvagement d’une partie de la société » ou « la France est malade de son insécurité » ? Quoi qu’il en soit, le jeune arbitre est chahuté. Secoué, même. À en croire Janine Foulard, une amie de sa mère qui joue de temps en temps le taxi et le transporte sur certains terrains, il aurait même frôlé la mise à l’amende. « Je me souviens que la police a été obligée de le raccompagner jusqu’au métro dans une banlieue, je ne sais plus laquelle. » La police, non. « Mais des dirigeants du club, oui », rectifie le ministre.

Costume et maillots dans le short

Quand il se déplace, l’arbitre Darmanin dégage une impression de premier de la classe, voire de tête à claques. Il se présente aux avant-matchs en chemise et costume, une habitude qu’il conservera lors de ses études à l’Institut d’études politiques de Lille. Il a horreur des baskets et porte toujours des chaussures de ville, cirées comme pour un mariage. « Ça devait les dérouter, les clubs, de voir arriver un gars en veste-chemise pour un match de district. Quand on est en bas de l’échelle, on est normalement en jogging. Plus on monte, plus on s’habille. D’abord jean-baskets, puis chemise, et on finit en costume quand on est tout en haut de la pyramide », décode Olivier Smoliga, un confrère arbitre avec lequel Darmanin se lie. Les deux hommes suivent ensemble des cours d’arbitrage à la Ligue de Paris et obtiennent le concours qui les fait monter d’un cran pour devenir arbitres de fédération. Fini les traquenards en bout de RER. Désormais, on leur confie des matchs de moins de 15 et de moins de 17 dans les centres de formation de clubs professionnels. Gérald visite la France. Il arbitre l’Olympique lyonnais ou le FC Nantes sur son terrain d’entraînement de la Jonelière. Smoliga, lui, se souvient du jeune Hugo Lloris défendant les cages de l’OGC Nice et de matchs de l’AJ Auxerre en présence de Guy Roux, assis sur une chaise en plastique dépliée en bord de terrain.

La consécration vient quand le duo pénètre dans le saint des saints du football tricolore, Clairefontaine. Ils s’y rendent pour des stages de deux ou trois jours, dirigent des matchs de sélections régionales, passent quelques nuits sur place et deviennent potes. « On avait nos petits surnoms, lui, c’était Gégé », sourit Smoliga. Les deux hommes partagent également une obsession pour une directive populaire à l’époque : les maillots rentrés dans le short. Le ministre serait presque nostalgique de cette règle tombée en désuétude avec le rétrécissement des liquettes. « C’est très important, pointe-t-il encore. Si tout le monde, au moment d’un corner ou d’un coup franc, a le maillot dans le short, et s’il y en a un qui est hors du short après le coup de pied arrêté, c’est la preuve que ce maillot a été tiré. Je trouve ça toujours mieux que les maillots soient dans le short, mais si ça se trouve, je suis un peu ringard. » Ou un peu spécialiste des faux problèmes. Quand les stages à Clairefontaine se terminent et qu’il faut rentrer à Paris, Smoliga ouvre la portière de sa Renault 19 et Gérald monte à la place du mort. Pendant tout le trajet, il parle de politique, encense Jacques Chirac et tente de persuader son chauffeur de prendre comme lui sa carte au RPR. « Il ne me saoulait pas, assure pourtant Smoliga. J’aimais bien parler politique, mais disons qu’on n’était pas d’accord sur tout… »

Gérald Darmanin, à gauche, avec Stéphanie Frappart, Olivier Smoglia et Benoît Millot.
Gérald Darmanin, à gauche, avec Stéphanie Frappart, Olivier Smoglia et Benoît Millot.

L’arbitrage comme caution

Une photo a immortalisé cette période où Darmanin se faisait invectiver par des inconnus accoudés à la rambarde. On y voit le futur ministre en survêtement de quatrième arbitre. À ses côtés, Olivier Smoliga pose entouré de Stéphanie Frappart et de Benoît Millot. « On doit se demander qui est le seul qui n’a pas percé », plaisante celui qui a remballé cartons et sifflet pour consacrer ses samedis à sa femme, ses gosses et sa maison « avec des travaux ». Il est aujourd’hui directeur financier d’une filiale d’Orange. Les télécoms et la finance forment des secteurs d’ordinaire peu représentés dans l’arbitrage. Souvent, juges de lignes ou arbitres de champ sont policiers ou militaires. À l’orée des années 2000, ils composent même entre un tiers et la moitié des effectifs, avec pour têtes de gondole Pascal Garibian, commandant à la brigade des mineurs, Antoine de Pandis, commandant de police, ou Hervé Piccirillo, militaire. La liste est longue et n’inclut pas Tony Chapron. Le crâne chauve le plus célèbre de l’arbitrage français est régulièrement pris pour un flic, peut-être parce qu’il a la tête de l’emploi, ou parce qu’avec son record de 65 cartons rouges distribués entre 2004 et 2018, il a la main lourde d’un CRS en fin de manif. Toujours est-il qu’il ne fait pas partie des corps constitués. Cette méprise est due à un journaliste « et a été reprise partout », fulmine le pistolero, qui est en réalité professeur de sociologie. Devenu conférencier et consultant pour Canal+, Tony Chapron a son idée sur les raisons d’une telle quantité de treillis et d’uniformes sur les terrains de Ligue 1 : une question de disponibilité. « Leur hiérarchie leur offrait un temps plus large pour partir le week-end ou en semaine, explique celui que Mon Petit Gazon surnommait Chapron rouge. Dès lors que ça a été professionnalisé et qu’il y a eu plus d’argent, à partir de la fin des années 1990, début 2000, il y a d’autres profils qui sont apparus. » À cet avantage d’emploi du temps s’ajoute chez les arbitres une disposition d’esprit particulière, détecte le ministre de l’Intérieur, qui dresse ici ce qui pourrait bien être son propre profil psychologique. « Ce sont des gens qui aiment bien l’ordre, l’organisation et prendre des décisions. »

C’est plus facile d’arbitrer un match à San Siro qu’à Saint-Geneviève-des-Bois. La pression physique et les chances de s’y faire casser la gueule sont plus élevées.

Gérald Darmanin, expert des terrains hostiles

En 2002, le control freak Darmanin part faire ses études à Lille. Il continue d’arbitrer les week-ends, mais arrête la saison d’après, faute de temps. S’il n’a jamais dirigé de match professionnel, le politicien fait de ses années d’arbitrage une médaille qu’il s’enfile lui-même autour du cou. Vingt ans plus tard, il continue de dégainer cette étonnante ligne de son CV à la moindre occasion où le football s’immisce dans ses dossiers. Auditionné par le Sénat en 2022 après les incidents de la finale de la Ligue des champions entre Liverpool et le Real Madrid, qui lui ont valu d’être dépeint en Pinocchio à Anfield par les fans des Reds, il rappelle dès la deuxième minute de son intervention avoir été « arbitre de football pendant de très nombreuses années ». Un an plus tôt, le 24 août 2021, il est interrogé au micro de France Info sur les débordements lors de Nice-OM, et plus généralement sur la violence dans les stades. Sa réponse commence là aussi par un rappel autobiographique : « D’abord, j’ai été arbitre de football dans ma tendre jeunesse, j’étais arbitre de fédération, et c’est toujours l’arbitre qui décide si on reprend ou si on ne reprend pas un match. » Tant pis si son expérience n’a rien à voir avec un choc de Ligue 1 ou une finale de Ligue des champions, il passe pour un expert. Quand Macron chante à qui veut l’entendre sa passion pour l’OM, lui joue la carte de la défense du foot d’en bas, des matchs de district, des pelouses pelées et des faux rebonds. D’ailleurs, dans le temps additionnel de l’interview, il ouvre son pied droit et ajuste une dernière frappe démagogique : « C’est plus facile d’arbitrer un match à San Siro qu’à Saint-Geneviève-des-Bois. Recevoir des insultes en langue anglaise ou italienne, bon… La belle affaire ! À Sainte-Geneviève, l’arbitre est tout seul. La pression physique et les chances de se faire casser la gueule sont plus élevées. » À quand une nouvelle pub avec ce slogan : « Arbitres de football : on a le même maillot, mais on n’a pas les mêmes bastons » ?

Dans cet article :
Chili : une question de Vidal ou de mort
Dans cet article :

Par Pierre-Philippe Berson, à Paris

Tous propos recueillis par PPB, sauf mention.

Article initialement paru au mois de juin dans le numéro 207 du magazine So Foot.

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