- Rétro
- 1er juillet 2017
- Les 100 ans de Georges Boulogne
Georges Boulogne, le chef instructeur du football français
Georges Boulogne aurait eu 100 ans ce 1er juillet 2017. Homme clé du foot français, cet ancien instituteur à la personnalité complexe a été un sélectionneur au bilan modeste au tournant des années 1970, une époque où les Bleus enchaînaient les gamelles. Mais il est surtout considéré comme le père fondateur de la formation tricolore et de l’entraînement moderne. Une figure incontournable quoique largement méconnue aujourd’hui.
Directeur des sports de Radio France, c’est peu dire que le mythique Jacques Vendroux est heureux qu’on l’interroge sur Georges Boulogne, surtout lorsqu’on le renseigne sur le support de parution de l’article. « Ah vraiment, je suis content qu’un média comme So Foot s’intéresse à lui parce que j’ai l’impression qu’il a été complètement mis aux oubliettes. Et pourtant, c’était quelqu’un, Georges Boulogne, un magnifique constructeur, un innovateur ! Faudrait pas qu’on l’oublie. » C’est que le temps fait son œuvre et que le Georges appartient à une époque où les archives de l’INA sont presque toutes en noir et blanc. Une dizaine de ces extraits collector de l’époque ORTF permettent de constater un physique lui aussi d’un autre temps, sorte de Bourvil un peu enrobé et un poil rustique, plutôt affable devant les caméras néanmoins, le petit sourire en coin. « Un homme complexe, psychorigide sur les bords, mais chaleureux aussi, qui savait rire. Un amoureux du football, profondément intègre » , présente Vendroux. Ce même Georges Boulogne qui fut séquestré le temps d’une demi-journée de ce qu’on appelait alors « les événements » , le 22 mai 68 précisément, dans les locaux de la FFF rue d’Iena à Paris, par une poignée de footballeurs et de journalistes. Une troupe emmenée par François Thébaud, meneur de fronde du football français à l’époque, plume de l’hebdomadaire Miroir Sprint, proche du PCF. Thébaud qui accusait alors Boulogne d’être le « chef de la mafia des entraîneurs » , rien de moins, puisque suspecté de réserver à ses amis coachs les postes les mieux rétribués. C’est qu’à l’époque, Georges Boulogne occupe une place importante dans le football français. Un parrain ? Tout de même pas, mais disons plutôt un incontournable à tendance autocrate.
Père fondateur du foot de compétition
En 1958, sa carrière décolle vraiment lorsqu’il est nommé instructeur national à la FFF. Un poste qui vaut à cet ancien instituteur au passé de footballeur amateur, né dans le Pas-de-Calais en 1917, d’être en position pour prendre la mesure du retard pris par le football tricolore sur la concurrence, notamment en matière de détection des jeunes talents, de formation et de méthodes d’entraînement. Le Reims chatoyant de Batteux et la France de Kopa et Fontaine, demi-finaliste du Mondial suédois, sont deux exceptions dans un océan de médiocrité. En guise d’entraînement, la plupart des équipes de D1 se contentent de courir dans les bois et de multiplier les petits matchs. Les plots, les cerceaux, le sifflet et le chrono n’ont pas la cote dans le monde du ballon rond époque René Coty. Boulogne le prof va prendre les choses à bras-le-corps avec autorité et participer au renouveau du football français pendant toute la décennie 60. Inspiré par l’ouvrage L’Homme, cet inconnu d’Alexis Carrel, qui prône un eugénisme douteux, il structure le haut niveau du football français, professionnalise la détection et la formation des meilleurs talents de l’Hexagone. « Instructeur national » , « bâtisseur » et même « baron » , autant de surnoms pour qualifier ce père fondateur abrupt et énergique du football-compétition, anti-Coubertin d’une France jusqu’alors trop gentille. « C’est Georges Boulogne qui formalise progressivement les conceptions globales de ce qu’il appelle le football moderne.(…)Le football doit cesser d’être une « activité ludique » pour devenir une « activité éducative ».(…)Boulogne calque sur le football les concepts qui ont cours dans la pensée économique du temps et qui s’appellent croissance, industrialisation, performance, etc.(…)Cette orientation conduit à renoncer au jeu improvisé, brillant, fondé sur les initiatives individuelles et qui fut celui préconisé par Albert Batteux, à Reims, et quelques autres techniciens » , explique l’historien Alfred Wahl dans l’essai Le Mai 68 des footballeurs.
Premier DTN, fondateur de l’INF Vichy
Le 2 mars 1969, c’est ce penseur pragmatique du football qui est appelé pour succéder à Louis Dugauguez au poste de sélectionneur des Bleus. D’abord nommé par intérim, il va finalement rester sur le banc jusqu’en 1973 et son propre remplacement par Stefan Kovács, pour un bilan très modeste : quinze victoires, cinq nuls, onze défaites et surtout trois campagnes qualificatives manquées aux Mondiaux 70 et 74, ainsi qu’à l’Euro 72. Un vrai raté ? Pas forcément, répond Vendroux : « Faut voir l’équipe qu’il avait à l’époque, y avait personne ! C’était bidon complet, épouvantable. Il a fait ce qu’il a pu avec les moyens du moment et ils étaient trop faibles. » À en croire la voix de Radio France, sa réputation d’entraîneur défensif est d’ailleurs surtout la conséquence de ce réservoir trop faible : « Quand ton équipe n’a pas d’individualités, tu bétonnes, c’est normal. Mais faut retenir aussi son côté formateur, il a lancé un paquet de jeunes joueurs qui ont ensuite fait le bonheur du football français. » Dont Jean-Michel Larqué, Marius Trésor et Dominique Baratelli. L’avocat Vendroux poursuit sa plaidoirie : « La contribution de Georges Boulogne aux succès des Bleus d’Hidalgo et même jusqu’à aujourd’hui est immense, car c’est lui le premier à avoir usé de son pouvoir pour contraindre les clubs pros à se doter d’un centre de formation, ce qui n’était pas le cas de beaucoup de ce temps-là. » Premier Directeur technique national (DTN) de 1970 jusqu’à 1982, c’est lui aussi qui est à l’origine de la création de l’INF Vichy, ancêtre de l’INF Clairefontaine, centre national de préformation d’où sortiront Mombaerts, Ettori, Fiard, Cartier, Thys, Olmeta, Antonetti, Casanova, Papin, Tholot, Valencony, Warmuz et bien d’autres. Largement oublié, Georges Boulogne reste aujourd’hui cette personnalité complexe qui a grandement contribué à rendre le football français plus compétitif. Les supporters des Bleus comme des clubs de L1 lui doivent beaucoup, même si les tenants d’un certain romantisme retiendront l’image d’un technicien à la philosophie défensive, précurseur d’un football qui a un peu perdu de son âme en se modernisant. « Je suis là pour servir » , aimait-il à répéter. Le football français en a eu pour son argent.
Par Régis Delanoë