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George Weah : Liberia délivré !

Par Nicolas Kssis-Martov
6 minutes
George Weah : Liberia délivré !

L'élection de George Weah à la présidence du Liberia n'a suscité en Europe que louanges et admiration. Un footballeur, le premier Ballon d'or africain, un enfant du ghetto de Monrovia, prenait en main les affaires de son pays. L'exemple est magnifique, le destin improbable, le parcours extraordinaire. Seulement, une fois déroulé le récit de l'improbable rencontre entre le ballon rond et l'histoire avec un grand H, il n'en reste pas moins que l'homme doit désormais être jugé à l'aune de ses résultats, comme tous les autres politiques. Et c'est là qu'on rentre dans le dur...

L’attaquant avait déjà remporté des matchs au goût de revanche, cependant son triomphe au second tour de l’élection présidentielle, avec plus 60% des voix, contre son adversaire Joseph Boakai, doit posséder une saveur particulière. Sur RMC, Michel Denisot, son ancien patron à la tête d’un PSG auquel il doit grandement son Ballon d’or, a filé sans beaucoup de retenue la métaphore sportive : « C’est un joueur qui marquait en Ligue des champions et dans les grands matchs. Il a les épaules pour le faire. Il a le talent des grands champions. C’est un homme de grand rendez-vous et il vient de réussir le plus grand rendez-vous de sa vie. » Pourtant, si quelqu’un a remporté le scrutin, il s’agit d’abord du peuple libérien. L’arrivée au pouvoir de l’ancien petit protégé d’Arsène Wenger, qui le fit venir à Monaco, est d’abord, avant le parcours certes atypique du nouveau chef de l’État, le signe fort d’une transition démocratique exceptionnelle dans cette partie du monde, d’un apaisement inespéré de la vie politique dans un pays qui a connu une guerre civile de près de quinze ans, laissant derrière elle des centaines de milliers de morts et le pays plus bas que terre.

Desservi par son statut de sportif millionnaire

George Weah succède en outre à Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue présidente sur le continent (ce n’est pas en France que cela risquerait d’arriver) en 2005, contre lui déjà. Et comme il l’a promis tout au long de la campagne, la « paix » est acquise, l’ancienne dirigeante ne risque rien de sa part. « Fondé » par des descendants d’esclaves américains affranchis, le Liberia fut en outre dès le départ marqué par la « ségrégation » exercée envers les « natifs » , surtout l’ethnie Kru dont est issue l’ancienne gloire de l’AC Milan. Le moment que nous vivons se révèle donc, rien que pour ces raisons, unique. Le passage de relais avec pour seul juge les urnes permet, pour l’instant, effectivement d’inscrire le succès de George Weah dans les annales, sans avoir besoin d’aller regarder le palmarès de celui qui ne fut dans sa vie que le bourreau d’Oliver Kahn.

Car loin d’avoir toujours pesé à son avantage, du moins parmi la population, son statut de star à crampons l’a même un temps desservi. Son échec en 2005 avait été largement imputé justement à cette image de sportif millionnaire exilé, débarquant au pays sans les compétences nécessaires pour le redresser, alors qu’il sortait exsangue de la guerre civile et de la dictature. Le choix au contraire d’une économiste indiquait clairement le besoin de confier le sort d’une nation convalescente à des mains « expertes » . Encore récemment, durant la campagne, il se justifia à ce propos : « Je sais que beaucoup de gens se demandent pourquoi un ex-footballeur tente de remporter la présidence de son pays, mais personne ne se demande pourquoi un avocat ou un homme d’affaires businessman en fait autant. »

Du bidonville au diplôme universitaire

Depuis, George Weah a rattrapé en partie son retard. Il a ramené un diplôme de l’université de DeVry à Miami. Il s’est dégoté de prestigieux parrains, parlant directement au cœur des Africains, pour asseoir ses prétentions : « Quand j’ai eu une conversation avec Nelson Mandela voici plusieurs années, il m’a dit que si j’étais appelé à servir mon pays, je devais faire ce qu’il fallait. Je suis son conseil. » Il a également su proposer son destin à part comme un argument fort de sa com électorale : « Personne ne devrait avoir peur du changement. Regardez ma vie : je suis passé de footballeur à homme politique. Vous pouvez vous aussi être cette personne. Nous sommes pareils. » En 2014, il a gagné le siège de sénateur de Montserrado (avec une assiduité certes toute relative sur les bancs de la chambre haute), la région la plus peuplée du Liberia. Toutefois durant la campagne, tout en jouant la carte du candidat désormais rassurant, presque notable, il n’a cessé de mettre en avant ses origines modestes, celles d’un gamin des rues du bidonville de Gibraltar à Monrovia, originaire d’une ethnie « native » (par opposition aux descendants des « colons » afro-américains). En somme, il a appris à utiliser ses deux pieds pour marquer les esprits.

Ses premières interventions montrent d’ailleurs dorénavant une certaine maîtrise de la langue de bois : « Mes chers concitoyens, je ressens profondément l’émotion de toute la nation. Je mesure l’importance et la responsabilité de l’immense mission que je commence aujourd’hui. Le changement arrive. » L’enthousiasme masquera-t-il longtemps le chantier gigantesque qui s’ouvre devant lui ? Les critiques font déjà remarquer qu’il faut bien être malin pour savoir exactement en quoi consistent ses mesures phares, à part les habituelles envolées contre la corruption. De la sorte, s’il a su intelligemment retourner le procès en compétence qu’il subissait en pointant du doigt l’inefficacité de l’ancien gouvernement face à l’épidémie d’Ebola qui a frappé durement la population, horriblement démunie d’infrastructures sanitaires, les solutions qu’il propose pour remédier au problème laissent un peu sceptique. « J’ai des amis dans le monde entier. Tu ne peux pas dire que le président de la France ou des États-Unis ne va pas m’aider. On va être aidés, parce qu’on va donner notre programme et l’argent va venir. Les pays vont aider. »

L’encombrante Jewel Howard-Taylor

Enfin, celui qui déclarait en toute humilité sur RFI en mai dernier « je suis l’image de ce pays » doit aussi apprendre à gérer le souvenir douloureux de la guerre civile. Sa vice-présidente n’est autre que Jewel Howard-Taylor, ex-épouse de Charles Taylor (ils ont divorcé voici dix ans), qui purge en Grande-Bretagne, rappelons-le, cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité pour avoir « débordé » en Sierra Leone. Cette dame s’était néanmoins fait connaître à titre personnel pour son projet de loi en 2012 visant à rendre les relations homosexuelles passibles de la peine de mort. George Weah ne s’est toujours pas démarqué de l’ombre de cet encombrant personnage – « tout le monde a été l’ami de Taylor » , rétorque-t-il –, il faut dire que l’ancienne épouse lui rapporte une réserve non négligeable de voix et ses réseaux de banquière toujours bien implantée. De même, il bénéficie du soutien de Prince Johnson, un des plus sanguinaires « warlords » de la guerre civile, rendu célèbre pour avoir filmé le moment où il faisait supplicier à la Reservoir Dogs l’ex-dictateur Samuel Doe en septembre 1990. Évoquer à longueur de temps le besoin de changement, comme l’a si bien entonné George Weah, premier opposant de l’ère démocratique du Liberia à vivre l’alternance, ne suffit pas pour chasser tous les fantômes du passé.

En attendant, pour le moment, tout le monde semble se focaliser sur ce miracle qui a conduit un footballeur, et pas n’importe lequel, aux plus hautes responsabilités (des anciens joueurs comme Pelé ou Romário au Brésil, Kakhaber Kaladze en Géorgie ou Gianni Rivera en Italie avaient toutefois déjà pu gagner leurs galons de député, voire de ministre). Mais pour le moment, dans l’Hexagone, où le simple fait de porter un maillot de foot vaut amende à l’Assemblée nationale, nous restons plutôt épargnés, et il n’y a que sur les réseaux sociaux que Kylian Mbappé peut espérer devenir un jour le futur locataire du palais de l’Élysée.

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Par Nicolas Kssis-Martov

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