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George de la jungle politique

Par Adrien Hémard
6 minutes
George de la jungle politique

Mardi, George Weah aurait dû être élu président de la République du Liberia. En tout cas, il était ultra favori d’un second tour qui n’a finalement pas eu lieu à cause d’une plainte pour soupçons de fraudes au premier tour, déposée devant la Cour suprême par Charles Brumskine, troisième à l’issue de premier tour. Simple contretemps, ou ultime tacle assassin contre les ambitions politiques du Ballon d’or 1995 ?

Le but est vide, le gardien est à terre, impuissant. L’attaquant n’a plus qu’à pousser le ballon au fond des filets pour assurer la victoire. Cette situation, George Weah l’a connue plusieurs fois dans sa carrière de joueur, que ce soit à Monaco, au PSG ou à Milan. Retraité depuis 2003 après une dernière pige aux Émirats arabes unis, Mister George a totalement décroché du foot. Depuis, le Ballon d’or 1995 s’est engagé sur un autre terrain : celui de la politique. Et en ce début novembre 2017, il s’est à nouveau retrouvé dans cette fameuse position. Dans le rôle du ballon : le second tour de l’élection présidentielle au Liberia, dont il est le grand favori. Dans celui du but : le palais présidentiel. Sauf que l’arbitre, incarné par la Cour suprême du pays, vient de se saisir de la balle, la veille du triomphe annoncé.

Bidonvilles, Ballon d’or, Sénat…

Difficile de dater précisément le début des ambitions politiques de Mister George. Ce qui est sûr, c’est qu’il a toujours eu le Liberia dans la peau. « Mon rêve de gamin, c’était avant tout de sortir de la pauvreté pour aider le maximum de concitoyens » , confiait-il la veille du premier tour à L’Express. Joueur, Weah clamait déjà cet amour patriotique. À l’époque, il empile les buts au PSG et s’apprête à devenir le premier Ballon d’or non européen. Mais il n’oublie pas son pays. Avec l’aide de Michel Denisot, il finance alors sa sélection nationale dont il est à la fois capitaine, entraîneur et trésorier. D’ailleurs, bien que retraité en 2003, il continue à jouer pour le Liberia jusque ses 41 ans, en 2007. Cet engagement souligne son attachement à ses racines. « George Weah est avant tout très croyant. Il croit profondément en son destin pour le pays » , explique Anna Sylvestre-Treiner, correspondante au Liberia pour jeuneafrique.com. Et quand Weah évoque « Nelson Mandela, Pelé et Martin Luther King » comme héros d’enfance, pas étonnant que son destin prenne rapidement une tournure politique après une carrière de footballeur.

Né dans un bidonville de Monrovia, la capitale du Liberia, élevé par sa grand-mère, George Weah connaît les difficultés de son pays, l’un des plus pauvres au monde :  « Je sais ce que signifie aller en classe pieds nus et le ventre vide. Et s’entendre répéter qu’on ne deviendra jamais rien. » Sa volonté de se présenter à son chevet n’est donc pas nouvelle. En 2005 déjà, alors qu’il joue toujours pour la sélection libérienne, Weah se lance dans les élections présidentielles face à Ellen Johnson Sirleaf, prix Nobel de la paix 2011, première femme chef d’État africain et très respectée sur la scène internationale pour avoir ramené la paix au Liberia après douze ans de guerre civile. Arrivé en tête au premier tour (déjà), Weah est battu au second. Il conteste les résultats pour fraudes, sans succès.

Jugé trop inexpérimenté à l’époque, il goûte à la défaite. Mais depuis, le buteur n’a jamais arrêté sa campagne, basée sur sa popularité de joueur. Il se présente de nouveau aux élections en 2011, en tant que co-listier, puis entre au Sénat en 2014, où il se fait surtout remarquer par son absentéisme. Aux sessions parlementaires, l’ancien Monégasque préfère tâter le terrain. Si bien qu’il se pense aujourd’hui invincible : « Cette fois, personne ne peut me battre, tant se sont affirmés l’exigence de démocratie et de transparence et le désir d’un scrutin libre et équitable. Les Libériens savent ce que je représente pour eux et dans leur vie. » La veille du scrutin, il affirmait même qu’il serait élu à l’issue du premier tour, malgré pas moins de vingt candidats en face.

Jewel Taylor pour la politique, Weah pour l’image

Avec 39% des suffrages exprimés, Mister George est bien arrivé largement en tête devant Joseph Boakai, vice-président sortant. Jouissant d’une popularité hors norme au Liberia, Weah a aussi réinvesti sa fortune habilement pour à la fois la faire fructifier et aussi améliorer son image en finançant des œuvres de charité. Mais les dollars ne font pas tout. Alors, fort de douze ans d’expérience sur la scène politique, il a élaboré un programme pour convaincre les siens au-delà de son vécu personnel : « Les premiers chantiers de mon mandat ? Le réseau routier et les hôpitaux. Leur construction sera en partie financée par l’instauration de péages. Les soins seront gratuits, tout comme la scolarité jusqu’à la terminale. » Parfois jugé démagogue, Weah se contente souvent de promesses vagues, qui font dire aux sceptiques que gagner un match de foot est une chose, et diriger l’un des pays les plus pauvres du monde en est une autre.

Pour pousser la balle au fond des filets, Mister George a donc cette fois besoin de soutien. Problème, il a choisi pour co-listière l’ex-première dame du pays, femme de Charles Taylor, ancien chef de guerre arrivé au pouvoir pendant la guerre civile. Au-delà de la référence aux exactions de son mari, le choix de Jewel Taylor alimente les Weah-sceptiques. Lors des mandats de son mari, Jewel a en effet eu un rôle politique controversé. Suffisant pour que certains affirment que c’est elle qui gérera la politique du pays, pendant que Weah s’occupera de l’image. Car oui, les capacités politiques de l’ancien joueur inquiètent au Liberia. Jusque-là, le King a forgé sa campagne sur sa réputation de champion issu des bidonvilles. Une stratégie suffisante pour convaincre les classes populaires dont il est issu, mais qui fait débat chez les élites. « Il prône le changement, donc il dérange. On lui reproche son manque d’éducation même s’il a passé des diplômes aux États-Unis. Il est un peu vu comme le cliché du footballeur sans cerveau » , explique Anna Sylvestre-Treiner. Ces critiques, Weah les a entendues, et a travaillé pour les contrer : « Mon équipe a gagné en professionnalisme. Quand j’ai lancé mon parti en 2005, beaucoup de profiteurs et d’opportunistes l’ont rejoint. Mais en douze ans d’expérience, j’ai beaucoup appris. » Et surtout, il est devenu sénateur, ce qui lui offre plus de légitimité.

Aujourd’hui, Mister George affine ses alliances avec les candidats battus, en attendant que l’arbitre ne lui rende le ballon. La suspension du processus électoral a été accueilli dans le calme par le King et son entourage, tant que les résultats du premier tour sont conservés. Mais au-delà de la symbolique de voir un ex-footballeur diriger un pays – une première –, la situation est préoccupante pour la paix fragile du Liberia : « L’électorat de Weah, assez jeune et pauvre, aspire vraiment au changement, prévient Anna Sylvestre-Treiner. Pour eux, il y a une tentative de confiscation de cette élection. C’est dangereux comme sentiment, c’est dangereux pour le Liberia. On est sur un moment de forte tension, le pays vascille. » Ce ballon que Weah attend, il est dans le camp de la Cour suprême.

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Par Adrien Hémard

Propos recueillis par AH sauf ceux de George Weah extraits de l'Express

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