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Géoblocage, le sujet qui divise l’Europe
C’est un sujet qui anime les débats au Parlement européen depuis plus d’un an : le géoblocage. Si cet outil paraît indispensable à la pérennité de l’économie du football en matière de droits TV, sa suppression est une hypothèse de plus en plus plausible et pourrait révolutionner ce marché. Pour le meilleur et pour le pire.
Depuis 2018, le géoblocage est appliqué dans les pays membres de l’Union européenne et notamment dans l’audiovisuel. Une technologie permettant de régulariser les contenus et services en fonction de l’emplacement géographique du consommateur. Autrement dit, un résident en France a uniquement accès au catalogue audiovisuel français. Il est donc impossible (du moins légalement) pour un fan de la Serie A de disposer d’un abonnement à Sky Italia. Pour certains eurodéputés, ce qu’on appelle aussi le geo-blocking est indispensable à la parité et à la diversité du patrimoine audiovisuel européen. Mais pour d’autres, cette technologie est purement discriminatoire.
D’indispensable à contesté
Le libre-échange, voilà un principe sur lequel de nombreux députés libéraux justifient leur volonté de mettre fin à ce fameux blocage géographique. « Le règlement sur le géoblocage supprimera les barrières injustifiées pour les consommateurs et les entreprises opérant au sein du marché unique », a notamment avancé la députée polonaise Beata Mazurek lors du débat du 13 décembre dernier au Parlement européen. La membre du parti polonais CRE (droite souverainiste des Conservateurs et réformistes européens) n’est pas la seule à souhaiter son abolition. Après de longues heures de débat à Strasbourg, les résultats tombent : 376 sont favorables à sa suppression, 111 souhaitent le maintenir et 107 ne se sont pas exprimés. Les « pour » soulignent l’importance de moderniser le secteur audiovisuel afin de répondre aux exigences des consommateurs. Un argument jugé incohérent par les opposants, qui craignent la non-protection de « la richesse et la diversité du patrimoine européen », comme l’a souligné la députée Sylvie Guillaume (PS) dans un communiqué.
Bonne nouvelle : suite au vote au @Europarl_FR sur le règlement #géoblocage, nous maintenons le principe de territorialité pour l’accès aux œuvres audiovisuelles 🙌
Nous avons voté en ce sens pour préserver la richesse et la diversité de notre patrimoine #culturel 🇪🇺
— Sylvie Guillaume (@sylvieguillaume) December 13, 2023
Dans le temps additionnel, un amendement a donc été adopté par l’opposition concernant le secteur de l’audiovisuel. La députée allemande Sabine Verheyen a justifié qu’une suppression du géoblocage entraînerait « une perte significative en matière de revenus, mettant en péril l’investissement dans de nouveaux contenus, réduisant la diversité culturelle ». De son côté, le BEUC (Bureau européen des unions de consommateurs) s’est dit favorable à la suppression du blocage géographique sur les contenus audiovisuels. Le sujet divise et, malgré l’amendement déposé en ultime recours, la suppression du géoblocage pourrait bien revenir sur la table dans les prochains mois. Mais quid du ballon rond ?
Une menace pour la planète football ?
Si en France, les réactions des acteurs du football se font encore attendre, de l’autre côté des Alpes, en Italie, Luigi De Servio s’est félicité de cet amendement : « Nous nous félicitons du rejet de la demande faite à la Commission de présenter une révision du règlement sur le géoblocage d’ici 2025. » Pour le président de la Lega Serie A, une suppression « entraînerait une augmentation des prix pour les consommateurs et une diminution significative des investissements ».
Pourtant, à première vue, l’abolition du blocage géographique est séduisante et permettrait au consommateur européen d’avoir accès au catalogue des 27 pays membres de l’Union européenne. Pour les spécialistes, « le géoblocage est fondamental et indispensable », comme le souligne Pierre Maes. Ce dernier dit ceci : « Si les groupes qui diffusent le football parviennent à générer autant d’argent, c’est parce qu’ils sont vendus territoire par territoire. Si on décide de le supprimer, c’est l’effondrement des droits TV comme on les connaît aujourd’hui. » Pour le consultant international en droits TV du sport, une suppression favoriserait encore plus les grosses ligues européennes, à savoir la Premier League et la Ligue des champions. « Avec une suppression, les ligues devront donc trouver un diffuseur non plus national, mais paneuropéen, détaille-t-il. Et forcément, ce sont les gros championnats qui vont en sortir vainqueurs. À cause du manque d’attractivité de son championnat, la France se retrouverait dans une situation catastrophique. »
La piraterie n’est jamais finie
L’abrogation du géoblocage paraît donc inenvisageable, du moins à court terme. Seulement, un fardeau pèse sur l’audiovisuel et donc sur le monde du sport : l’explosion du piratage. Une technologie illégale qui se développe à vitesse grand V, comme en témoignent les IPTV permettant à un utilisateur d’avoir accès à une offre démentielle pour un coût attractif (les abonnements pour une IPTV varient généralement entre 70 et 130 euros l’année). Forcément, cette explosion du piratage pèse énormément sur l’économie du ballon rond. En 2020, environ trois millions de consommateurs français auraient utilisé ces services illégaux pour regarder du football. Un chiffre colossal en constante augmentation.
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« La technologie avance beaucoup plus vite que le football », matraque Pierre Maes. Pour contrer l’explosion de ce véritable business illégal, la suppression du blocage géographique offrirait un catalogue plus important aux consommateurs et pourrait donc être une solution pertinente face au piratage. « C’est une solution face à ce marché gigantesque. Les fédérations et les diffuseurs doivent prendre ce problème très au sérieux et ne doivent pas attendre que tout le monde ait une IPTV pour réagir », explique Pierre Maes.
L’auteur du livre Le Business des droits TV du foot épingle notamment le Murphy Case, une affaire mettant en cause une tenancière d’un pub à Londres qui, en 2006, s’était fait réprimander par la justice anglaise pour diffuser la Premier League avec un boîtier TV grec. « Elle avait finalement remporté son procès, car pour elle, en tant que citoyenne de l’Union européenne (avant le Brexit donc, NDLR), elle avait le droit d’accéder au contenu audiovisuel de tous les pays européens, précise-t-il. C’est le cœur du sujet. En Europe, on a le principe de libre circulation, alors pourquoi il ne s’appliquerait pas à l’audiovisuel ? » Outre ces technologies illégales, le VPN vient également bousculer le marché. Un outil légal qui permet de se connecter à une IP en Espagne pour accéder en totale liberté aux contenus espagnols, et vice-versa. « Le géoblocage est un sujet majeur. Mais il faut que les opérateurs et les diffuseurs prennent pleinement conscience de ce phénomène », conclut Pierre Maes. Face à une technologie de plus en plus développée, le monde de l’audiovisuel et le monde du football devront se mettre à jour en matière de geo-blocking.
France-Israël : personne ne veut prendre sa placePar Tristan Pubert
Propos de Pierre Maes recueillis par TP.