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Génésio, les mystères de Lyon
Il existe un mystère Génésio, presque insondable. Le désamour, qui semble se dramatiser de jour en jour, entre le coach des Gones et une partie grandissante des fans lyonnais, échappe en tout cas au règne de la raison. Le dernier épisode en date avec altercation violente, du moins verbalement, à la sortie d'un établissement lyonnais, au-delà de savoir ce qui s'est réellement passé, a révélé l’ampleur du malaise. D’abord par les réactions qu'il a provoquées, ensuite pas le long silence gêné de l'institution OL. Dans un club où les ultras occupent une place à part, cette situation risque de gangrener durablement la saison. Surtout, cette affaire suscite clairement une grande peur au sein du foot français, au moment où un timide dialogue s'ouvre sur le rôle et les droits des supporters : n'auront-ils pas trop de pouvoirs si on leur laisse trop d'importance ?
Ce ne fut pas la baston Booba-Kaaris en plein Orly. Mais le face-à-face musclé et la course poursuite filmée entre Bruno Génésio et un supposé supporter dans la nuit lyonnaise, en marge des 52 ans du premier fêtés en famille, a rapidement fait le tour du petit monde du ballon rond hexagonal. À en croire le récit de nos confrères de L’Équipe, une semaine après les événements, nous serions finalement bien loin d’un harcèlement exercé par une firme hooligan ou d’un règlement de compte d’une frange des virages après la défaite contre Nice. Peut-être, faute de détail précis, simplement une histoire de selfie en fin de soirée, impliquant également sa fille, qui a mal tourné. Peu importe malgré tout. Pas besoin en effet d’être grand clerc pour saisir les enjeux qui se cristallisent autour du cas spécifique de l’entraîneur de l’OL.
Contre-pouvoir
Ils sont d’abord locaux. Malgré le soutien que lui accorde régulièrement son président, Jean-Michel Aulas – et on sait qu’il n’est pas du genre à donner un bail à vie –, Bruno Génésio vit depuis quelque temps constamment sous le feu des critiques, qu’aucun de ses bons résultats ne paraît capable d’éteindre. Notamment de la part des tribunes qui l’ont de plus en plus pris en grippe. Aux yeux des amoureux du club et des habitués de l’OL Land, il ne serait plus l’homme de la situation. Ce diagnostic est frappant, car il semble aussi bien déconnecté des performances objectives – l’OL est en Ligue des champions au nez et à la barbe de l’OM – que du style de jeu, qui fut certes inconstant, mais parfois enthousiasmant l’an dernier. Dans sa version respectueuse, il s’est manifesté par une banderole, qui tout en honorant son amour des couleurs, l’appelait « à tourner la page » . Plus vulgairement, le débat envahit les réseaux sociaux. Il souligne une insatisfaction devant le statut du club au sein du foot français et européen.
Autrefois impérial sur presque une décennie, accédant à une demi-finale de Ligue des champions, un exploit qui échappe toujours au PSG, l’Olympique lyonnais a subi la réorganisation économique et sportive de la Ligue 1, avec l’arrivée des Qataris, et de l’UEFA, qui l’a relégué dans l’inconfortable posture du « presque » . Plus riche que la plupart des autres pensionnaires du championnat, mais pas assez pour prétendre revivre les ivresses des sommets de la C1. Les supporters attendent de Bruno Génesio qu’il fasse le coup de Monaco, à savoir subtiliser le titre de champion à Paris et grimper dans le dernier carré européen. Or Nabil Fekir n’est pas Kylian Mbappé. Et forcément Génésio n’est pas Leonardo Jardim. Le poids de l’OL, malgré le succès d’une entreprise bâtie par son « boss » visionnaire, ne lui permet pas pour le moment de réaliser un tel exploit. Le coach paie une configuration dont il est tributaire. Or, impossible de demander le départ de Jean-Michel Aulas ou le recrutement de Neymar. Le dilemme des supporters, y compris des ultras, se heurte à cette aporie. Il faut donner un nom à leur frustration, faute d’en accepter ou d’en combattre les causes. Ce sera Génésio. Aussi injuste que cela puisse paraître à un regard neutre.
La place du supporter se cantonne-t-elle aux tribunes ?
Plus largement, le cas lyonnais met de nouveau sur la table la question du rôle et des droits des supporters. On connaît la traditionnelle fébrilité des entraîneurs devant la colère des gradins et de ses potentiels « gredins » . Cependant, en France, demeure l’idée que les fans n’ont pas leur mot à dire dans les choix sportifs. Souvent incompris, longtemps méprisés, ignorés le reste du temps, les ultras ou même simplement les supporters peuvent bien gueuler – d’ailleurs parfois leur soutien à des entraîneurs traités dédaigneusement par la direction comme Der Zakarian à Nantes –, ils n’ont pas voix au chapitre. Ce constat faisait l’unanimité à la LFP et ses affiliés.
À ce propos, Jean-Michel Aulas avait fini par construire petit à petit, à l’instar de l’ensemble de son modèle « français » de club professionnel, un autre type de relation avec le public de Gerland puis de l’OL Land. Un esprit de « corps » qui fit la force des Gones quand ils durent affronter la tempête, quitte parfois à fermer les yeux devant certaines dérives (dans le livre Enquête sur le racisme dans le football de Nicolas Vilas, Sidney Govou affirme en être venu aux mains avec un leader du Virage Sud Lyonnais). Ce qui fonde peut-être le tardif soutien apporté à Génésio, y compris quand tout le monde supposait, à tort, qu’il avait été agressé par des supporters en colère dans le cadre de sa vie privée.
Un cas d’école
Or le monde des supporters en France se trouve à une croisée des chemins. Même si la répression persiste, en particulier les interdictions de déplacement, de modestes avancées pour définir et reconnaître, du moins de la part des pouvoirs publics, leur place dans le foot se font jour timidement. L’OL a proposé à sa façon un modus vivendi implicite. La crainte en retour existe que cela débouche sur une « prise de confiance » qui déborde largement les sujets des fumis ou des tifos. La contestation d’un joueur, des joueurs (surtout de leur engagement sur le terrain) ou d’un entraîneur constitue une vieille tradition dans les tribunes. Des attaques souvent justifiées par le sentiment d’être « l’âme » du club quand les autres n’en sont souvent, phénomène qui semble irréversible, que les salariés.
Un choc de culture qui peut donc déboucher sur des excès dès lors que certains parlent de leur vie, quand d’autres évoquent leur travail – qui s’arrête normalement aux heures de bureau. Cette problématique familière dans des institutions qui ont appris à composer avec leur tribunes comme Marseille, Lyon ou encore Strasbourg, chacune à leur manière, n’a pas fini d’agiter le foot français. L’expérience de Bruno Génésio fournit, quoi qu’il en soit, un très bon cas d’école ou d’étude si par bonheur l’ensemble des acteurs du foot français arrivaient à se mettre un jour autour de la table pour réfléchir à leurs droits et leurs devoirs respectifs.
Par Nicolas Kssis-Martov