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Génération 87, les dessous de l’épopée de 2004

Par Romain Duchâteau
Génération 87, les dessous de l’épopée de 2004

Douze ans plus tard, c’est encore la génération tricolore qui cristallise l’attention. Une bande de gamins nés en 1987, insouciants et pétris de talent, qui devenait en 2004 championne d’Europe des moins de dix-sept ans. Derrière le quatuor Ben Arfa-Ménez-Nasri-Benzema, il y avait une vie de groupe. Des moments mémorables, aussi. Récit de l’intérieur d’un succès au prestige encore intact.

Ses traits sont juvéniles, sa coiffure quelque peu échevelée, mais son regard traduit déjà une détermination palpable. Samir Nasri n’a pas encore 17 ans en ce printemps 2004 quand il caresse le doux rêve de trôner sur le toit de l’Europe. Mais ce 12 mai 2004, à l’occasion des demi-finales de l’Euro U17 contre le Portugal, les organismes des Bleus apparaissent éprouvés à la mi-temps après l’ouverture du score de Pereira. Steven Thicot, le capitaine tricolore, est lui prostré dans les couloirs du stade des Allées. Comme estourbi par la tournure des événements.

Avant le tournoi de l’Euro, Nasri me disait qu’il avait rêvé qu’on allait gagner l’Euro et qu’il marquait le but vainqueur. Il me répétait tout le temps ça !

Refusant d’abdiquer et animé d’un souffle presque inexplicable, son jeune coéquipier marseillais lui récite encore et encore sa prophétie. « J’étais triste à la sortie du vestiaire parce qu’on venait de faire une première période qui n’était pas bonne du tout par rapport à ce qu’on était en train de réaliser depuis le début du tournoi, assure avec conviction, douze ans plus tard, l’actuel joueur du CD Tondela. Puis Nasri me dit : « Arrête de faire cette tête. Je te l’ai dit sur la tête de mes deux petits frères jumeaux, je vais te faire gagner l’Euro et on va battre le Portugal. Arrête d’avoir peur comme ça ! » Avant le tournoi de l’Euro, Nasri me disait qu’il avait rêvé qu’on allait gagner l’Euro et qu’il marquait le but vainqueur. Il me répétait tout le temps ça ! »

Une certitude serinée à tout-va, répétée à l’envi. Et qui va devenir réalité. En seconde période, l’équipe de France, portée par Nasri, Ménez et Ben Arfa, broie la Selecção. Trois jours plus tard, en finale, c’est la Roja de Fàbregas et Piqué qui est emportée à son tour (2-1). Sur un dernier but du gamin du quartier de la Gavotte-Peyre, comme annoncé. L’acmé d’une épopée hors du commun encore ancrée dans toutes les mémoires. « Par dessus tout, c’était surtout une bande de potes, souffle en préambule Benoît Costil, portier de l’époque. On était une bonne partie du groupe à avoir débuté ensemble à 16 ans. C’était comme une famille. L’Euro qu’on a gagné, on l’a fait en rigolant. » « On a vécu une superbe aventure. J’ai le souvenir d’un vrai esprit de camaraderie, on était tous contents de se retrouver aux rassemblements, appuie Pierre Ducasse, lui aussi membre du groupe bleu-blanc-rouge. Quand on se voyait à l’aéroport, on rigolait tous. On a passé quatre années formidables jusqu’aux U19. »

C’étaient des garçons qui ne se prenaient vraiment pas au sérieux et qui avaient surtout du plaisir à évoluer ensemble.

C’était, aussi, l’une des générations les plus talentueuses du football contemporain français. « J’ai le souvenir d’une génération exceptionnelle et qui était agréable à mener. C’étaient des garçons qui ne se prenaient vraiment pas au sérieux et qui avaient surtout du plaisir à évoluer ensemble » , explique pour sa part Gilles Eyquem, ancien entraîneur adjoint, à travers des propos teintés de langueur. Douze ans plus tard, les souvenirs des acteurs demeurent intacts. Retour sur les coulisses d’un sacre pas comme les autres.

Réputation flatteuse et le chef d’orchestre Bergeroo

Du millésime 1987, la mémoire collective a tendance à s’appesantir sur le pied gauche de Ben Arfa, les fulgurances pétaradantes de Ménez, la vision de jeu panoramique de Nasri ou encore des déplacements délicieux de Benzema. Un quatuor ébouriffant, véritable vitrine d’un groupe talentueux et dont la genèse remonte en moins de seize ans. « Notre premier match amical, si je ne me trompe pas, c’était contre l’Espagne. Avant ce match, ça devait être un ou deux ans avant l’Euro, le coach nous avait dit :« Écoutez, on commence avec cette génération. Notre objectif est de gagner l’Euro », relate Serge Akakpo, défenseur des Bleus à l’époque. D’entrée, il nous préparait afin qu’on remporte l’Euro qui allait se tenir en France. On jouait avec ça dans la tête. » Alors encore en centre de formation, les gamins forment un effectif homogène qui puise sa force dans ses différences : Nantes (Jean-Christophe Cesto, Abdelkarim El Mourabet, Thicot), l’OM (Nasri, Ahmed Yahiaoui), Sochaux (Ménez, Maxime Josse), OL (Ben Arfa, Benzema, Rémy Riou), Barcelone (Franck Songo’o), etc.

Je me souviens de l’engouement qu’il y avait, tous les gens qui étaient autour de nous, la manière dont on nous regardait. On avait l’impression d’être considérés comme des stars.

« Notre génération faisait beaucoup parler d’elle, poursuit Akakpo, aujourd’hui international togolais. Dès les premiers rassemblements, comme on était bons et qu’il y avait beaucoup de bons joueurs, les dirigeants se parlaient entre eux. Jusqu’à Aimé Jacquet d’ailleurs (alors directeur de la DTN, ndlr). Il venait nous voir à l’hôtel, il y avait beaucoup d’espoir dans notre équipe. » Jean-Christophe Cesto, ex-milieu de terrain, se remémore également l’effervescence qui régnait autour des Bleus : « Je me souviens de l’engouement qu’il y avait, tous les gens qui étaient autour de nous, la manière dont on nous regardait. On avait l’impression d’être considérés comme des stars. Des gens nous demandaient des autographes, il y avait les filles qui tournaient un peu autour aussi. »

Derrière les talents individuels et les qualités manifestes d’une troupe prometteuse, il y a le travail d’un homme. Celui du coach Philippe Bergeroo qui a su avec brio façonner et aiguiller un groupe. Tout en inculquant à chacun les premiers enseignements de leur futur métier. « C’était le garant.

Je n’ai jamais autant bossé tactiquement qu’avec Bergeroo à cette époque.

Il arrivait à canaliser tous ces talents et à les faire jouer ensemble, explique Cesto. C’est ce qui nous a permis de gagner ce titre. Je me souviens de séances d’entraînement où il n’y avait pas besoin de tableau ou quoi que ce soit. Il mettait ses dix coupelles sur le terrain et il nous montrait comment faire les exercices. » « Je n’ai jamais autant bossé tactiquement. Il avait ses principes, c’était un fervent praticien du 4-4-2, étaye l’ancien capitaine Steven Thicot. Pendant trois ans, on a mangé du 4-4-2 à tous les rassemblements. Tous les jours, on avait droit aux plots, à la vidéo et il nous disait : « Toi, tu dois faire ci et toi ça. » Quand on arrivait sur le terrain, on était prêts. »

À travers l’insouciance de cette bande d’adolescents, l’ancien technicien du PSG a aussi retrouvé le sourire après plusieurs mois malaisés d’un point de vue personnel.

Philippe était dans une période difficile à la fois socialement et professionnellement. Ce groupe a su lui redonner de l’énergie et l’envie de retravailler.

« Je me rappelle d’un tournoi qu’on avait gagné en Italie et j’avais pu discuter avec lui sur le chemin du retour. Philippe avait quitté le monde pro peu de temps avant et cela de manière difficile, confie Benoît Costil, désormais à Rennes. J’ai eu le sentiment qu’à travers notre épopée et après notre discussion, il avait pris un maximum de plaisir, qu’il était épanoui. Loin du milieu professionnel et de toute cette pression qu’il peut y avoir. » Gilles Eyquem, son ancien adjoint qui était très proche de lui, ne dit pas autre chose : « Philippe était dans une période difficile à la fois socialement et professionnellement. Il avait de l’appréhension, quelques craintes au départ. Mais ce groupe a su lui redonner de l’énergie et l’envie de retravailler. Cela a été pour Philippe une bouée de sauvetage et cela l’a aidé à sortir d’une période compliquée. »

Des mordus du ballon rond

Il faut dire que le parcours des Bleus lors du championnat d’Europe 2004, qui se tient d’ailleurs dans l’Hexagone, frise la perfection. En phase de groupes, la France termine première (3 succès, un seul but pris) avant d’écarter le Portugal et l’Espagne pour s’adjuger la couronne européenne.

On ne s’en rend compte que maintenant, mais, à l’époque, gagner était une formalité.

Du groupe tricolore découle alors une force presque irrésistible, insolente même. « On était tellement décontractés, on abordait les matchs avec l’idée que c’était impensable de ne pas gagner, expose Pierre Ducasse, milieu qui officie à Boulogne depuis 2015. On était sûrs de notre force. Je ne sais pas combien de fois on a perdu, mais ça doit se compter sur les doigts d’une main (sourire)… On s’en rend compte maintenant, mais, à l’époque, gagner était une formalité. »

Serge Akakpo, lui aussi, livre le ressenti qui animait un groupe en constante quête de progression : « Ce n’était pas un excès de confiance, mais on était arrivés à un point où on jouait les matchs pour s’améliorer dans ce qu’on faisait. Par exemple, moi, au lieu de me dire qu’il fallait gagner ce match, je me lançais des défis. Comme le fait de rater le moins de passes possibles sur cinquante, de gagner le plus de duels possibles. Parce que je savais qu’on allait gagner. »

On avait des rêves et on en parlait. On n’était pas suffisants, on ne se disait pas qu’on avait réussi parce qu’on était en équipe de France. On était ambitieux.

Au-delà de l’histoire écrite sur les terrains, il y a une vie de groupe rythmée par d’interminables paroles autour de l’amour commun pour le ballon rond. « On était une génération mordue de football, clame Thicot, ravi de rembobiner le fil de cette aventure. On en parlait énormément, on ne jouait pas trop à la console. On se retrouvait à trois-quatre dans la même chambre et on se demandait mutuellement comment ça se passait dans nos clubs. » Les desseins, les rêves des uns et des autres viennent également nourrir les discussions. « Chacun parlait de ce qu’il voulait devenir, là où il aimerait jouer. On avait des rêves et on en parlait. On n’était pas suffisant, on ne se disait pas qu’on avait réussi parce qu’on était en équipe de France. On était ambitieux » , certifie d’une voix inébranlable Akakpo.

I Will Survive, Ben Arfa le dragueur refoulé et fête au grec

En outre, les rassemblements du groupe ont offert quelques parcelles de souvenirs mémorables. Des délires de jeunesse gravés à jamais pour tous les acteurs. Benoît Costil, d’abord : « J’ai une photo chez moi où je suis sur la selle d’un vélo et c’est Samir qui conduit. On était en train de faire les cons dans les rues en Suède, c’était drôle. (rires) »

Quand Franck (Songo’o) allait parler avec des filles, il ne faisait pas profiter les potes. Il ne te plaçait pas et parlait que pour lui.

Un voyage en terre scandinave où Hatem Ben Arfa s’est montré moins adroit avec les filles qu’avec le ballon. « Un moment, il y avait des filles autour et Hatem ne parlait pas un seul mot anglais. Une Suédoise, vachement maquillée, ne voulait pas le calculer, révèle en se marrant Cesto. Il voulait lui dire quelque chose, mais elle n’était pas réceptive. Il a donc dit quelque chose comme : « Mais vas-y, elle se la raconte alors qu’elle a du plâtre sur la gueule avec son maquillage, on dirait elle a une entorse de la gueule sérieux. » » Franck Songo’o, lui, en revanche, a connu plus de succès auprès de la gent féminine. « Franck parlait anglais et espagnol. Partout où on allait à l’étranger, on le poussait et on le mettait devant pour qu’il parle. Mais c’était un crevard ! dénonce, amusé, Akakpo. Car quand il allait parler avec des filles, il ne faisait pas profiter les potes. Il ne te plaçait pas et parlait que pour lui. »

Au tour de Pierre Ducasse de remonter le temps : « J’ai le souvenir de notre communion dans les vestiaires après le titre gagné et d’Ahmed Yahiaoui qui avait pris le micro au stade. On aurait dit qu’on avait gagné la Coupe du monde parce qu’il chantait I Will Survive. Il avait pris le micro puis fait : « La, la, la… » Il se croyait au Vélodrome ! (rires) »

On avait demandé au videur de nous laisser entrer en boîte, car on venait de gagner l’Euro U17. Mais comme on venait de lui avouer qu’on n’avait pas dix-huit ans, il a refusé.

Puis de Gilles Eyquem, la voix encore empreinte d’émotion : « Les gamins blaguaient souvent avec le chef de la délégation, Claude Verduron, qui était un titi parisien. Avec Samir Nasri, il y avait souvent des joutes verbales à faire pleurer de rire tout le monde. » Mais quid de la célébration du titre à Châteauroux ? Là encore, c’est un moment savoureux. « On voulait aller en boîte, confesse Thomas Mangani, latéral tricolore à l’époque. On avait demandé au videur de nous laisser entrer car on venait de gagner l’Euro U17. Mais comme on venait de lui avouer qu’on n’avait pas dix-huit ans, il a refusé ! » Alors une partie de la troupe est finalement partie lâcher quelques crocs dans un grec aux environs. Avec le statut de champion d’Europe, oui. « C’est bizarre hein…(rires). Tu te dis que tu viens d’être champion d’Europe, tu es sur le toit de l’Europe, donc tu as envie de faire un truc de fou, déclare, hilare, Akakpo. Mais non, on a juste mangé un grec et on est restés à discuter jusqu’à presque 2h du mat’. C’est tout, mais ça montrait aussi notre état d’esprit. »

« Des moments qui resteront gravés toute notre vie »

« Ce n’était que du bonheur. Quatre ans de bonheur. (Le parcours du groupe a pris fin après la non-qualification pour l’Euro U19 en 2006, ndlr.) » Dans la bouche de Steven Thicot, tout est résumé. Douze ans après cette épopée singulière, tous ont emprunté des itinéraires divers. Sans toutefois jamais enfouir cette aventure d’un autre temps. « C’est là où j’ai le plus kiffé parce qu’on avait que ça en tête, s’épanche Serge Akakpo, aujourd’hui à Trabzonspor. Les éducateurs arrivent encore à te protéger. Tu n’as pas encore tous les agents, tout ce star système qu’il y a autour. Il y avait moins de personnes autour, tu étais vraiment concentré sur ton objectif. C’étaient de belles années. »

« Ce sont des moments qui resteront gravés toute notre vie, personne ne nous les enlèvera, ajoute pour sa part Cesto, qui était à l’aube d’une carrière professionnelle avant qu’un problème cardiaque décelé en 2005 ne l’empêche de poursuivre. C’est quelque chose de commun pour nous et dans dix-vingt ans, ce sera toujours pareil. »

Si quelqu’un avait un jour l’idée d’organiser un événement avec tous les joueurs de cette génération, je peux vous dire que je suis prêt à zapper mes vacances pour ça.

Plus ou moins en contact aujourd’hui, chacun trace sa propre route. Avant, pourquoi pas, de se retrouver un jour comme au bon vieux temps ? « Si vous demandez à n’importe qui faisant partie de cette aventure, ils vous diront qu’ils aimeraient revenir en arrière et revivre ça, avance, un brin nostalgique, Costil. C’était juste extraordinaire. Ce sont mes meilleures années de foot, clairement. Si quelqu’un avait un jour l’idée d’organiser un événement avec tous les joueurs de cette génération, je peux vous dire que je suis prêt à zapper mes vacances pour ça. » Ne reste désormais plus qu’à prendre rendez-vous.

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Par Romain Duchâteau

Tous propos recueillis par RD

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