- Ligue des champions – J4 – Groupe H – Lyon/Zénith Saint-Pétersbourg
Gazprom éclaire le foot… et s’affiche en vitrine
Gazprom a racheté le Zénith Saint-Pétersbourg, adversaire de Lyon ce mercredi soir en Ligue des champions, il y a exactement dix ans. C'était à l'époque la première incursion du géant du gaz et du pétrole dans le football. Un sport dans lequel il n'a eu de cesse depuis d'investir, l'utilisant tour à tour comme vitrine médiatique et comme outil de négociation…
C’est un spot de pub entêtant qui est venu squatter nos soirées Ligue des champions. Un spot animé de 30 secondes, avec des images naïves, une caméra qui virevolte, des silhouettes d’employés, supporters et joueurs dans des paysages fantasmés, jusqu’au slogan final : « We light up football » . Du grandiose sublimé par la bande son, le Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski. Un prélude en quelque sorte au fameux hymne de la C1 qui précède l’arrivée des deux équipes concernées sur la pelouse. Cette publicité désormais incontournable vante les mérites de Gazprom, un des sponsors officiels de la compétition avec Heineken, MasterCard, UniCredit, Adidas, Playstation 4 et Lay’s. Le contrat passé par le géant du gaz et du pétrole avec l’UEFA date de 2012. Il était initialement de trois ans et n’aurait toujours pas été renouvelé, mais tout indique que le deal devrait se poursuivre encore longtemps, tant Gazprom semble décidé à investir massivement dans le football. Un intérêt qui s’est d’abord manifesté en 2005 avec le rachat du Zénith de Saint-Pétersbourg – club qu’il finançait déjà depuis quelques saisons – et qui n’a eu de cesse de s’accroître depuis. En janvier 2007, Gazprom est venu à la rescousse de Schalke 04, devenant son principal soutien financier à hauteur de 25 millions d’euros par an, contrat rehaussé même depuis pour monter à 30 millions refilés chaque année. En 2010, l’entreprise est également devenue le sponsor général de l’Étoile rouge de Belgrade, l’actuel leader du championnat serbe, contre « seulement » 4 millions d’euros annuels. Et puis il y a donc aussi le partenariat noué avec l’UEFA pour la Ligue des champions et plus récemment avec la FIFA pour devenir l’une des marques qui s’afficheront partout lors de la Coupe du monde 2018 à la maison, au côté d’Adidas, de Coca Cola, de Visa et de Hyundai/Kia.
Business, politique, football : triptyque gagnant
La première question qui se pose forcément à l’évocation de ce nouvel argentier du football, c’est : mais nom d’une pipe, qui est-il ? Gazprom est une société débarquée au moment du démantèlement de l’Union soviétique et de la privatisation à marche forcée de l’économie russe. Elle est issue du ministère soviétique de l’industrie gazière et reste encore aujourd’hui éminemment liée à la sphère politique. Dmitri Medvedev en a été le directeur de 2002 à 2008, jusqu’à ce qu’il soit élu à la présidence de la Fédération de Russie, laissant les pleins pouvoirs de la société au PDG Alexeï Miller… qui se trouve aussi être vice-président de la Fédération nationale de football. Business, politique et football : le triptyque parfait pour définir ce qu’est Gazprom aujourd’hui. Pour le côté business, ce géant détiendrait près d’un tiers des réserves en gaz de la planète et alimente l’Europe, étant jusqu’à il y a peu en situation de quasi-monopole sur le continent. Résultat : Gazprom est la « banque de l’État russe » , comme le définit Alain Guillemoles, auteur de Gazprom : le nouvel empire. Il pèserait rien de moins que 8% du PIB du pays, emploie 400 000 salariés et possède plus de 150 000km de gazoducs, un réseau qu’il ne cesse d’accroître.
Le financement de Schalke dans le package d’un deal avec l’Allemagne
C’est là que le football entre en jeu. Car une fois qu’on sait en gros ce qu’est Gazprom, on peut légitimement se demander ce que cette société vient faire dans ce milieu. Et la première réponse est : utiliser ce sport comme un outil de négociation. C’est ainsi qu’elle n’a pas sauvé Schalke 04 d’une faillite qui menaçait seulement par bonté d’âme, mais parce qu’au même moment, elle était en train de négocier avec l’Allemagne pour son approvisionnement en gaz via le North Stream, un gigantesque gazoduc reliant le pays depuis la Russie via la région balte. Les millions et les millions injectés dans le compte en banque du club de Gelsenkirchen seraient une sorte de cadeau fait au moment des négociations… Il se murmure même que Gerhard Schröder lui-même, l’ancien chancelier allemand reconverti président du conseil de surveillance du North Stream, aurait demandé à ce que Gazprom vienne à la rescousse de son club de cœur endetté. « Disons qu’au moment des négociations, Schröder aurait souhaité porter secours par ce biais à une institution du football allemand, mais ce n’est pas dit qu’il soit particulièrement fan de ce club en particulier » , tempère Alain Guillemoles. On reste tout de même encore en plein triptyque business/politique/football dans cette affaire…
Après l’Étoile rouge, un club turc ?
C’est d’ailleurs un peu la même histoire avec l’Étoile rouge de Belgrade, dont le bienfaiteur financier est intervenu au moment même où la Serbie négociait le passage sur son territoire du South Stream, un autre gazoduc en projet, dont la construction a finalement été annulée suite à la crise ukrainienne. Pour l’instant, ça n’a pas coupé les finances de l’Étoile rouge… Mais déjà Gazprom s’est tourné vers une solution alternative avec un nouveau projet de gazoduc : le Turkish Stream qui, comme son nom l’indique, contournerait l’Ukraine pour circuler encore plus au sud vers la Turquie. Un projet chiffré à 11 milliards d’euros, ce qui situe les broutilles que représentent les investissements de la société dans le football. Les négociations sont gelées depuis que le climat entre Moscou et Ankara s’est lui aussi considérablement refroidi avec la Syrie de Bachar Al-Assad comme point d’achoppement, mais si elles reprennent un jour, un club turc ne pourrait-il pas bénéficier à son tour des largesses financières de Gazprom ? « C’est difficile à prédire, car c’est une entreprise qui ne fonctionne pas toujours de manière rationnelle et réfléchie, juge Alain Guillemoles. Elle joue plus sur l’effet d’opportunité, comme c’était le cas avec Schalke, mais il ne semble pas y avoir de stratégie très claire d’investissement raisonné et calculé de cet ordre. »
À Saint-Pétersbourg, la construction du stade le plus cher au monde
Quant au sponsoring de la Ligue des champions comme du prochain Mondial, la tactique est en revanche beaucoup plus linéaire et évidente : « Il s’agit de s’acheter une image en Europe, où se trouvent ses principaux clients » , répond Alain Guillemoles. Pour l’instant, Gazprom vend ses ressources à d’autres compagnies qui la distribuent en leur nom, mais il n’en sera pas forcément toujours ainsi dans l’avenir. Il s’agit donc de préparer le terrain et de faire entrer dans la tête des gens le nom de ce géant gazier désormais incontournable qui finance leur passion, le football. Reste ce soutien historique au Zénith Saint-Pétersbourg, qui sert là de support promotionnel pour le marché national. « C’est aussi dans la lignée de la tradition soviétique que les grandes compagnies détiennent des clubs sportifs » , poursuit Alain Guillemoles. Un soutien qui a permis au Zénith de devenir le meilleur club de Russie de la dernière décennie, de compter désormais en Europe et qui va permettre au club de se doter très prochainement d’un nouveau stade, le Gazprom Arena bien évidemment, dont la construction s’éternise et qui pourrait facturer au final pas loin du milliard d’euros, ce qui en ferait l’enceinte la plus chère au monde. Moins du centième du chiffre d’affaires annuel de la compagnie.
Par Régis Delanoë