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Gauthier Ganaye : « Ils m’ont dit « Welcome to the mad house » »

Propos recueillis par Ronan Boscher
12 minutes
Gauthier Ganaye : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Ils m&rsquo;ont dit « Welcome to the mad house »<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il a traversé l'été dernier la Manche pour prendre les rênes de Barnsley et devenir ainsi le premier et le seul président français d'un club professionnel anglais. Le plus jeune de toute l'Angleterre aussi. Boss Ganaye raconte pour la première fois son parcours inédit, de Saint-Omer, en passant par une colocation à Leeds, le RC Lens de Gervais Martel, Mammadov, jusqu'à son arrivée dans le Yorkshire par un cabinet de recrutement. Lui, c'est Gauthier Ganaye.

T’as déjà joué au foot ?J’ai commencé en club vers 5-6 ans et jusqu’à mes 18 ans. J’ai fini par jouer au niveau national, du côté de Saint-Omer, un bon petit club. Comme tous les ados, quand tu joues contre Lens, Lille ou Valenciennes, à un moment donné, t’imagines en faire ton métier. Mais j’ai vite réalisé le grand fossé séparant les jeunes nationaux et les jeunes de centre de formation. Et puis très peu sortent ensuite pros des centres. Moi, je jouais surtout au foot pour être avec mes potes. J’ai arrêté le club quand je suis allé à l’université catholique de Lille.

T’es fan du RC Lens ou pas ?Oui, depuis tout petit. Et je le suis encore aujourd’hui. J’ai 10 ans quand ils gagnent le titre de champion de France, ça te marque. Mes idoles, c’étaient Sikora, Vairelles, Micka Debève. Je me souviens que le premier soir de mon stage au club, quand je rentre chez moi, j’appelle direct mon père : « J’ai serré la main d’Éric Sikora ! »

Tu faisais quoi à l’université ?Un double cursus pendant cinq ans de droit et finance. En général, un juriste pur et dur, on dit que c’est le mec qui emmerde un peu tout le monde, alors que là, la fac développait des juristes capables de comprendre les enjeux économiques derrière chaque décision. Je finis major de promo en 5e année, en finissant par une spécialisation dispensée par l’EDHEC, en management, communication et marketing.

Mammadov est un personnage fantasque, avec tout son entourage, ok, mais celui qui dit aujourd’hui qu’il avait des doutes sur ses projets à Lens en juillet 2013, il ment.

Comment tu arrives au RC Lens ?Avocat, notaire, dans le même bureau pour les quarante prochaines années, ça ne me faisait pas vibrer plus que ça. Au début, j’obtiens un rendez-vous avec Gervais Martel pour qu’il m’aide à être agent. Il me fait : « Mouais, les agents… c’est un milieu de merde, mais nous, on n’a pas de service juridique, et on dépense beaucoup trop en honoraires d’avocat. » Les chiffres étaient astronomiques. Il me prend en stage de trois mois, pour ma 2e année de fac. Super. J’en refais un de six mois en 5e année. En parallèle, je rédige mon mémoire de fin d’études sur la compétitivité du foot français. Et Gervais veut m’embaucher en tant que responsable du service juridique, mais la fac veut que je finisse mon stage d’abord. Et là, cataclysme : le Crédit Agricole prend la majorité du RC Lens et Gervais devient minoritaire, donc plus décisionnaire complètement. Un directeur général, genre cost killer d’une soixantaine d’années, arrive, me rencontre à la demande de Gervais. Je lui explique le projet de service juridique et il me fait : « Tout ce que tu viens de m’expliquer est exactement ce qu’il faut faire, mais t’as pas l’expérience pour. » Deux jours après, la directrice du service juridique de l’Institut Pasteur de Lille me propose un entretien. Finalement, je réalise qu’elle me propose son poste parce qu’elle part diriger le service juridique du… RC Lens. Moi, je me retrouve sans job jusqu’à ce que Gervais m’appelle : « Écoute, je vais retrouver des investisseurs et reprendre le club, dans un mois pas plus, j’ai besoin de ton expertise pour faire les présentations, les montages juridiques, tout ça. » Ça a duré un an pile. Une aventure humaine intense. Gervais n’avait plus grand monde autour de lui à ce moment-là. Beaucoup l’enterraient. Je me rappelle notamment d’un moment où, après un rendez-vous avec une banque, il pose sa mallette sur le trottoir, s’allume une clope et me dit : « Je te remercie beaucoup de faire ça avec moi. » T’apprends très vite, à 24 ans, quand tu partages une grande partie de son quotidien. On fait plein de rendez-vous, face à des types carrés, d’autres moins, à 4 heures du mat parfois. Une fois, on est même arrivés en retard à une banque parce qu’un supporter lensois croisé dans la rue à Paris voulait prendre un café avec Gervais. « Pfff, c’est les banquiers, ils attendront, y a plus important » disait Gervais. Et on est resté 15 minutes à discuter autour d’un café. Vers décembre-janvier, on sait que Mammadov va être le futur repreneur. Je pars de mon côté apprendre l’anglais pour six mois à Leeds, tout en bossant à distance pour Gervais. Leeds, c’est pas Londres hein, tu croises pas beaucoup de Français. Là, je parle anglais avec mes colocs, dans mes sorties, dans mes rencontres. Puis l’arrivée de Mammadov se précise, et je rentre à Lens, en juillet 2013, comme Gervais Martel. Je remplace au service juridique la femme qui venait de Pasteur ! Elle avait très bien fait le boulot, mais en revanche, elle ne s’était pas intéressée au cœur de métier d’un club de foot : contrats de transfert, des joueurs, entraîneurs… Donc je me mets là-dessus. Pour l’anecdote, quand je suis arrivé à Lens, un contrat de joueur faisait 5 lignes. Durée, montant et point barre. (Rires.) Maintenant, il fait 15 pages. Et puis comme Lens a un gros centre de formation, tu as aussi le volet lié au mécanisme de solidarité FIFA pour les transferts de tes anciens joueurs à l’étranger. Là, je commence à me tisser un réseau plus international, à participer à toutes les négos. Et ça me permet de pratiquer l’anglais appris à Leeds.

T’avais des doutes à l’époque concernant Mammadov ou pas ?C’est un personnage fantasque, avec tout son entourage, ok, mais celui qui dit aujourd’hui qu’il avait des doutes sur ses projets en juillet 2013, il ment. Quand un mec balance 20 millions d’euros en juillet 2013, qu’une banque comme le Crédit Agricole valide toutes les vérifications nécessaires, personne ne pouvait imaginer ce qu’il s’est passé ensuite.

Tu changes de poste un an après son arrivée. Oui, je passe secrétaire général, en récupérant les missions d’un des deux DG adjoints, parti. Je m’occupe du juridique, financier, marketing, com. Jusqu’à fin mai 2017. Deux ans plus tard, je ne cachais plus mon ambition de jouer un rôle plus important au club. Et on me renvoyait toujours à mon âge. Un argument plutôt agaçant. Donc je commence à activer mon réseau pour évoluer ailleurs. Avec un challenge précis : diriger un club.

J’ai invité Gervais Martel à déjeuner un steak-frites pour lui annoncer mon départ vers Barnsley. Un bon moment, même si ce n’était clairement pas anodin de quitter Lens pour moi.

Comment t’en viens à te retrouver du côté de Barnsley ?Un ami anglais me prévient qu’ils avaient mandaté un cabinet de recrutement pour trouver un nouveau CEO. Je les contacte, on échange et je reçois un mail en février me disant que je suis shortlisté. Je passe un premier entretien dans une salle de réunion du Hilton de l’aéroport de Manchester, en fin de journée. Quand je vois la petite bouteille d’eau déjà entamée devant moi sur la table, je prends conscience que je ne suis pas tout seul sur le coup. Les discussions ne sont pas trop formelles, concentrées sur mon profil international, mon réseau français. On ne me parle à aucun moment de mon âge, mais plutôt de mes expériences à Lens, vu que j’ai quand même vécu plusieurs changements d’actionnaires en 4 ans. Et puis le propriétaire retransmettait super bien la passion qui l’anime pour le club. Tu t’y croirais presque, comme quand Gervais te parle de Lens. Deux jours plus tard, alors que je suis en vacances avec ma femme à Abu Dabhi, le cabinet me dit que je suis retenu pour un entretien final à Barnsley. Je fais le tour des installations, je rencontre plusieurs personnes, des employés. Ils sont presque bluffés par mon anglais, à se demander si je comprenais vraiment ce qu’ils me racontaient. Ils ont un accent à couper au couteau dans ce coin du Yorkshire quand même. Mais à Leeds, j’avais appris à comprendre cet accent et à parler comme eux ! Le lendemain, ma femme me rejoint à Barnsley pour le week-end, histoire qu’on découvre un peu le coin, au cas où. Barnsley nous apparaît alors comme un ancien bassin minier qui a du mal à muter économiquement, avec ses difficultés économico-sociales. Tu sens que la vie ici, ce n’est pas la Côte d’Azur. La mentalité des gens, l’humilité, le travail, l’intégration chaleureuse me font un peu penser à Lens, comme un clin d’œil du destin. Après, niveau stade, ça reste différent. Bollaert a accueilli l’Euro 2016. Celui de Barnsley, il est encore dans son jus, à l’anglaise. Quand tu rentres dedans, ça fait un peu Billy Elliot. (Rires.)

Tu rencontres aussi lors de ton premier entretien le président Maurice Watkins, qui a défendu Cantona après son kung-fu kick contre le supporter de Crystal Palace. Oui, j’avais bien fait mes devoirs et je savais qui était qui avant de les rencontrer. Maurice Watkins, c’était aussi trente années au board de Manchester United quand même, toujours un des plus gros avocats en droit du sport ici, une personnalité très réputée. Lors de l’entretien, il m’avait raconté quelques anecdotes sur la relation Ferguson-Cantona, sur le fait que Sir Alex faisait parfois passer les messages à Cantona par lui, qu’il était copain avec Frédéric Thiriez aussi.

C’est facile de dire à sa femme : « Fais tes valises, on part vivre à Barnsley ! » ? Le processus de recrutement a duré deux mois et nous a permis de mûrir la réflexion, de nous projeter, d’en discuter, nous prenons toutes les décisions ensemble. Et j’ai la chance d’avoir une femme qui me soutient à 100%, (très investie dans sa carrière professionnelle, comme moi), mais mobile géographiquement, avec un boulot très flexible. Elle est écossaise et a aussi un profil très international, elle vit par le voyage, aime découvrir de nouvelles cultures. Ça nous ressemble. Ça a grandement facilité les choses parce qu’elle était quand même enceinte de six mois à cette période.

Tu te souviens où tu es quand tu apprends que tu as le poste ?Oui, dans mon bureau au RC Lens, je reçois un coup de fil du cabinet de recrutement. Ils me disent que c’est bon et, également, que je suis le premier Français et le plus jeune aussi à diriger un club anglais. Je n’en avais absolument pas conscience. J’avertis une semaine plus tard l’actionnaire majoritaire de Lens, Joseph Oughourlian, et ensuite j’invite Gervais à déjeuner, un steak–frites. Un bon moment, même si ce n’était clairement pas un moment anodin de quitter Lens pour moi. J’assiste au malheureux dernier match (ndlr : Lens manque la montée en L1 dans les dernières minutes), à Bollaert et je prends mes fonctions à Barnsley le 12 juin 2017. Le temps est passé super vite et je demande à un ami de visiter un appart que j’avais repéré sur Internet. J’ai signé le bail sans même l’avoir visité.

Pas trop dur la première gestion du mercato ?Ce n’était pas plus mal que je sois tout seul à Barnsley à ce moment-là ! On devait rentrer une quinzaine de joueurs. Je faisais du H24, en grande proximité avec le board et le coach. À chaque fois que j’avais un CEO ou un directeur sportif au téléphone ou en SMS, ils avaient cette phrase : « Welcome to the mad house » . J’ai vraiment apprécié. Ceux qui connaissaient 2-3 mots de français en profitaient pour les caler. C’était sympa. Les fans m’ont super bien accueilli aussi, dans la chaleur et l’humour. Je me souviens d’un « Gauthier Ganaye, on dirait le nom du méchant dans James Bond » , qui m’a bien fait marrer. Après, dans l’entrerise, certains ont essayé de me tester par rapport à mon âge, mais ça ne m’a pas déstabilisé. Certains en rigolent aujourd’hui encore. Je me sens sincèrement au bon endroit et au bon moment. Ça m’a vraiment chauffé de venir ici, pour ce gros challenge.

Des choses t’ont surpris depuis ton arrivée ?Pas vraiment. Tu te rends juste compte que le milieu professionnel français, concentré entre la L1 et la L2, est plus figé. Ici, tu as cinq divisions professionnelles, environ 100 clubs pros avec qui tu peux dealer. Au début, ça te fait mal à la tête, hein, parce que tu ne les connais évidemment pas tous, surtout quand tu dois négocier la vente ou la venue d’un joueur. Et puis ce n’est pas un mythe : ici, ça parle de foot en permanence, tu joues tous les trois jours, tu sens son impact dans la culture quotidienne des gens. Et je constate même un professionnalisme des joueurs plus poussé, dans l’hygiène de vie notamment. Tu ne pourrais pas résister au Championship, où tu joues tous les samedis et les mardis, sinon. La rotation dans le groupe est bien plus acceptée aussi.

Pour l’instant, vous êtes en queue de classement en Championship. Inquiet ?

On a signé 15 recrues dans les divisions inférieures en France et en Angleterre, qui n’avaient jamais fait l’expérience du Championship, à l’intensité physique rarement égalée. Aujourd’hui, notre groupe est solidement constitué. Après douze matchs, nos recrues ne sont plus les mêmes qu’à la reprise.

Non. On s’est fixé le maintien comme objectif. On a l’un des plus petits budgets de la division. Ici, on n’investit que sur des joueurs de 24 ans ou moins, une vision en place avant ma venue et que je devais épouser si je voulais venir ici. On a aujourd’hui la moyenne d’âge la plus faible des cinq divisions anglaises. Même notre coach est le plus jeune dans la division. On a signé 15 recrues dans les divisions inférieures en France et en Angleterre, qui n’avaient jamais fait l’expérience du Championship, à l’intensité physique rarement égalée. Aujourd’hui, notre groupe est solidement constitué. Après douze matchs, nos recrues ne sont plus les mêmes qu’à la reprise. Elles ont appris. Si on prend les résultats dans le détail, on constate qu’on a perdu beaucoup de points dans les dernières minutes, peut-être à cause de notre jeunesse. Dernièrement, contre Hull, on fait sans doute notre meilleur match, on frappe 23 fois au but, eux deux fois, et on perd 1-0 en toute fin de match. Sans fanfaronner, notre classement ne reflète pas le réel niveau de l’équipe.

Te sens-tu une filiation, dans la manière de faire, avec Gervais Martel ?À vrai dire, je ne me suis jamais posé la question. Mais tu ne peux pas bosser 4 ans avec Gervais et dire qu’il ne t’a pas influencé. Je fais peut-être plus attention à ma communication que lui. Il a parfois fait des erreurs de com, mais comment ne pas en faire quand tu restes vingt ans dans un club ? En tout cas, ce que j’ai toujours admiré chez Gervais, c’est qu’il a toujours assumé ses décisions. Même quand elles étaient mauvaises et qu’il en a pris plein la gueule pour ça. On peut le critiquer tant qu’on veut, Gervais ne s’est jamais caché derrière quelqu’un ou son petit doigt.

T’as eu le droit à un bizutage au fait ?Non, en espérant que la question ne leur donne pas l’idée. (Rires.)

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