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Gauthier Gallon : « Pas besoin d’être City ou le Barça pour essayer de relancer court »
Pour sa première saison en Ligue 1, Gauthier Gallon est passé de la méthode Laurent Batlles à celle de Bruno Irles, qui commence à payer à Troyes ces dernières semaines. Le gardien formé à Nîmes revient sur l'adaptation à une nouvelle philosophie de jeu et s'attarde sur les grands thèmes liés à son poste : la taille, le jeu au pied et la mode des relances courtes. Entretien avec le fils d'un attaquant.
Avant la courte défaite à Monaco le week-end dernier, Troyes a enchaîné cinq matchs sans perdre (3 victoires, 2 nuls) et s’est rapproché du maintien. Comment expliques-tu cette transformation ? Avec le changement de coach à Noël, il a fallu s’adapter à une nouvelle façon de jouer et à de nouvelles méthodes, ça prend un peu de temps. C’est aussi pour cela que les mois de janvier et février ont été compliqués. Puis, il y a également eu une prise de conscience générale : en continuant comme ça, on allait droit dans le mur. Tout le monde a intérêt à rester en Ligue 1. La méthode a commencé à prendre, on a corrigé certaines choses et les têtes ont été remises à l’endroit pour faire des résultats.
Comment as-tu vécu le départ de Laurent Batlles cet hiver alors que la situation n’était pas non plus alarmante sportivement ? On a été affectés par son départ. On travaillait avec le coach Batlles depuis un moment pour beaucoup d’entre nous. Avec lui, on avait vécu la montée et cette première partie de saison intéressante pour un promu. C’est vrai que la situation n’était pas alarmante, mais il y avait peut-être des choses qui n’allaient plus avec le club dont on n’était pas au courant. On a accueilli la nouvelle avec beaucoup de surprise, on ne l’a pas vu venir, mais il faut s’adapter. Aujourd’hui, tout va bien et le nouveau coach s’est très bien intégré.
Qu’est ce qui a changé entre la méthode Batlles et celle Irles ? On peut voir aujourd’hui que notre façon de jouer est différente. Sur la phase aller, on était une équipe qui aimait ressortir de derrière en prenant beaucoup de risques, même peut-être un peu trop et ça a pu nous faire perdre des points. On était beaucoup plus offensifs, alors qu’on est désormais dans un système où la défense prend le dessus. On a pu mettre des équipes en difficulté en allant vite en contre. Il y a aussi plus de vidéo avec le nouveau coach, ce sont deux façons de travailler différentes, c’est pour cela qu’il a fallu trouver des repères.
C’est utopique de penser qu’une équipe comme Troyes peut se maintenir en proposant un football offensif ? Je ne sais pas. Lors de la phase aller, on est 17es à la trêve, mais on fait une belle première partie de saison. Il nous a manqué un peu de réussite sur des situations offensives et on faisait partie des dix meilleures défenses en prenant énormément de risques ! C’était cohérent. Une équipe comme Clermont a gardé la même philosophie qu’en Ligue 2, c’est un peu plus dur pour eux en ce moment, mais est-ce qu’ils vont changer de méthode ? Je ne crois pas, c’est la façon de jouer de leur entraîneur. Nous, on a changé, on a mis du temps à comprendre des choses et c’est en train de payer.
En février, vous encaissez neuf buts en deux matchs contre Rennes et Brest. Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un gardien à ce moment-là ? Une bonne claque de temps en temps, ça fait du bien, ça permet de retrouver ses esprits et de se rappeler que rien n’est acquis. On sait tous ce que vaut le Stade rennais, ils mettent des cartons à tout le monde, ce n’est pas une honte d’en prendre quatre. C’était plus dur après Brest, on essaie de réfléchir à ce qu’il faut améliorer, on se pose des questions… Mais je n’ai jamais douté. Il y a des périodes de creux dans une saison. Si ce n’était pas le cas, on jouerait tous au Real Madrid.
Comment expliques-tu la fragilité de la hiérarchie des gardiens cette saison en Ligue 1 ? On a vu beaucoup de numéros 1 être relégués sur le banc. Je ne suis pas coach, c’est dur à dire, mais ils peuvent parfois se précipiter un peu après deux ou trois revers qui mettent la pression sur eux. Quand un entraîneur se sent en danger, la première personne qui peut sauter avant lui, c’est le gardien. Tu peux tenter un coup, mais ça ne paye pas toujours.
Fabien Barthez parlait de cette instabilité pour les gardiens dans une interview récemment publiée dans L’Équipe. Il a également parlé de l’évolution du poste. Est-ce que tu partages ses avis ? J’ai lu cet entretien, je vois ce qu’il veut dire dans le fond. Par exemple, si tu ne fais pas une certaine taille aujourd’hui, tu es bloqué. Pourtant, regarde Lloris : il ne fait pas 1,95 mètres et il fait partie des meilleurs gardiens du monde. En revanche, quand Barthez dit que les ballons étaient déjà flottants à son époque, je pense qu’il y a quand même eu une grande évolution à ce niveau. C’est beaucoup plus dur de faire des sorties aériennes dans tous les sens ou jusqu’à l’entrée de la surface.
Pour rester sur la question de la taille, tu fais 1,86 mètres, soit la moyenne basse pour un gardien aujourd’hui. Est-ce que tu as déjà essuyé des refus dans ta carrière à cause de ça ?Non, jamais. Depuis que je suis jeune, on me dit souvent que je suis un peu frêle et qu’il faut que je prenne un peu de muscles. Mais je me sens bien comme ça, je ne vois pas pourquoi j’irais prendre 4-5 kilos de muscles, je bosse bien comme ça. Ma taille peut être un frein dans le sens où je peux avoir le rêve de jouer en Angleterre, en Espagne ou en Allemagne et que je n’entre pas dans les critères de nombreux clubs là-bas. Un gardien pas très grand, il peut compenser avec son intelligence de placement et sa lecture de trajectoire, c’est de l’adaptation. Anthony Lopes fait 1,85 mètres et il fait partie des meilleurs en Ligue 1.
Le jeu au pied et les relances courtes font également beaucoup parler ces derniers temps. Est-ce qu’on en demande trop aux gardiens ? Non, c’est quelque chose qui me plaît, ça fait partie de mes qualités. Avec le coach Laurent ou en formation à Nîmes, j’étais comme un libero, le premier relanceur. Quand tu relances court et que tu parviens à faire sortir l’équipe en face pour créer un décalage qui peut amener une situation dangereuse, tu es content de l’avoir fait. Si tu envoies un long ballon dans la boîte, il faut que l’attaquant réussisse à le gagner au duel, mais s’il revient dans ton camp, c’est quoi l’intérêt ? Les remarques viennent souvent des gardiens de l’ancienne génération qui n’étaient pas habitués à ce fonctionnement. Le poste a évolué, il faut le prendre en compte. Il ne faut pas tomber dans le cliché qui veut que le gardien soit juste bon à faire des arrêts et envoyer des longs ballons devant. Aujourd’hui, il fait partie du jeu. Il participe au jeu et ça fait plaisir.
Quand on est le gardien de l’ESTAC, est-ce qu’on peut relancer court comme si on était celui de Manchester City ? Tu n’as pas besoin d’être City ou le Barça pour essayer de relancer court ! Je dis bien essayer. Il faut le travailler à l’entraînement, le répéter, pour le mettre en place en match. On l’a super bien fait en Ligue 2 la saison dernière et même lors de la phase aller pour un promu, on a montré de belles choses dans les sorties de balle et la construction en partant de derrière.
Qu’est-ce ça change de faire partie du City Group ? On lit souvent qu’ils accordent beaucoup d’importance aux détails, le ressens-tu de l’intérieur ? Il y a peut-être un peu plus d’attente parce qu’on appartient à un gros groupe. Les conditions sont très bonnes, on a beaucoup de personnes qui s’occupent de nous dans le staff. Certains clubs n’ont peut-être pas tout ça, surtout qu’on vient de monter. Tout est en train de changer ici, c’est pour ça qu’il faut se maintenir en Ligue 1 pour avancer dans le projet.
Tu as découvert la Ligue 1 à 28 ans cette saison avec Troyes. Est-ce plus difficile pour un gardien de se faire une place au plus haut niveau ? Pour jouer en Ligue 1, c’est simple, soit tu as la chance de pouvoir monter de L2 comme j’ai pu le faire, soit il faut être un phénomène à 21-22 ans pour être le numéro 2 destiné à prendre la suite du titulaire. Le niveau est très élevé. Entre la L2 et la L1, il y a un fossé qu’on ne mesure pas forcément quand on n’y est pas. Quand on évolue en deuxième division, on pense qu’on a le niveau pour jouer au-dessus, mais la réalité des matchs finit par te rattraper. C’est peut-être pour ça que j’ai dû attendre d’avoir 28 ans. J’espère maintenant ne plus quitter ce championnat.
Comment décide-t-on de devenir gardien de but ? J’ai commencé joueur de champ. Lors d’un tournoi de futsal à 8 ans, le gardien n’était pas là et le coach cherchait un volontaire pour aller dans les cages. J’ai dit : « Moi, moi, moi ! » Cela ne devait être que pour un match, j’ai finalement passé toute la journée à ce poste. Je me souviens que je me baladais avec ma paire de gants. Le soir, l’entraîneur a appelé mon père pour lui expliquer que j’allais devoir faire un choix. Dans l’euphorie, tout excité, j’ai dit que je voulais continuer à être gardien. Tu aurais vu la tête de mon père… Il était attaquant, il n’a pas passé le cap pro, mais à un bon niveau. Son rêve, c’était que je devienne attaquant comme lui. J’ai cru qu’il allait s’effondrer (Rires.) Mais aujourd’hui, il est très content et il m’a aussi bien aidé en me donnant des conseils en tant qu’attaquant qui doit marquer. On a tout fait ensemble, il me faisait des frappes, c’était sympa.
Quand on est attaquant, on regarde des vidéos de Ronaldo sur Youtube. Qui sont tes idoles en tant que gardien ? Mon idole, c’était Grégory Coupet. C’était incroyable de le voir jouer à l’OL. C’est celui qui m’a donné envie de devenir pro à ce poste. Quand j’étais plus petit, je regardais évidemment Barthez, Casillas, Buffon, des légendes quoi. Maintenant, avec le temps, il faut essayer de s’inspirer des meilleurs comme Neuer ou Ter Stegen. J’essaie de prendre un peu partout.
Tu es arrivé à Troyes à l’été 2019 alors que tu avais signé un contrat avec Nîmes, ton club formateur, pour y faire ton retour. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai une histoire particulière avec Nîmes. J’y ai fait toute ma formation, signé mon premier contrat pro, passé deux ans sur le banc avant d’être lancé lancé numéro 1… Après une blessure, j’ai perdu ma place et j’avais pris goût à jouer, donc je suis parti à Orléans où j’ai pu grandir en Ligue 2. Puis, j’ai l’opportunité de revenir à Nîmes qui était monté en L1 entre-temps, Paul Bernardoni devant repartir à Bordeaux pour être titulaire. Je signe ce contrat, on me vend pas mal de choses et Paul reste finalement à Nîmes. Je n’ai pas accepté d’être numéro 2, même en L1. Quand j’ai eu l’approche de l’ESTAC, j’ai filé direct. On a été champions de L2 quand Nîmes est descendu, c’est un peu comme si c’était le destin…
Il y a quand même un goût d’inachevé dans ton histoire avec Nîmes, non ? Est-ce que c’est terminé avec Nîmes ? Je ne sais pas, peut-être que je finirais ma carrière à la maison, tranquillement. On parle beaucoup du club et on suit son actualité avec Renaud (Ripart). Quand on est en déplacement, on regarde leur match du samedi soir. C’est notre ville, notre cœur.
Pour finir, dirais-tu que le gardien de Troyes fait le même métier que celui de Manchester City ? (Rires.) C’est dur de répondre, je n’ai jamais été gardien de Manchester City. Non, je ne pense pas que c’est le même métier, on parle d’une des meilleures équipes au monde avec beaucoup d’enjeu et de pression. C’est un autre football, un autre monde, même si dans le fond, on peut se dire qu’on a tous le même job, celui d’être gardien.
Propos recueillis par Clément Gavard