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Gasperini, le petit père la morale
Habité par une certaine idée du football, parfois moralisateur et grande gueule assumée, Gian Piero Gasperini fait partie de ces types qui ont presque toujours raison et n'hésitent pas à le rabâcher à longueur de temps. Résultat ? Si sa science du ballon est logiquement saluée et révérée en Italie, le Mister de l'Atalanta ne s'est pas fait que des copains en Serie A, ces dernières saisons.
Mener un débat constructif peut vite virer au défi rhétorique. Pour arriver à quelque chose d’un tant soit peu utile, il faut nécessairement que les deux parties mettent de l’eau dans leur vin. Mais quand il parle de football, Gian Piero Gasperini n’est pas du genre à couper sa vinasse. Pour quoi faire, après tout, quand on est en possession d’un grand cru comme l’Atalanta, dont le jeu régale l’Italie depuis que Gasperini a posé son fessier sur le banc du club bergamasque ? Ce mercredi, la Dea va même disputer le premier quart de finale de C1 de son histoire et son Mister, qui n’a jamais eu le triomphe modeste, peut déjà se satisfaire d’une chose : à la fin de la décennie 2010, c’est son football offensif, qui valorise les permutations et les prises de risques, qui est sur le devant de la scène, comme ultime représentant transalpin dans l’épreuve suprême.
Critiques sans Gênes
Le contraste est saisissant avec la Juventus, pilotée par un Maurizio Sarri vidé de ses idées, les Bianconeri ayant choisi de faire all in sur Cristiano Ronaldo, plutôt que de cravacher pour se construire un collectif et une identité de jeu marquants. Autant de qualités qui font défaut à la Vieille Dame mais définissent l’Atalanta de Gasperini, et plus largement les équipes qu’il a dirigées par le passé. Un savoir-faire tactique qui a convaincu le Mister bergamasque des vertus supérieures de sa méthode, quitte à parfois asséner des critiques épicées à certains de ses homologues entraîneurs. Illustration en octobre 2010 quand Gasperini, qui dirige le Genoa, cisaille Gian Piero Ventura, alors coach de Bari, avant un match de Serie A. Critique des Griffons quelques mois plus tôt, l’autre Gian Piero s’en prend plein la tronche en conférence de presse d’avant-match. Gasperini commence par se moquer du football « lubrique » que prétend vouloir jouer son adversaire, l’accuse de « jouer seulement le catenaccio et la contre-attaque » , rappelle qu’il lui avait « ouvert les portes de Pegli (le centre d’entrainement du Genoa) alors qu’il était au chômage et qu’il était venu assister à nos séances » et termine par faire à son adversaire « la promesse d’un coup de pied lubrique, car au final, celui qui parle trop… »
Le donneur de leçons
Le Genoa l’emportera 2-1 et Gasperini, défenseur zélé de sa méthode et du jeu pratiqué par ses équipes, ne cessera jamais par la suite de distribuer quelques torgnoles rhétoriques à ses adversaires. Le 19 octobre dernier, on l’a vu se prendre le bec avec Simone Inzaghi, à l’issue d’un Lazio-Atalanta qui s’était conclu par un spectaculaire 3-3. Un match notamment marqué par deux penalties contestables obtenus et transformés par Immobile, ce qui faisait sortir Gasperini de ses gonds après la rencontre : « Ce qu’a fait Immobile ne rentre pas dans notre conception du football. Je ne suis pas et ne serai jamais d’accord avec ça : ce ne sont pas des penaltys manifestes, mais des gestes de ruse… Ce sont des épisodes très graves, qui entraînent des changements dans le déroulement des matchs. C’était déjà le cas en Coupe d’Italie (défaite de l’Atalanta en finale en mai 2019 face à la Lazio, un match suite auquel Gasperini avait encore fustigé l’arbitrage, N.D.L.R.) et il en était de même aujourd’hui. » Des critiques balayées dans la foulée par Simone Inzaghi, passablement agacé en conférence de presse.
Alors, mauvais perdant, l’entraîneur de la Dea ? Sans aucun doute. Ce qui est certain, c’est que le bonhomme, en bon donneur de leçons, semble parfois se laisser dominer par un léger complexe de supériorité. Quitte à parfois dépasser les bornes sur son banc, comme face à Bologne en Serie A le 21 juillet dernier. Gasperini, coupable d’invectiver les joueurs adverses depuis son banc, avait fini par se faire expulser, après s’être chauffé avec Sinisa Mihajlovic, le Mister des Rossoblù. Le Serbe, furieux, lui avait glissé : « Pourquoi parles-tu à mes joueurs ? Parle aux tiens et ne me casse pas les couilles, tu comprends ? Va te faire foutre. » Pas de quoi perturber Gasperini, qui assénait contre toute évidence à l’issue de la rencontre qu’il n’aurait « pas du être expulsé » .
Et s’il avait raison ?
Si celui qui fut entraîneur des équipes de jeunes de la Juve a autant de mal à reconnaître ses torts, c’est sans doute parce que beaucoup d’éléments finissent par lui donner raison. Sur le terrain, l’Atalanta incarne une idée de jeu jouissive, un parti pris stylistique merveilleusement jusqu’au-boutiste qui manque cruellement au football transalpin. Surtout au sein des plus grosses écuries du pays, trop conservatrices, immobilistes et minées par la culture du résultat immédiat. Gasperini aura bien tenté d’exporter sa méthode chez un poids lourd, en l’occurrence l’Inter, sur le déclin après la fin de l’ère Mourinho et dont il était nommé entraîneur en 2011. Mais il sera viré au bout de cinq matchs et quatre défaites, sans avoir plus de temps pour imposer ses idées : « L’Inter savait que mon système était le 3-4-3… J’ai expliqué ça trois fois aux dirigeants de l’Inter. Je crois que la controverse autour de mon système a été un prétexte pour me virer rapidement. Mais s’ils ne croyaient pas en mon travail, pourquoi m’avoir choisi ? »
La suite lui donnera plutôt raison, les Nerazzurri enchaînant les saisons quelconques, avant qu’Antonio Conte, un autre entraîneur à l’identité tactique marquée, ne revienne mettre de l’ordre dans la maison lombarde lors de l’exercice en cours. Alors, quid de ce mercredi ? Gian Piero Gasperini espérera sans doute donner une nouvelle leçon de ballon, au PSG cette fois-ci. Le cas échéant, personne en Italie ne lui reprochera de vanter les mérites du football pratiqué par les siens. Un football qui pétille d’un plaisir collectif qu’il convient de savourer, avant que la fête ne finisse un jour par prendre fin.
Par Adrien Candau
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