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Garzitto : « Au Soudan, on peut vous limoger pour un oui ou pour un non »
Vendredi soir à Omdurman, dans un derby soudanais toujours bouillant, Al-Hilal et Al-Merreikh vont s’affronter pour le premier match de phase de poules de la Ligue des champions (groupe A). Diego Garzitto, revenu sur le banc d’Al-Merreikh fin 2016, a aussi entraîné Al-Hilal.
Al-Hilal et Al-Merreikh sont les deux plus grands clubs du Soudan. Lequel est le plus populaire ?Al-Hilal. C’est le club du peuple. Al-Merreikh est considéré comme celui d’une classe un peu plus aisée. Ils se partagent quasiment tous les titres, le championnat et la Coupe depuis des années (Al-Hilal Port-Soudan est la dernière équipe à avoir interrompu leur domination, en 1992, ndlr). Al-Hilal a gagné plus de championnats (29 contre 20, ndlr), Al-Merreikh plus de coupes (24 contre 7, ndlr). Il y a une énorme rivalité entre les deux clubs. L’objectif, en début de saison, c’est d’être devant l’autre au classement. Et si possible de gagner le derby. Dans toutes les grandes villes du pays, il y a des clubs de supporters, surtout d’Al-Hilal, même si son rival rattrape son retard.
C’est le derby avec la distance la plus courte du monde…Les deux stades sont éloignés de quelques centaines de mètres. Quand ils s’entraînent le soir, tu le sais car les projecteurs sont allumés. À chaque fois que les deux équipes s’affrontent, les stades sont pleins. On a joué Al-Hilal il y a quelques semaines en amical. Un match voulu par le président de la République. Eh bien, c’était bondé et assez chaud. Ce sera pareil vendredi soir. Il y aura autant de gens à l’intérieur qu’à l’extérieur. On sait que ça sera bouillant. Les fans d’Al-Hilal sont plus virulents que les nôtres. Il y a quelques années, les mecs avaient tout cassé dans leur propre stade, pour protester contre l’arbitrage. Mais les autorités font ce qu’il faut pour la sécurité. Il y aura des flics partout. Et les flics soudanais ne rigolent pas…
Que se passe-t-il quand on perd un derby ?Les joueurs vont se faire insulter. Mais il n’y a jamais d’agressions physiques. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu de soucis particuliers. Tu sens que les supporters ne sont pas contents. À la limite, tu restes chez toi un jour ou deux, tu te fais discret. J’ai entraîné Al-Hilal en 2012, mais j’étais parti, car le président ne me payait plus alors qu’on avait atteint les demi-finales de la Coupe de la CAF. C’est pour ça que les supporters ne m’en veulent pas d’être revenu au Soudan en 2014, chez le rival. J’en étais parti un an plus tard, et je suis revenu fin 2016. Ici, ils aiment vraiment le foot. Quand je sors dans la rue, je passe pas mal de temps à signer des autographes et à me faire prendre en photo. Depuis que je suis là, ils me connaissent (rires).
On dit que votre club actuel est le plus riche du pays…Oui, il y a plus de moyens. Il faut savoir qu’ici, le pouvoir est très impliqué dans les affaires du foot. C’est lui qui met en place les présidents, souvent des hommes d’affaires. Mon président actuel est proche du chef de l’État. Il paraît qu’ils mangent ensemble régulièrement. Moi, je suis étranger, je ne m’en mêle pas. Tant qu’on me donne les moyens de travailler et qu’on respecte les termes de mon contrat, le reste…
Et le Soudan, ça paye bien ?C’est très correct, je ne vais pas me plaindre. Bon, parfois, tu attends quelques mois avant de toucher ton argent… C’est pour cela qu’il n’est pas rare qu’on te verse plusieurs mois d’un seul coup. Pour les joueurs étrangers d’Al-Hilal ou Al-Merreikh, les salaires peuvent atteindre 200 000 dollars par an. Et les locaux peuvent gagner 8000 dollars par mois. Plus les primes. On a pris 3000 dollars pour avoir éliminé les Nigérians de Rivers United (0-3, 4-0) au tour précédent. Ceux d’Al-Hilal n’auraient touché que 1000 dollars. Il faut savoir qu’ici, le salaire moyen tourne autour de 300 dollars. Mais j’ai remarqué que les joueurs locaux flambent leur argent : ils ont tous un gros 4X4, ils s’habillent bien. C’est le paraître. Je leur conseille d’acheter une maison, de faire attention. Après tout, ils font bien ce qu’ils veulent…
Les loisirs sont plutôt rares au Soudan, non ?En effet. Je vais au restaurant, boire un café ou un thé avec des amis, je vois mon fils Anthony qui est notre préparateur physique, mais c’est tout… Les distractions, il faut les trouver. Comme on joue tous les trois jours ou presque, je n’ai pas trop le temps de m’emmerder. On dispute le championnat, la coupe, la Ligue des champions, la Coupe arabe, pour laquelle on a déjà joué à Djibouti, en Mauritanie… Avec les entraînements, les déplacements, les matchs, je suis très occupé. Quand je suis chez moi, je regarde la télé, je suis sur Internet. Je vais essayer de rentrer en France quelques jours, au mois d’août, pour souffler un peu. Je ne vais pas faire venir ma femme ici en vacances. Il fait quarante degrés et si c’est pour rester enfermée toute la journée, autant qu’elle soit dans notre maison en Franche-Comté…
On a l’impression qu’au Soudan, les clubs sont beaucoup plus importants que la sélection…C’est la réalité. Globalement, c’est beaucoup mieux organisé au niveau des clubs. D’après ce que j’ai compris, en sélection, c’est le bordel. Et c’est pour cela que les joueurs hésitent à y aller. L’équipe nationale joue très peu, cinq ou six matchs par an. En revanche, les clubs se structurent. Al-Hilal et Al-Merreikh dominent encore, mais d’autres ont fait de gros progrès ces dernières années. Al-Hilal Al-Obeid, Al-Ahli Khartoum, Al-Ahly Shendi, Wad Madani… En fait, le principal souci ici, c’est que la formation des jeunes est quasi inexistante. Tant qu’ils courent vite et beaucoup, qu’ils sont grands et costauds, ça va. Mais c’est au niveau tactique et technique qu’il y a des lacunes, et qu’il faut beaucoup travailler aux entraînements.
Les joueurs soudanais sont-ils réceptifs ?Oui, je n’ai aucun mal à les gérer. Moi, j’insiste beaucoup sur la diététique. Je les incite à ne pas bouffer n’importe quoi. Quand on est en stage ou au vert, les menus sont très équilibrés ; crudités, pâtes, viande blanche, poisson, poulet… Ils ne sont pas idiots. Ils ont compris que s’ils font preuve de sérieux, ils seront meilleurs sur le terrain.
La communication n’est pas trop difficile ?Quelques joueurs soudanais parlent anglais. Mon entraîneur adjoint est tunisien, mon fils parle un peu arabe. On se débrouille. Il y a aussi un joueur ivoirien dans l’effectif, et on va recruter normalement deux Camerounais et un Ivoirien.
Lors de cette confrontation face à Al-Hilal, vous auriez pu croiser Denis Lavagne, qui a été viré il y a quelques semaines…Oui, alors qu’il avait de bons résultats. Ici, on peut vous limoger pour un oui ou pour un non. Quand on connaît les règles du jeu… Al-Hilal et Al-Merreikh changent souvent d’entraîneur. Mais les objectifs restent les mêmes. Gagner le championnat et faire un bon parcours en Coupe d’Afrique. On va essayer d’accrocher une des deux places qualificatives du groupe. L’Étoile du Sahel est le favori. Sinon, il y a un club du Mozambique, Ferroviario Beira, qu’on connaît peu. Je pense que la seconde place va se jouer entre les deux soudanais. D’où l’importance du match de vendredi. D’ailleurs, on devait jouer en championnat contre Al-Hilal mercredi, mais ça a été reporté…
Quelles sont vos relations avec la presse soudanaise ?Je ne m’exprime que lors des conférences de presse. Ici, il y a plusieurs journaux qui sont presque uniquement consacrés aux deux clubs, et ils passent leur temps à s’allumer. Ils peuvent faire deux pages sur une petite info… Le problème, c’est qu’ils sont capables de raconter le contraire de ce que tu as dit. Je me suis fait déjà avoir. Donc, les entretiens individuels, j’ai arrêté.
Propos recueillis par Alexis Billebault