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Gary McAllister : la revanche d’un chauve
Il y a vingt ans jour pour jour, Liverpool remportait la Coupe de l'UEFA en battant Alavés dans une finale passionnante. Une victoire 5-4 qui permettait aux hommes de Gérard Houllier de réaliser le triplé FA Cup, League Cup et C3 au terme d’une saison dont le succès rime souvent avec les buts de Michael Owen ou l’explosion de Steven Gerrard. Mais si le vrai héros de ce Liverpool version 2000-2001 s’appelait finalement Gary McAllister ?
L’image est encore intacte dans l’esprit de tous les fans de Liverpool. Et dans l’esprit des supporters d’Alavés aussi. Alors qu’il reste quatre minutes à jouer à Dortmund dans la prolongation de la finale de la Coupe de l’UEFA 2000-2001, l’arrière gauche espagnol Delfi Geli dévie le cuir dans ses propres cages. But en or, Liverpool remporte sa troisième C3. Le mec qui a eu la mauvaise idée de placer un ballon brossé sur la tête du défenseur basque, c’est Gary McAllister. Âgé de 35 balais, en paraissant 45, l’Écossais donne au peuple rouge son troisième trophée en quatre mois et s’offre à lui-même sa plus grande performance personnelle, au crépuscule de sa carrière.
Tout n’était pourtant pas gagné d’avance pour Gary Mac. Après des débuts à Motherwell, où il remporte le championnat d’Écosse, il passe cinq saisons à Leicester avant de signer à Leeds, au nez et à la barbe de Kenny Dalglish, qui voulait le choper à Liverpool. Son passage à Elland Road lui permet d’ajouter la Premier League à un palmarès déjà prometteur pour un gars de 22 ans. Mais à part un Charity Shield glané quelques mois plus tard, le médian fait la grève des titres, et son transfert à Coventry en 1996 n’arrange rien à cette carence. Son arrivée à Liverpool questionne alors autant qu’elle surprend. Quid de ce type dont les plus belles années sont clairement passées ? En bord de Mersey, supporters, analystes et même joueurs sont dubitatifs quant à ce transfert. « On ne s’attendait pas à grand-chose de la part d’un mec de 35 ans », avoue quelques années plus tard Dietmar Hamann au micro de LFC TV, la chaîne du club. « Son arrivée était une surprise totale », enchaîne Sami Hyypiä sur le même média.
L’idée de Gérard Houllier était pourtant murement réfléchie, et la signature gratuite de l’expérimenté milieu, une décision concertée. « Gérard est venu me trouver un jour pour me dire qu’il comptait recruter Gary McAllister, explique Phil Thompson, adjoint de Houllier à l’époque. J’ai été assez surpris, car ce joueur ne correspondait pas à la dynamique que nous tentions d’insuffler depuis notre arrivée au club, à savoir faire éclore des jeunes comme Michael Owen, Steven Gerrard, Danny Murphy ou Jamie Carragher. » Sûr de son coup, le Français finit par convaincre son assistant : « Il m’a dit :« Phil, je suis d’accord avec toi, mais tous ces jeunes ont besoin d’un guide. Si Gary vient à Liverpool, ce ne sera pas pour faire du babysitting, mais pour jouer et encadrer nos jeunots. »Et c’est exactement ce qu’il s’est passé, sur et en dehors du terrain. »
La fin des Spice Boys
Au début des années 2000, le souffle des Spice Boys se fait toujours sentir dans les couloirs de Melwood. Les Spice Boys ? C’est le surnom donné à la génération 90s d’Anfield, moment où Fowler, Redknapp et McManaman faisaient autant parler d’eux pour leurs performances en match que leurs frasques aux courses hippiques. « Nous ne voulions pas que notre nouvelle génération de talents soit ternie par la même image, reprend Phil Thompson. Avec Gérard, nous voulions ramener une discipline et du professionnalisme au sein du club, et Gary fut d’une aide précieuse. » Notamment auprès de Steven Gerrard, pourtant inquiet pour sa place au moment de la signature de McAllister. « De par son expérience et sa position sur le terrain, Gary a appris énormément à Stevie ou à Danny Murphy, glisse l’ancien manager-adjoint. Sa manière de communiquer avec eux ne ressemblait pas à celle d’un coach. Les joueurs gagnaient donc en confiance et en intelligence à son contact. »
Dans le jeu direct des Reds, la patte droite du Scottish dirige le jeu, aux côtés du dynamique Murphy, du solide Hamann ou du polyvalent Gerrard. Et dans l’effectif, son importance croît au moment où la pression se fait sentir. « Dès janvier 2001, la saison devenait sérieuse, se rappelle Phil Thompson. Le top 3 était vital en championnat pour décrocher une qualification en Ligue des champions, et Gary a inscrit des buts d’une importance capitale. » À la suite d’une défaite contre Leeds en avril, Liverpool enchaîne cinq victoires de rang. McAllister marque dans les quatre premières. Des buts contre Tottenham, Coventry et Bradford que les fans de L’pool aiment rappeler dans leur chant à la gloire du divin chauve : « Oh yes we love your Spurs peno, your Bradford goal, your Coventry goal, you Gary Mac ! » Mais le plus mythique d’entre eux reste incontestablement ce coup de génie dans le derby face à Everton.
« What a goal ! s’exclame Phil Thompson. À la dernière minute du match, n’importe qui aurait envoyé ce coup franc dans le paquet, mais Gary a surpris tout le monde en l’enroulant au premier poteau. Cela en dit long sur sa confiance. L’émotion émanant de ce but était incroyable. » L’occasion pour le bras droit du coach français d’y aller de sa petite anecdote sur le sujet : « Vous souvenez-vous du joueur qui a gagné ce coup franc en notre faveur ? Grégory Vignal ! C’est lui qui se fait découper à 40 mètres du but. Je lui ai rappelé cette faute lorsque je l’ai vu à la finale de la Ligue des champions 2019, à Madrid en lui disant :« Grégory, sais-tu pourquoi tu es célèbre à Liverpool ? Parce que c’est toi qui provoques le coup franc qui nous donne la victoire contre Everton. »Il n’en croyait pas ses oreilles ! »
De supersub à club legend
Tout aussi décisif en coupe, en marquant notamment un péno en demi-finales de C3 contre Barcelone, McAllister fait banquette lors des deux premières finales des Reds. En League Cup, contre Birmingham, tout d’abord, où il remplace Steven Gerrard à la 78e. Dans la séance des tirs au but, il met les siens sur la bonne voie en marquant le premier essai. En FA Cup, ensuite, dans un match épique contre l’Arsenal de Bergkamp, Henry et Ljunberg. « Il avait 35 ans tout de même ! Nous devions le ménager, lâche Thompson. Même si Gary était très fit, nous avions fait le choix de ne pas le faire commencer contre les Gunners, car nous avions besoin d’un maximum d’énergie au milieu. C’était donc un choix tactique. Mais il était furax. » Entré à l’heure de jeu, c’est lui qui offre l’égalisation à Michael Owen. Histoire de rappeler qui est le patron.
Trois jours plus tard, le dernier match de la longue saison des Liverpuldiens se joue dans le Westfalenstadion de Dortmund face au Deportivo Alavés. Avant cette rencontre que son fils Jordi s’apprête à jouer sous les couleurs espagnoles, Johan Cruyff prédit un ennuyant 0-0 entre les deux équipes. Une prédiction qu’El Flaco va regretter. « Cette fois, nous avions pris soin de faire commencer McAllister, souligne Thommo. On sentait dans le vestiaire qu’il digérait encore sa non-titularisation contre Arsenal et que ce match face à Alavés était pour lui l’occasion de porter son équipe vers la victoire. »
« Cette finale est devenue un match de tennis »
Sous la chaleur de ce mercredi 16 mai 2001, une pluie de buts s’abat sur l’Allemagne. Sur ses terres, Markus Babbel montre le chemin aux Reds d’entrée de jeu avant que Steven Gerrard ne mette les siens à l’abri quelques instants plus tard. « À ce moment, on s’est dit que c’était plié, se souvient Thompson.On a laissé revenir Alavés, et cette finale est devenue un match de tennis. » Un match de tennis dans lequel McAllister parvient à breaker une nouvelle fois les Basques sur penalty, peu avant la pause. Rien ne se calme pour autant au retour des vestiaires quand Andi Moreno remet son équipe à égalité en l’espace de trois minutes. Le jeu s’emballe un peu plus quand Fowler pense donner la victoire aux Reds avant que Jordi Cruyff ne donne au score une allure à laquelle son paternel n’aurait jamais osé penser.
La suite, évidemment, on la connaît. Malgré 116 minutes au compteur et des jambes qui sentent les crampes se pointer, Gary McAllister inscrit son nom au panthéon d’Anfield en caressant une balle avec une maîtrise dont il a le secret et dont Phil Thompson ne peut que faire l’éloge : « Qui voulez-vous voir derrière le ballon dans une telle situation ? Gary McAllister bien sûr. Il avait une qualité de frappe hors norme. C’était véritablement un superbe footballeur. Ce n’est pas pour rien s’il est devenu une légende du club en si peu de temps. Avait-il un esprit de revanche avant cette finale ? Oui, je le crois. Car sa carrière s’est aplatie au moment où il était censé être le plus fort. Il était donc obstiné à l’idée de ne pas louper son rendez-vous avec l’Europe. »
Par Antoine Billa
Propos de Thompson recueillis par AB.