- France
- Octobre 2006
- Affaire Garra Dembélé
Garra la justice
Il y a dix ans, la carrière de Garra Dembélé basculait. Accusé de viol alors qu’il effectue des tests en Italie, le gamin de l’INF abandonne ses espoirs aux mains de la justice transalpine. Retour sur un tournant.
« Nous avons procédé à l’arrestation d’un citoyen français ayant à peine plus de vingt ans, originaire du Mali et accusé de violences sexuelles. » Face à l’assemblée de journalistes, Alberto Intini, responsable de la police italienne, tait encore le nom de l’accusé qui, la veille, aurait violé une jeune fille dans un établissement de nuit de Rome. Pourtant, le patronyme du prétendu criminel est déjà connu de l’autre côté des Alpes. Garra Dembélé, pépite de l’INF, et médiatisé à la suite de l’émission culte À la Clairefontaine, atteint à peine la double décennie, mais sa carrière est déjà fascinante.
Adoubé par le maître Guy Roux du temps de sa formation auxerroise, puis banni par l’AJA pour ses dérives nocturnes, Dembélé tente en cette année 2006 de relancer une carrière dont les sommets n’ont jamais excédé son taux d’alcoolémie. Et si les portes des clubs européens semblent enfin s’ouvrir à lui, c’est bien celle des toilettes de la boîte de nuit romaine qui vont s’opposer à un avenir enfin éclairci. Un énième coup d’arrêt, à une différence près : cette fois-ci, Garra est innocent.
Essais de soirée
Ange ou démon, Garra Dembélé a toujours flirté avec la limite. D’abord bouille d’enfant émerveillé par les pelouses de Clairefontaine qui « ressemblent à des terrains de billard, je vous assure » , Garra passe ensuite par la case adolescent turbulent. En effet, durant ses années auxerroises, le gamin impressionne autant qu’il agace. Loué pour ses pieds de velours qui font les beaux jours des catégories de jeune du club de l’Yonne, Dembélé se perd rapidement dans les méandres offerts par son nouveau statut. Originaire de Gennevilliers et élevé dans les milieux modestes, Dembélé déraille : « J’ai voulu m’acheter tout ce que je n’avais pas pu avoir pendant mon enfance. À cet âge, nous ne sommes pas préparés à tout ça. » Un écueil somme toute classique que Dembélé matérialise rapidement avec la justice. Arrêté pour défaut de permis, le protégé de Guy Roux fugue également de sa province pour rallier les boîtes de nuit parisienne. Forcément, le triptyque alcool-sexe-fatigue le rattrape rapidement, au point que l’AJA décide de rompre son contrat après seulement quarante et un matchs en réserve début 2006.
Si l’échec est criant et les excès tout de suite moins bandants, Dembélé n’a pourtant pas à craindre pour son avenir à l’orée de la saison 2006-2007 : « Même sans rien faire, c’était de la folie. Je n’avais pas vingt ans et j’avais tous les clubs à mes pieds. J’avais une liste de dix-huit équipes qui me voulaient ! Liverpool, Manchester City, la Roma, la Lazio… » Des noms ronflants pensant pouvoir canaliser l’étalon, et lui font ainsi passer des essais. Chez les Reds, Dembélé ne convainc pas assez. En Italie, la Lazio est proche de le faire signer, mais hésite. Car miser sur Dembélé est en soi un risque, mais Garra n’attend qu’une signature pour se relancer. Et en attendant de pouvoir jouer au football, s’en va faire ce qu’il fait de mieux : la fête. Dans la nuit du 10 au 11 octobre, une boîte proche de la Piazza Navona accueille l’oiseau. Dont les gazouillis vont causer la perte : « Le joueur a de toute évidence remarqué la jeune fille et lorsqu’elle est allée aux toilettes, il l’a suivie, raconte la police italienne.Il a tenté de la draguer, la jeune fille a protesté. Il est devenu plus insistant jusqu’à la pousser à l’intérieur des toilettes où, selon la jeune fille, il a abusé sexuellement d’elle. Avant de quitter la boîte de nuit, il a donné un coup de poing à un ami de l’Américaine qui s’inquiétait de ce qui s’était passé. » Les charges sont établies, la défense se met en place.
Mise au vert
Évidemment, le passé du lascar ne joue pas en sa faveur. D’ores et déjà condamné par la presse française, qui se fait le relais de ses déboires passés, Dembélé est incarcéré à la prison de Reggina Coeli, le tout dans un contexte défavorable : Rome cherche des coupables, après que trois affaires de ce type ont eu lieu dans la capitale italienne. Dembélé établit sa ligne : il a en effet eu des relations sexuelles avec la jeune fille, mais celles-ci ont été consenties. En revanche, il dit avoir oublié certains détails sous l’effet des spiritueux. Parole contre parole, reste que peu d’éléments sont prouvés par l’accusation. Au bout de quelques jours, Dembélé est ainsi remis en liberté surveillée, ce qui, selon ses avocats, est déjà un indice de la relaxe à venir. Le verdict, intervenant quelques semaines plus tard ne fait que confirmer ses dires : Dembélé est innocenté, faute de preuves.
Publiquement, la suspicion est toutefois toujours présente dans les esprits. Alors, l’intéressé mène l’enquête. Ou plutôt, engage des gens à même de le faire : « J’ai immédiatement engagé les meilleurs avocats d’Italie, lesquels sont allés à New York, dans une histoire digne des romans de détective. En fait, ils ont réussi à prouver que cette Américaine avait contracté une assurance privée lui assurant dix millions de francs en cas de viol. Et j’étais le coupable idéal. J’ai été blanchi et innocenté, les journaux l’ont dit, mais le mal était fait. Et quand vous avez une étiquette… » Une étiquette qui l’oblige dès lors à des exils moins prestigieux qu’annoncés. Suisse, Grèce, Bulgarie, Chine, Émirats, Garra Dembélé aura vu du pays, avec une escapade à Fribourg plus conforme à son talent, mais couronnée de dix-sept titularisations uniquement. Et à l’heure de chercher une nouvelle aventure en club du côté helvète, Dembélé dresse un bilan noir : « Cette histoire, elle m’a tué. Elle a foutu ma carrière en l’air. » Du haut de ses trente ans, Dembélé ne trouve en effet plus de ressemblance entre les pelouses bien entretenues et les tables de billard. Question d’innocence perdue.
Par Raphael Gaftarnik
Propos tirés de la Gazzetta, l'OBS et 20min.ch