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Gareth Southgate, le grand frère
Depuis plusieurs semaines et à l’heure de recevoir trois fois à Wembley en une semaine, Gareth Southgate essaie de gérer médiatiquement les différents écarts de ses joueurs, cadres ou cracks, dans un pays où les tabloïds se régalent plus des faits divers défrayant la chronique que de belles histoires touchantes.
Il pensait enfin pouvoir y échapper. Et se concentrer sur sa tâche première en tant que maître à bord de l’équipe des inventeurs de cette sacro-sainte sphère de cuir : le terrain, et rien d’autre. Raté. Et Gareth Southgate a su, bien malgré lui, sur quoi il serait interrogé en conférence de presse depuis que la nouvelle a fait le tour du pays : cette énième sortie de route de certains des siens à l’heure où la sélection doit se réunir prochainement. Dans la soirée qui a suivi la victoire de Chelsea contre Crystal Palace (4-0) samedi, une fête organisée au domicile de Tammy Abraham a suscité la polémique, puisque la vingtaine de personnes conviée à cette petite sauterie, dont Ben Chilwell et Jadon Sancho, a enfreint les règles sanitaires en vigueur en Angleterre liées à la pandémie de la Covid-19, la fameuse « Rule of six » (pas de réunion de plus de six personnes).
Les excuses publiques des trois incriminés, qui jurent « avoir appris de cette expérience », ne changent évidemment en rien la position inconfortable du sélectionneur face à l’impact médiatique et la quantité de questions déclenchées par ce fait divers dont il se serait une nouvelle fois bien passé. Mais, bien que furieux d’après Sky Sports de la « naïveté » dont ont fait preuve ses ouailles, Southgate est resté fidèle à son principe de communication. Et si vous réclamez du sang, passez naturellement votre chemin. Il s’est tu et n’avait rien à ajouter. Lors du rassemblement de septembre, il eut l’occasion, face aux micros, d’exprimer sa colère et son amertume contre Phil Foden et Mason Greenwood, coupables en Islande d’avoir enfreint le protocole sanitaire de l’UEFA. Mais il avait décidé de ne rien faire, quand bien même les deux pépites ont fêté leur première convocation et sélection, dans ces périodes où la jeunesse aurait tendance à faire profil bas.
Prendre une pépite par la main
S’il avait voulu jeter les fautifs sous un bus, sa liberté de parole lui en donnait naturellement le droit, avec la conséquence évidente de faire la Une. Mais il se méfie des inévitables attaques publiques sur ses joueurs et semble réticent à ajouter du surplus vocal négatif : « Malheureusement pour les garçons, ils vont se retrouver dans une situation où ils vont être jugés de loin. Ce n’est pas à moi de leur compliquer la tâche », avouait-il après l’épisode chez les Vikings. Cela ne veut pas dire que ces évènements lui sont indifférents, et il se serait bien passé des interventions devant la presse pour disserter d’autre chose que de football. Certains diront qu’il fait fausse route, qu’il n’a pas réussi à remettre les joueurs à leur place, qu’il a raté une occasion de s’exprimer au nom de l’unité nationale. Mais que ses ouailles se comportent bêtement et égoïstement ne signifie pas qu’il doit s’obliger à verser de l’huile sur le feu. Comme lors des déboires judiciaires d’Harry Maguire en Grèce en août, en l’évinçant simplement du groupe tout en rappelant « qu’il était important de soutenir le joueur », ou lors de la fameuse baston Sterling-Gómez dans la cantine de St. George’s Park (Clairefontaine anglais) en novembre 2019, quand l’ailier de City fut seulement mis de côté pour une rencontre.
Southgate est le manager de l’Angleterre depuis quatre ans, et toute cette période a consisté à redonner confiance et responsabilité à ses joueurs. La FA avait essayé d’installer un chef de la discipline par le passé (McClaren, Capello, Hodgson), sans succès. La perspicacité que l’ancien de Villa apporte à son rôle consiste en sa connaissance des jeunes, comment travailler avec eux et gagner leur respect. Cela vient de ses années passées à la FA en tant que responsable du développement, puis manager des U21, avant de prendre le banc national en 2016. Personne ne les comprend mieux que lui. Surtout quand ils ont grandi en tant que futures pépites, avec plus d’argent et de renommée que n’importe quelle autre génération auparavant, avec ce plus grand sentiment d’appropriation de leur carrière. Elles ne peuvent pas être dirigées comme les précédentes. Il faut avoir travaillé avec, leur faire confiance et les encourager pour mieux leur permettre de grandir et se développer.
Morale à l’anglaise
L’histoire rappelle que même si Southgate est à la tête des Three Lions, il sera toujours jugé par une autre norme. « C’est un travail pas comme les autres, en ce qui concerne les choses auxquelles vous devez faire face », confiait-il il y a un mois. Il n’a pas à s’occuper des séances quotidiennes d’entraînement, des transferts, des états d’âme de chacun et du travail sans fin d’un manager de Premier League – qu’il fut pendant trois ans à Middlesbrough (2006-2009) –, mais le sien consiste à être la voix publique d’une équipe appartenant à toute une nation. D’autres sélections n’en trouvent point le besoin. Elles sont simplement heureuses de confier le poste à un coach respecté, prometteur, ou à un ancien joueur qui a réussi. Mais il y a quelque chose dans la façon dont nous pensons le football – ce sens à décréter ce qui est important et ce qui l’est moins – qui nous pousse à exiger plus du manager national. L’Angleterre l’a compris et possède désormais quelqu’un meilleur que quiconque ayant déjà occupé le poste depuis Sven-Göran Eriksson.
Depuis 2016, il avait avancé la question de la commémoration des anciens combattants sur les maillots de l’équipe nationale, de savoir si la Coupe du monde 2018 en Russie pouvait être comparée aux JO de 1936, si l’Angleterre était en droit de critiquer la question du racisme dans les pays étrangers, d’un possible « privilège » des entraîneurs blancs au niveau du coaching, et de l’importance de protéger et défendre le NHS (service de santé publique britannique) pendant la pandémie de coronavirus. Alors que Southgate essaie de faire face aux retombées des actes de stupidité de ses joueurs et de trouver les bons mots et le ton juste pour s’exprimer, il pourrait être pardonné de penser que le véritable sens de son job devrait toujours être ce qui se passe sur le terrain.
Par Joffrey Pointlane