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Galles-Irlande, dans la brume électrique
Les Boys in Green n’auront qu’à traverser un bras de mer pour défier le pays de Galles à Cardiff, dans un derby qui s’annonce bouillant. Les deux équipes convoitent une place de barragiste, qui pourrait se transformer en un billet direct pour la Russie en cas de glissade serbe. Tampons en prévision.
Onze verts d’un côté, onze rouges de l’autre, en rang d’oignon, à s’égosiller successivement sur Amhrán na bhFiann ( « La chanson d’un soldat » , en VF), puis sur Hen Wlad fy Nhadau ( « Vieux pays de mes ancêtres » ), suivis par des milliers de spectateurs, bières levées vers le ciel. De l’émotion, de la passion, de la fierté. Cette image a déjà tourné des dizaines de fois dans Stade 2, au moment de la page rugby. Sauf que cette fois, il n’est question ni de Grand Chelem ni de cuillère de bois, mais bien d’une finale entre deux concurrents directs pour une qualification pour le Mondial 2018. Deuxième du groupe D, le pays de Galles compte 17 points, soit un de plus que son adversaire du soir. L’enjeu est donc simple : celui qui l’emportera est sûr de terminer a minima à une place de barragiste.
« Tout ou rien »
Sauf que le pactole peut être encore plus intéressant. En s’inclinant vendredi en Autriche (2-3), le leader serbe a grillé son joker et se retrouve à portée de fusil des outsiders anglo-celtes. C’est donc à Belgrade que les coéquipiers de Nemanja Matić devront valider leur ticket face à des Géorgiens valeureux, mais faibles techniquement. En théorie, ça sent bon pour la Serbie. Mais en cas de défaite ou de nul, elle pourrait voir le vainqueur du Celtico rafler la qualification directe (l’Irlande devrait à ce moment-là gagner par quatre buts d’écart pour espérer passer devant). Évidemment, Gallois et Irlandais feraient une grossière erreur en se focalisant trop sur le sort des Serbes. Car en Russie, il y aura soit l’un soit l’autre, voire aucun des deux selon ce qu’il se passera en barrage, mais aucune entente ne leur permettrait de passer ensemble. « Nous savons combien la République est redoutable, avertit Chris Coleman. Il s’agit du dernier match de cette campagne et ce sera du tout ou rien pour les deux équipes. » On se dirige donc vers une inévitable lutte fratricide.
Le sélectionneur gallois le sait, les siens bénéficient d’une meilleure dynamique. Malgré leur statut de demi-finalistes de l’Euro 2016, les Dragons ont eu du mal à rentrer dans ces éliminatoires, enchaînant cinq matchs nuls d’affilée. Pourtant, le groupe est resté soudé, le mélange entre la détermination de grognards comme Ashley Williams et Joe Ledley et l’aisance technique du trio Ramsey-Allen-Bale tenant toujours. Résultat, le pays de Galles s’est bien repris en septembre et reste invaincu lors de cette campagne. Certes, la forme laisse encore à désirer comme en Géorgie ce vendredi (1-0), où ils n’ont trouvé leur salut que grâce à une belle frappe de Tom Lawrence. Suffisant pour garder ce précieux point d’avance sur son voisin gaélique et croire à un premier mondial depuis son unique participation en 1958, où Ivor Allchurch et les siens avaient atteint les quarts de finale. Dans le camp d’en face, le parcours est à l’exact opposé. Les Boys in Green avaient bien démarré l’exercice avant de marquer le pas dernièrement, laissant les Serbes repartir avec trois points de Dublin (0-1).
Une bataille sans capitaine
Sur les cinq dernières rencontre, ce sont les Gallois qui ont la main avec deux victoires pour trois nuls. Même si la rivalité n’est pas aussi exacerbée qu’avec les Anglais, ces duels entre sélections anglo-celtes sont toujours attendues, surtout dans un tel contexte. Anticipant l’accueil que Cardiff réserve à ses hommes et la pression qui pèsera sur leurs épaules, Martin O’Neill ne se défile pas. « Dans une telle atmosphère, vous devez jouer avec votre tête tout en pouvant mettre une grosse intensité, prévient le sélectionneur irlandais. Il arrive que les deux ne se marient pas ensemble. Mais si des opportunités se présentent, nous devrons les saisir, savoir être plus cliniques. C’est aussi simple que ça. » Une remarque qui semble directement adressée à Shane Long, qui approche des 240 jours sans avoir fait trembler les filets, que ça soit en sélection ou en club. Et c’est Daryl Murphy, double buteur face à la Moldavie, à qui revient le costume de sauveur dont la République a besoin. Un pays qui sait de quoi il parle quand il s’agit de matchs couperets. Car entre l’Irlande et les barrages, c’est une longue histoire. Avec beaucoup d’échecs à la clé avant les coupes du monde 1966, 1998 et 2010 (avec l’épisode de la main de Titi Henry) ou les Euro 1996 et 2000, avant de connaître enfin le succès il y a deux ans face à la Bosnie-Herzégovine. Ça tombe bien, ce pré-barrage a tout d’un vrai barrage.
En mars dernier, les deux équipes s’étaient séparées sur un 0-0 au terme d’un match aller où la seule occasion notable du match fut l’attentat de Neil Taylor sur le capitaine irlandais Séamus Coleman. Une agression qui reste encore aujourd’hui dans tous les esprits et sonne comme un avertissement de l’intensité qui est attendue ce lundi à Cardiff. « Vous ne souhaitez jamais voir cela sur un terrain, déclarait Chris Coleman à propos de la blessure de son homonyme irlandais. Avant que cela n’arrive, nous nous attendions à ce que ce soit un match physique. Mais même après l’incident malheureux de Dublin, cela restera une opposition entre deux équipes qui s’engageront dans les duels. » Et également deux équipes privées de leur capitaine. Forfait en raison d’un œdème au mollet gauche, Gareth Bale est resté à Madrid pour cette période internationale. « Bale est un joueur de classe mondiale et son absence représente une grosse perte pour le pays de Galles, autant que Séamus Coleman pour nous, renvoyait O’Neill. Je suis sûr qu’ils pensent qu’ils auraient eu plus de chance de gagner avec lui, sauf que nous avons dû faire tous les éliminatoires sans ces joueurs importants blessés. C’est dans la nature du jeu. » Preuve de plus que dans ces coins de l’Europe, sport de gentlemen et sport de brutes se trouvent pas mal d’accointances. À partir du moment où l’on sait transformer l’essai.
Par Mathieu Rollinger