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Gala : « Les joueurs de foot captent l’essence de ma chanson »
Il y a vingt ans, Gala Rizzatto se présentait au monde avec son single Freed from desire. Aujourd'hui, elle fête ses quarante-et-un ans et les supporters de l'Europe entière ont repris sa chanson pour célébrer la gloire d'un joueur de troisième division anglaise pendant l'Euro. Pour la chanteuse, tout ça n'a rien de surprenant, au contraire. Plongez dans l'histoire d'une prière bouddhiste devenue le chant de supporters le plus célèbre du moment.
Comment as-tu appris qu’un chant avait été créé sur l’air de Freed from desire ? C’est un ami à moi qui vit en Angleterre qui m’a appris l’existence de ce chant. Il travaille pour moi à New-York, à Brooklyn. Le truc fou, c’est que je l’ai rencontré après avoir posté sur Facebook une demande très spécifique. J’avais posté anonymement et personne ne me répondait parce que ma demande était trop ciblée. Mais lui m’a finalement répondu. Quand on s’est rencontrés dans un café à Brooklyn, il a compris qui j’étais. Coïncidence folle : c’est le fils de l’homme qui nettoyait les studios de Top of the Pops à Londres. Il se trouve qu’il était sur le plateau quand j’étais invitée de l’émission à l’époque, il y a 15 ans. C’est magique ! Sans lui, peut-être que je n’aurais jamais su qu’un chant avait été inventé à partir de Freed from desire.
Que penses-tu de ce chant ? Je n’en pense rien (rires). Ce n’est pas une cover, ça n’a rien à voir.
C’est une adaptation pour un événement particulier. Les fans utilisent une chanson qui existe déjà et qu’ils aiment parce qu’ils l’ont entendue en club ou à la radio. Ils l’utilisent pour insuffler de l’énergie à leur équipe, à leur joueur. C’est vraiment un mantra pour aider leur propre équipe et effrayer leurs adversaires. Mais c’est avant tout un chant qui sert à insuffler de la vie dans leur joueur. J’ai entendu dire que le joueur en question avait marqué beaucoup de buts en très peu de matchs avec son club. Je crois qu’il en a marqué neuf en dix matchs, mais vous le savez sans doute mieux que moi (rires). C’est incroyable ! Penser que ma chanson ait pu inspirer ce joueur, inspirer un public entier, c’est génial.
Mais ça ne te surprend pas plus que ça d’entendre à nouveau ta chanson partout ? Les gens me demandent en permanence si je suis surprise d’entendre ce chant vingt ans après la sortie de ma chanson. Hé bien non, je ne suis pas du tout surprise. Tout le monde me dit : « Pendant vingt ans, on n’entend pas parler de toi et voilà que maintenant tout le monde chante ta chanson partout. » Mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas ma réalité. Chaque année, quelque chose se passe dans ma vie. Je joue de la musique, je sors des disques, je me produis sur scène, aux Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, par exemple. Tout ça n’arrive pas par hasard. En 2005, une de mes chansons était numéro un en Grèce, par exemple. Et puis cette chanson était faite pour être un chant.
Tu parlais d’un mantra un peu plus tôt. Qu’est ce que ça signifie ?Freed from desire est une prière. C’est une prière bouddhiste. À l’époque, je voulais changer le monde, rassembler tout le monde autour d’un seul but.
Je voulais réunir tout le monde autour d’une chanson pour expliquer que l’essence originelle du mal, c’est l’avarice. Cette chanson est une invitation à suivre ses rêves sans jamais perdre de temps sur les possessions matérielles. Tu as une voiture ? Tu en veux une plus grosse. Tu as une maison ? Ton voisin en a une plus grande. C’est le mal de notre société de réfléchir comme ça. Peut-être que tu pourrais juste être heureux avec ta petite voiture, ta petite maison et ton travail. Le plus important est d’être heureux. Je voulais expliquer tout ça dans une chanson autour de la prière bouddhiste Freed from desire.
Une prière bouddhiste… Pourtant, les gens ne la perçoivent pas toujours comme ça, si ? Quand je vais dans les clubs, les gens entendent le mot desire et pensent immédiatement à sa signification sexy. La plupart des chansons des 90’s sont des chansons de dance. On n’entendait jamais de paroles réfléchies comme des prières ou autres. Elles étaient en rapport avec l’amour, le sexe. Ici, desire avait une signification tout autre. Ce que j’aime quand je joue dans les clubs, c’est que je vois des centaines de jeunes gens danser et chanter une prière bouddhiste. Alors vraiment, voir ça dans des stades, ça ne me surprend pas du tout.
Parce que justement, tout est une question d’énergie…Absolument ! C’est l’énergie communicative d’un hymne. À l’époque de l’écriture de la chanson, j’étais très seule. Tout le monde se séparait.
J’étais en Italie et tout le monde est parti. Je suis allé à New-York, un ami est allé à Paris, un autre à Londres. J’étais loin de ma famille à 16 ans et je me disais : « Quel dommage… Si seulement quelque chose pouvait tous nous rassembler à nouveau. » Après la sortie de la chanson, tout le monde m’appelait de partout pour me dire : « J’ai entendu ta chanson ! J’ai entendu ta chanson ! » Ça me mettait du baume au cœur de me dire que j’avais réuni tout le monde, que je faisais danser tout le monde tout en envoyant un message. Aujourd’hui, les joueurs de football ne comprennent peut-être pas le message de ma chanson, mais ils en captent l’essence. Une fois, j’étais dans un petit café en Italie qui passait ma chanson. Un homme a dit : « Je ne comprends pas l’anglais, mais je comprends la vibe, je comprends que cette chanson me transmet quelque chose. » Il comprenait l’intention de la chanson.
Et c’est exactement pareil avec les supporters de football, n’est-ce pas ? Oui, tout à fait. Quand ils chantent ça, ils transmettent la même énergie. L’esprit du mantra les accompagne. Quand on chante cette chanson tout seul, on se dit que c’est sympa. Mais quand on la chante avec des centaines d’autres personnes, son pouvoir est décuplé. Pour moi, il y a vraiment des similitudes entre la chanter dans un club et voir des jeunes supporters la chanter dans les stades.
Ce n’est pas épuisant d’entendre toujours ta chanson ? Pas du tout. Si je chantais Like a virgin quotidiennement – ce qui n’est plus vrai pour moi après 40 ans d’existence (rires) –, je pense que ce serait épuisant. Mais si je chante « freed from desire, mind and senses purified » je ne peux pas m’en agacer. Je ne serai jamais épuisée de chanter cette chanson, parce que je l’ai écrite, que je pensais ce que j’ai écrit et parce que je pense que c’est un bon message à faire passer. Cette année, j’ai enregistré une version acoustique de ma chanson pour le film français Un homme à la hauteur avec Jean Dujardin. Et la chanson est en adéquation avec le film.
Mais ça ne t’embête pas que ta chanson soit utilisée de partout ? Je vois mes chansons comme des enfants. Au début, on est très possessifs, on ne veut pas que nos enfants s’en aillent.
Et puis on évolue, on comprend que pour qu’ils s’épanouissent complètement, il faut les laisser vivre. C’est pareil pour ma chanson. Quand ma chanson est devenue publique, elle ne m’appartenait plus, comme un enfant ne nous appartient plus quand il grandit. Maintenant, si les nazis se l’étaient appropriés, je n’aurais pas été contente. Mais elle est utilisée par les meilleures personnes du monde du football : le public ! Le public ne pense pas à l’argent, le public ne pense qu’au beau jeu. Ce sont les joueurs qui pensent à l’argent. Ce ne sont pas les joueurs qui ont inventé le chant. Le public ne se fait pas d’argent, le public va juste dans un stade pour la beauté du sport. C’est incroyable d’aimer un sport à ce point. Ils aiment juste l’esprit du sport.
Dans la victoire comme dans la défaite, d’ailleurs. Exactement, et c’est encore plus beau, car c’est aussi l’autre message de Freed from desire : « Enjoy your journey, no matter what. » Il ne faut pas penser à la finalité, il faut penser au voyage. En sport, c’est la même chose. Est-ce que ça m’importe vraiment que l’Irlande du Nord gagne à tout prix ? Ou est-ce que je préfère les voir jouer avec du cœur, avec un esprit honnête ? Parfois, les perdants ont plus de cœur, plus d’honnêteté dans leur jeu. Pour moi, c’est le véritable esprit du sport.
Et toi, tu es supportrice ?
J’ai quitté l’Italie pour les États-Unis assez tôt, mais je retourne au moins une fois par mois chez moi. Je ne suis pas vraiment le football du coup, mais c’est dans ma culture. J’ai grandi avec mon père qui regardait des matchs tous les jours. Je suis italienne, bon sang ! (Rires) En fait, j’imite le comportement de mon père. C’est-à-dire qu’à chaque fois que je vois un match, je suis pour les perdants. La dernière fois, je regardais un match avec mon père. Je ne me souviens plus des équipes, mais l’une d’entre elles était une équipe d’Europe de l’Est. Il se sentait mal pour eux parce qu’ils perdaient alors qu’ils jouaient bien. Je ne sais pas pourquoi nous supportons toujours les perdants (rires). Trop de compassion peut-être…
Si un jour Wigan, le club de Will Grigg, te propose d’aller chanter avant un match, tu accepterais ? Bien sûr, ce serait super ! J’adore les stades. Je pense souvent à la mort, tous les jours même, mais quand je vois ces endroits où les gens se rassemblent pour passer un bon moment, ça me rassure. Ils célèbrent la vie ! C’est une fête gigantesque pour la vie. Ce serait super pour moi de chanter ma chanson avant une rencontre. En revanche, je laisserai les supporters chanter le refrain (rires). Des fans de Wigan m’ont déjà demandé. J’espère que ça arrivera un jour…
Tous propos recueillis par Gabriel Cnudde
Interview publiée le 23 juin 2016.