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Gakpo, oranje fluo
Ce n’était pas forcément lui qu’on attendait pour porter les Pays-Bas, mais Cody Gakpo, buteur lors de chacun des trois matchs de poule des Néerlandais, est bel et bien celui qui a endossé la cape de sauveur. Itinéraire d’un gars loyal et dévoué, qui aurait très bien pu porter le maillot des Éperviers togolais ou des Black Stars ghanéennes.
18 buts et 18 passes décisives depuis le début de saison, qui dit mieux que Cody Gakpo ? Figure de proue de l’attaque batave en phase de poules, le gamin d’Eindhoven a déjà marqué à trois reprises en Coupe du monde, et à 23 ans, démarre à peine son bout de chemin avec les Oranje, lui qui aurait pourtant pu porter une tout autre tunique nationale. Son père, Johnny, ancien international togolais des moins de 20 ans et qui a joué au Réveil FC puis à l’Entente II de Lomé, a rencontré la Néerlandaise Ank, sa future épouse, lorsque celle-ci, enseignante et internationale de rugby, était venue passer des vacances au Togo. Les origines ghanéennes du paternel ont fait de Cody un joueur potentiellement éligible pour les Pays-Bas, le Togo et le Ghana. En 2018, Claude Le Roy, alors sélectionneur des Éperviers, s’était intéressé au jeune attaquant du PSV Eindhoven. « J’avais vu plusieurs de ses matchs en vidéo. Il m’avait plu par sa qualité technique, la fluidité de son jeu, sa qualité de frappe des deux pieds. Il était donc logique que nous tentions une approche pour lui proposer de jouer pour le Togo, et nous avions entrepris des démarches. » À l’époque, au PSV, Gakpo n’est qu’un grand espoir fondu dans la masse, comme l’explique Jeroen Kapteijns, journaliste à De Telegraaf. « Il a toujours été considéré comme un crack, mais dans l’équipe de jeunes du PSV dont il vient, il n’y avait que des cracks. Cody n’était même pas le plus grand de ceux-là. Il y en avait d’autres qui étaient encore plus forts, comme Mohamed Ihattaren. Cette équipe était considérée comme la meilleure de l’histoire du PSV. »
Le Roy demande alors à Augustin Amega, son directeur de la communication, d’entrer en contact avec Cody Gakpo. Grâce à un agent togolais ayant ses entrées aux Pays-Bas, Amega, qui se rend à Rotterdam pour assister à un match du PSV, s’entretient avec l’attaquant au téléphone. « Comme il ne parle pas le français, c’est cet agent qui a assuré la traduction. Je lui ai donc demandé s’il était intéressé par la sélection togolaise », rembobine l’émissaire du Sorcier blond. À l’autre bout du fil, Gakpo décline courtoisement. « Il était très poli, très sympathique. Il m’avait remercié de l’intérêt qu’on lui portait, mais il était évident qu’il souhaitait plutôt faire une carrière internationale avec les Pays-Bas. »
Hisser haut les Pays-Bas
Au Togo, jamais les matchs des Oranje n’ont autant été suivis, et les performances de Gakpo en sont évidemment la principale raison. « Les gens sont fiers de voir un joueur d’origine togolaise faire d’aussi bonnes prestations et marquer des buts. » En langage éwé, l’un des principaux dialectes du pays, où le français reste la langue officielle, Gakpo signifie Le Fer. Le Ghana s’était également cassé les dents face à la volonté du fils de Johnny de porter le maillot du pays de sa mère, où il est né. Charles Akonnor, l’ancien sélectionneur des Black Stars, a révélé sur la chaîne Super Sport TV que la Fédération ghanéenne de football avait également dragué Gakpo quand celui-ci était junior. Et comme les Togolais, les compatriotes d’Abedi Pelé avaient essuyé un refus poli du lascar. « Il aurait pu dire oui à l’une de ces deux sélections africaines s’il n’avait pas vu arriver de convocation des Pays-Bas, comme d’autres l’ont fait. Mais il est évident qu’en jouant dans un club comme le PSV Eindhoven, il avait des chances de briller et de devenir international néerlandais », reprend Claude Le Roy.
Et c’est ce qu’a choisi Gakpo, lui qui a donc honoré sa première cape avec les Oranje le 21 juin 2021, sous les ordres de Frank de Boer, à l’occasion du troisième match de poules de l’Euro contre la Macédoine du Nord (3-0). Onze autres sélections ont suivi, parmi lesquelles Gakpo est parvenu à inscrire six buts, dont trois en Coupe du monde, dans un registre tout à fait différent de celui qui est le sien à Eindhoven. « Au PSV, il est positionné totalement sur le côté gauche, alors que dans le système de Louis van Gaal, il joue davantage dans l’axe du terrain, précise Jeroen Kapteijns. Mais depuis le début du Mondial, il a déjà occupé trois postes : numéro 9, attaquant de soutien et numéro 10. L’adaptabilité, c’est l’une de ses grandes qualités. Son point fort demeure de jouer sur la gauche, repiquer dans l’axe et marquer. » Cette polyvalence, Gakpo ne s’est pas fait prier pour l’illustrer au Qatar, déballant un sacré morceau de sa panoplie en l’espace de trois matchs : but de la tête face au Sénégal, du haut de son mètre 89, puis du pied gauche contre l’Équateur, et enfin du droit face au Qatar ; simple échantillon de son ambidextrie.
Tactiquement accompagné
Loran Vrielink, avec sa société Tactalyse, guide de nombreux joueurs dans leur accompagnement tactique, dont Gakpo, qu’il conseille depuis le mois de janvier. Plusieurs fois par semaine, généralement avant et après chaque match, ils échangent durant des sessions d’une heure. « Je vois vraiment qu’il se développe rapidement. Nous essayons de nous adapter à ce que Louis van Gaal attend de lui, notamment le fait de jouer à plusieurs postes », détaille Vrielink, titulaire d’une licence d’entraîneur délivrée par l’UEFA. Et celui-ci d’ajouter que Cody Gakpo est capable d’apporter encore plus à cette équipe des Pays-Bas. « Comme pour chaque joueur, il va falloir du temps pour qu’il répète ce qu’il fait au PSV. Bien sûr, il a marqué trois buts. Mais si l’on se penche sur les occasions créées, il en crée bien plus avec son club. »
En sélection nationale, Gakpo est aligné sur le front de l’attaque, sans véritable numéro 9, mais avec Memphis Depay à ses côtés. « Cody aime beaucoup jouer avec des joueurs du style de Memphis, ajoute Loran Vrielink. Memphis a une plus grande carrière que lui jusqu’à présent, plus d’expérience. C’est bien pour Cody d’apprendre de lui. Ils ont une très bonne connexion sur le terrain, qui se fluidifie de match en match. » De toute façon, qu’importe l’attaquant qui l’accompagne, Cody Cakpo a systématiquement rendez-vous avec son tacticien avant chaque rencontre. « La veille du match, où dès que nous connaissons la composition, on essaye de l’aider à s’adapter. Mais il est prêt à jouer avec n’importe qui. » Inutile de préciser que le quart de finale face à l’Argentine est déjà en ligne de mire. « La défense argentine est très physique, très expérimentée. Pour Cody, ça sera nouveau. Il doit alors être plus intelligent que les adversaires, et c’est ce que nous essayons de lui enseigner : ne pas trop aller au duel avec ces gars qui sont plus forts, penser à ne pas stéréotyper ses actions face à ces défenseurs qui lisent rapidement le jeu. »
Comme tout Néerlandais en réussite, Cody Gakpo n’a pas échappé aux rumeurs l’envoyant prendre ses quartiers dès cet hiver à Old Trafford. « C’est une possibilité, que Cody quitte le PSV cet hiver, assure Jeroen Kapteijns. Il y a le nom de Manchester United qui revient souvent, puisque le club vient de perdre Cristiano Ronaldo. Mais je pense que Cody préfèrera franchir le pas cet été. » Épervier, es-tu prêt ?
Par Clément Barbier et Alexis Billebault
Tous propos recueillis par CB et AB