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Gaia Brunelli : « Il y a encore des collègues qui refusent de parler foot avec une femme »
Dans le panorama télévisuel italien, Gaia Brunelli est la seule femme commentant des matchs de football. Elle explique sa situation et lance aussi quelques pistes pour résoudre le problème du manque de visibilité du foot féminin.
Tu as dit un jour : « Essayez d’imaginer un mari qui, après avoir supporté sa femme toute la semaine, allume la télé le dimanche pour suivre son équipe et doit supporter la voix d’une autre femme pendant tout le match. » Qu’entendais-tu par là ?
C’est un peu la critique récurrente que j’ai pu lire sur le net. C’est une question de ton de voix, même si je n’ai pas une voix aiguë, ça reste celle d’une femme. C’est un peu le problème de l’Italien moyen, très machiste et ignorant dans le sens où il vit de stéréotypes et traditions. Le foot est le monde de l’évasion masculine. Quand se pointe une femme qu’on ne peut pas voir, ça change tout. Si elle est bien gaulée, qu’il y a la possibilité de la mater, ce qu’elle dit passe au second plan, mais concernant les commentatrices, le concept n’a plus rien à voir, l’homme est en difficulté.
Tu as un passé de doubleuse. Cela a servi à maîtriser ta voix ?Énormément. En fait, on m’a toujours dit que j’avais une belle voix, tandis que celle d’Ilaria D’Amico (présentatrice star sur Sky et femme de Gigi Buffon, ndlr) est moins appréciée, mais c’est une femme tellement belle et fascinante que les téléspectateurs tolèrent. De toute manière, elle n’a pas à changer le ton de sa voix contrairement aux commentateurs. Même certains hommes partent dans les aigus sur les buts, ce qui ne plaît pas. Moi, j’ai ce timbre naturel, j’essaye de ne pas hurler. Déjà que je suis une femme, si j’avais eu une voix différente, je n’en serais pas arrivée là.
Comment intègre-t-on une branche quasi exclusivement masculine ?Un peu par hasard, puisque je ne pensais pas devenir journaliste. Un jour de 2006, j’ai retrouvé le chien d’une dame qui bossait sur le ski à la télé. On a fait connaissance et elle m’a dit qu’elle cherchait du monde. Elle m’a fait envoyer un CV et ça a pris. J’ai commencé avec les journaux télévisés et mes premiers matchs commentés étaient ceux de Serie A diffusés à l’étranger. Un public avec une gamberge différente, une femme dérangeait moins.
As-tu déjà craint d’en être là « grâce à » une éventuelle histoire de quota féminin ?
Je ne crois pas, même s’il y a des clichés, et je le dis sans polémique. Les limites ont commencé à arriver quand j’ai bossé pour des télés nationales, Sportitalia puis Sky. Il n’y a qu’à la Rai où j’ai obtenu un poste parce qu’ils demandaient expressément une femme. En revanche, à Sky, on ne m’a jamais donné l’opportunité de commenter la Serie A, je ne fais que du bord de terrain. Quand j’ai demandé, on m’a dit qu’il n’y avait pas d’ouverture. Le produit Serie A est particulier, un ponte comme Caressa se fait régulièrement insulter par les fans, c’est un peu une façon de me protéger moi et l’entreprise.
Comment réagissent tes collègues masculins ?Il n’y a pas de crainte, car on me considère comme différente. Déjà entre hommes, c’est une jungle, parce que certains se plaignent de ne pas faire tel ou tel match. J’arrive à discuter avec les plus sûrs d’entre eux, ils me demandent même des conseils sur des équipes que j’ai commentées plusieurs fois. À l’inverse, il y a ceux qui refusent de parler foot avec une femme. Mais bon, je ne m’en fais pas.
Et quel rapport entretiens-tu avec tes co-commentateurs ?Avec Sandro Melli (ancien attaquant international, ndlr), on a commenté l’année de Parme en Serie D après la faillite. Personne ne voulait le faire, car personne ne connaissait les équipes adverses, moi j’ai appelé directement les clubs pour avoir des infos, je passais des journées entières à me renseigner. Melli est devenu un ami fraternel, il est un de ceux qui me dit que je suis une femme à marier. D’ailleurs, à Parme, je suis populaire parmi les fans… mais ce n’est pas pour autant qu’on me mettra sur leurs matchs en Serie B.
Tu as joué au foot au haut niveau. Cela t’a aidé pour ta carrière actuelle ?Oui, j’ai joué en Serie A au Milan et ai même étrenné quelques capes en sélection, c’était au début des années 2000. J’ai arrêté à 23 ans à cause d’une blessure. Ce n’est pas une chose que je dis tout de suite dans le cadre du travail. Disons que ce qui compte surtout est d’avoir vécu le football comme un homme, ça a accompagné mon enfance, mon adolescence, j’ai grandi en jouant au foot, en le regardant au stade ou à la télé. Il y a quinze ans, l’ancien directeur de Sky a voulu tenter le coup avec d’autres femmes, mais elles n’ont duré que deux, trois matchs car incapables de voir le foot d’un point de vue masculin.
Que penses-tu des vélines, les filles présentes sur les émissions de foot uniquement ou surtout pour leur physique ?C’est la conséquence de trente ans de berlusconisme.
L’éthique a disparu, la culture de regarder les gens par le trou de la serrure est née avec lui, ses escorts, celles qu’il amenait au Parlement. On a des années de retard en Italie, et donc, si vous voulez faire de l’audience, il faut des bombasses à la télé. Ça ne me gêne même pas, car c’est une question de forme et pas de contenu. À Sky, on a Diletta Leotta, une superbe nana avec un talent incroyable. Sur un plateau, elle est comme chez elle et ça, je ne sais pas le faire. Elle ne connaît rien au ballon, mais elle assure, puis elle est évidemment très belle. C’est un métier différent, je ne suis pas en compétition avec mes collègues féminines, j’ai d’excellents rapports, on ne se craint pas.
Tu t’es déjà demandé à quel point ton physique avait joué dans ta carrière ?Si j’avais vraiment bossé mon aspect extérieur, si je m’étais présentée tous les jours en talons aiguilles, aurais-je travaillé plus ? Probablement oui.
Et la vieillesse ?Si vous en avez dans le ciboulot, vous pouvez durer jusqu’à la retraite. Les autres dureront le temps qu’elles dureront si elles n’ont rien d’autre à proposer que leur physique. Ou vous démontrez que vous avez autre chose, ou votre carrière dure comme celle d’un footballeur.
As-tu des idées pour augmenter l’audience du foot féminin ?
Hormis le fait que c’est un milieu encore plus mafieux que celui masculin, on devrait faire comme aux États-Unis. En Italie, les hommes regardent le volley féminin parce qu’elles ont des petites tenues. Faisons pareil avec le foot, non ? Personne ne regarde des footballeuses qui ressemblent à des hommes avec des maillots larges. Le foot féminin est un autre sport sur le plan du rythme, mais combien de mes collègues sont amoureux de Hope Solo, la gardienne des USA ? Je ne suis ni machiste ni féministe. Il faudrait suivre ce modèle pour attirer du monde. La mentalité est celle qu’elle est, alors foutu pour foutu…
Tu as tes diplômes d’entraîneur. Tu t’en sers ?J’avais le score pour le faire, j’ai passé celui UEFA B. J’ai entraîné les gamins des écoles de foot du Milan, car jusqu’à 10/11 ans, c’est encore un rapport maternel. Sauf qu’une fois, j’ai dû remplacer un collègue en U16. C’était la panique, mais mon mentor Attilio Maldera m’a donné un précieux conseil : commencer l’entraînement par un mini-match et jouer avec eux, chose généralement déconseillée. En cinq minutes, j’ai inscrit trois buts et tous les joueurs étaient ravis : « Alors coach, c’est toi qui nous entraînes ? » Je devrais faire ça avant chaque rencontre que je commente, m’échauffer avec les équipes, effectuer quelques jonglages, ça éliminerait les clichés de certains téléspectateurs.
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi