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Gaëtane Thiney : « Le champagne de l’Aube ressemble un peu au foot féminin »
À l’instar de certains de ses homologues masculins, Gaëtane Thiney a mis un pied dans le monde de la vigne en créant la marque de champagne Dix'It Thiney. Un clin d'œil au département de l'Aube et une manière pour l’infatigable capitaine du Paris FC (35 ans) de rendre hommage au potentiel caché de sa terre natale.
Racontez-nous ce qu’il s’est passé ce 1er avril 2020. J’étais dans ma maison de campagne de Précy-Saint-Martin, dans l’Aube. Après avoir passé mon début de confinement à tondre la pelouse, nourrir les poules, apprendre l’anglais et lasurer la grange, je me suis levée un matin et je me suis dit que le moment était venu de concrétiser ce projet que j’avais en tête depuis longtemps : lancer une marque de champagne.
La vôtre s’appelle Dix’It Thiney. Mais concrètement, pour les profanes, qu’est-ce qu’une « marque » de champagne ? Il y a plusieurs manières de produire du champagne. On peut le faire soit comme récoltant-manipulant (faire son champagne soi-même avec le seul produit de sa vigne, N.D.L.R.), soit comme négociant, en allant chercher son raisin ailleurs, comme le font plein de maisons de luxe. À côté, on a les marques auxiliaires qui apposent une étiquette sur un champagne déjà produit par quelqu’un. Ça peut provenir d’une coopérative, donc on ne sait pas forcément ce qu’il y a derrière, soit raconter une histoire. C’est ce que j’ai choisi, à travers trois engagements.
Lesquels ?Je travaille avec des producteurs qui sont derrière chaque étape du processus de production, depuis l’implantation de la vigne jusqu’à la vinification du champagne. Ensuite, le produit provient exclusivement de la Côte des Bar. Et enfin, la garantie d’avoir un champagne excellent, sélectionné par un panel d’experts. Quand Paz Levinson, la cheffe-sommelière d’Anne-Sophie Pic, a approuvé mes cinq cuvées en disant qu’elles auraient leur place dans un étoilé, j’étais vraiment heureuse. C’est une expérience nouvelle dans laquelle j’apprends beaucoup. Rien que pour les étiquettes, c’est très complexe. Entre la matière, l’impression, la dorure, le vernis… le cahier des charges est énorme. Mais ça ne me dérange pas, j’adore découvrir des trucs, peu importe le domaine. Si vous avez un jour l’occasion de visiter une imprimerie d’étiquettes, foncez, c’est incroyable !
Quand on pense au département de l’Aube, on a surtout en tête l’andouillette, le Chaource et, question boisson, le rosé des Riceys. Vous affirmez que le champagne aubois n’est pas reconnu à sa juste valeur. Pourquoi ?Déjà, parce qu’il a reçu son appellation champagne bien plus tard que dans la Marne (en 1927, N.D.L.R.). Et aussi qu’il subit la concurrence des Marnais, qui ont développé des maisons de luxe extraordinaires et qui permettent au produit d’être reconnu mondialement. Sauf que leur raisin, ils vont aussi le chercher dans l’Aube. Donc historiquement, on était surtout là pour les aider, mais cette tendance commence à se modifier. Les vignerons aubois savent qu’ils peuvent également produire du champagne de qualité.
Vous vouliez donc donner une bonne leçon à vos voisins ?Non, pas du tout ! De toute façon, les deux champagnes sont différents parce que l’exposition et les sols sont différents. L’idée, c’était plutôt de montrer qu’on peut être complémentaires et qu’il y a de la place pour tout le monde. Un peu comme la relation entre le foot masculin et le foot féminin.
Comment ça ?Eh bien du côté aubois, comme pour le foot féminin, l’histoire est plus récente et le savoir-faire en matière de communication et de marketing est plus décalé. L’Aube a davantage un champagne de terroir et, comme aux débuts de la Silicon Valley, on commence à se dire qu’il y a un potentiel à exploiter pour réaliser de grandes choses. Un peu comme le foot féminin a su surfer sur l’image du foot masculin pour se faire découvrir.
De votre côté, vous avez annoncé vouloir reverser une partie des bénéfices des ventes « à la ruralité ». De quelle manière ? J’ai du mal à faire du business juste pour faire du business. J’ai toujours eu une approche un peu sociale. Ça me vient de mes parents qui sont infirmiers psys depuis toujours et passent leur vie à aider les gens. J’aimerais donc aider la ruralité à se dynamiser à travers le domaine associatif. Sportif donc, mais pas seulement. Parce que la ruralité c’est très important, ça transmet des valeurs qui comptent énormément au quotidien. Mon petit neveu joue au foot en club, j’ai envie qu’il ait du matériel en bon état à disposition pour pratiquer. Ça pourrait aller dans ce sens-là, mais aussi dans l’organisation d’événements culturels, pour l’instant je ne sais pas encore quelle forme ça prendra exactement. Mais j’ai une personnalité publique et je veux pouvoir l’utiliser dans ce sens.
Vous jouez en région parisienne depuis 2008, mais la campagne semble toujours tenir une place importante dans votre vie.C’est un peu ma bulle de décompression : pas de bouchons, peu de monde, c’est calme, apaisant… Je suis née au milieu de la nature et j’en ai besoin. À Paris, on en manque. Et puis j’ai aussi beaucoup d’amis là-bas. Mon meilleur pote est agriculteur, quand je le retrouve après quatre mois sans un coup de fil, il me demande juste comment ça va, puis il sort une bouteille de Ladoix et me cuisine des ris de veau aux morilles, juste pour me faire plaisir. C’est le genre de petites attentions hyper importantes pour se ressourcer et retrouver l’énergie pour faire les choses qu’on aime faire au quotidien. Dans mon cas, c’est jouer au foot.
Au-delà du Ladoix, le vin tient une place importante à la table de la famille Thiney ?Mon oncle habite à Celles-sur-Ource, un village réputé pour ses nombreux récoltants-manipulants. On s’y est souvent rendus en famille, et c’est vrai que le champagne a toujours un peu fait partie de notre quotidien. Que ce soit dans les moments de fête ou de tristesse, il est synonyme de réunion et de partage, en soirée ou en journée. Enfin bref, il n’y a pas de raison de le réserver seulement pour les grandes occasions. Il n’est pas interdit de boire du champagne avec une raclette ou juste parce qu’on est jeudi par exemple.
L’idée, c’était d’en profiter pour casser l’image élitiste qui entoure souvent le champagne ?C’est complètement l’objectif de la marque Dix.It Thiney. Et c’est pour ça que je me suis associée avec des grands chefs derrière le slogan « On peut apprécier la bonne bouffe en buvant du champagne. » Et j’insiste sur le terme « bouffe ». L’idée, c’est qu’ils élaborent des recettes très basiques qui peuvent s’accompagner de champagne. Benoît Gauthier, qui travaille au Grand Pan, a par exemple concocté un mélange œuf-jambon-champignon, qui sont typiquement les ingrédients qu’on peut trouver le dimanche dans son frigo quand on a la flemme de cuisiner. Pour l’instant, les bouteilles ne sont disponibles qu’en ligne, mais la moins chère coûte 28 euros, ce qui n’est pas tellement plus que le prix moyen dans un supermarché. Le but, c’est de vendre un produit de qualité à un prix abordable.
Contrairement à d’autres, vous vous êtes lancée dans cette aventure avant d’avoir raccroché les crampons. Pour mieux faire tomber le tabou qui entoure les sportifs et la consommation d’alcool ?Le tabou existe, mais c’est un faux silence. On le sait pour Christophe Jallet par exemple. Sur Instagram, on peut voir Lionel Messi avec une bière ou Neymar avec un verre de vin et je trouve ça génial. Parce que ça montre que ce sont avant tout des gens normaux, pas des machines. Souvent, on veut créer une image de l’homme ou de la femme parfaite, comme si boire un verre signifiait ne pas être parfait. La réalité, c’est qu’on peut être un sportif de haut niveau et apprécier le champagne. Ça n’implique pas forcément de rester en boîte jusqu’à six heures du mat’ une veille de match. Alors évidemment, tout le monde ne boit pas, et la question n’est pas de savoir si c’est bien ou mal, mais seulement que ça se respecte. Comme pour tout le reste, il faut rester nuancé.
Propos recueillis par Julien Duez
Photos : Bénédicte Manière