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Gabi, l’arbre qui cache la forêt des matchs truqués
Le capitaine de l'Atlético Madrid est la personnalité la plus connue inquiétée par le vaste coup de filet lancé jeudi dernier par la justice espagnole contre les protagonistes d'une vieille rencontre entre Levante et Saragosse qui sent très fort le match truqué. Explications.
Samedi 21 mai 2011, dernière journée de Liga de la saison 2010-2011. En position de relégable, le Real Saragosse se déplace à Valence pour affronter Levante. Les Maños l’emportent finalement 2-1 grâce à un doublé splendide — un coup franc enroulé et une frappe sèche en lucarne — de leur capitaine Gabriel Fernández. Grâce à cette victoire, le club se sauve au détriment du Deportivo la Corogne pour deux petits points. Gabi, quant à lui, retourne à la maison Atlético après quatre ans de galère à Saragosse. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait puisqu’après un an et demi d’une minutieuse enquête à l’instigation de la Ligue du foot professionnel espagnol, le juge anticorruption Alejandro Luzon a décidé jeudi dernier de convoquer 33 personnes – essentiellement des anciens joueurs ou membres du staff des deux clubs – pour éclaircir les troubles circonstances d’un match qui, selon la justice, aurait été truqué pour permettre à Saragosse de rester dans l’élite du football espagnol. Il n’est pas question ici du contenu propre de la rencontre, mais plutôt de l’étonnant ballet financier qui a entouré la rencontre.
1,2 million d’euros pour éviter la relégation
Agapito Iglesias — un type soupçonné par ailleurs de nombreuses autres magouilles — est le premier à être interrogé par le juge. Principal actionnaire et président du club aragonais à l’époque, il reconnaît avoir versé à certains de ses joueurs des primes (environ 90 000 euros par tête de pipe) quelques jours avant la rencontre. « Les joueurs voulaient une prime de victoire avant le match » , explique-t-il. Pour sa défense, il affirme n’avoir aucune idée de ce que ces sommes sont devenues une fois versées sur le compte en banque de ses footballeurs. Pour les principaux observateurs de l’affaire, et notamment le journal El Mundo qui a réussi à se procurer les comptes-rendus des entretiens, cette histoire est à dormir debout, ou coucher dehors. Cela n’a en effet aucun sens de verser une prime de match avant la rencontre, qui plus est quand le club se trouve en position de relégable et qu’il connaît d’énormes difficultés financières qui, quelques mois plus tard, le contraindront à se déclarer en cessation de paiement avec un trou dans la caisse de 130 millions d’euros…
Deuxième à passer par le bureau d’Alejandro Luzon, Gabi livre une version totalement différente. Si le capitaine reconnaît avoir reçu sur son compte personnel un virement de 85 000 euros de la part du club, il ajoute qu’il n’a pas gardé l’argent, car son président lui a demandé de lui rendre cette somme en liquide. Il contredit également la fable des primes en expliquant, primo, que le match n’avait pas encore eu lieu et, secundo, que seule une partie de l’effectif avait été payée alors qu’une prime concerne toujours tout l’effectif. Pour résumer, Gabi accable Agapito en soulignant que ce dernier avait besoin d’argent en liquide et lui a demandé ce petit mouvement financier comme une faveur. Faveur qu’il reconnaît avoir accepté d’exécuter les yeux fermés. Les témoignages des autres ex-joueurs de Saragosse (Jorge López, Braulio, Carlos Diogo, Ivan Obradović, etc.) se rejoignent tous plus ou moins : une somme proche de la centaine de milliers d’euros versée sur leur compte, retirée en liquide et remise au club. Et aucun qui ne semble s’être inquiété d’un tel micmac ni de la direction prise par ce pactole. Louche.
4×4 de luxes payés cash
Si la justice espagnole sait donc maintenant comment sont sortis 1,2 million d’euros – pour, selon elle, acheter la rencontre -, elle a plus de mal à prouver que les joueurs de Levante ont bel et bien reçu le cash. Des bruits de couloir tout droit sortis d’un mauvais film de gangsters évoquent une mallette qui aurait été remise de la main à la main à la fin du match… Ce qui est certain, c’est que les dépenses des joueurs de Levante dans les semaines qui ont suivi la rencontre ont été particulièrement scrutées. Si aucun des Granotes n’a été assez idiot pour mettre l’argent sur son compte, les enquêteurs ont mis le doigt sur plusieurs dépenses importantes sans mouvements bancaires correspondants. Par exemple, plusieurs joueurs se seraient achetés des voitures de luxe directement en liquide.
Pour l’image de Gabi, cette affaire est désastreuse. Dans le meilleur des cas, il apparaît comme un pantin, naïf et crédule. Sa version est trop absurde pour paraître vraiment crédible. À moins que le soldat de Simeone n’ait volontairement fermé les yeux pour éviter de tremper davantage dans une affaire douteuse. Dans le pire des cas, Gabi était effectivement au courant de la manœuvre et tombe alors sous le coup de l’article 286 bis du Code pénal espagnol qui établit que toute personne qui participe « de façon intentionnelle et frauduleuse à la prédétermination ou à l’altération du résultat d’un match professionnel risque jusqu’à 4 ans de prison, 6 ans de suspension et 5,5 millions d’euros d’amende » . À travers son capitaine emblématique, c’est la communication de l’Atlético qui est écornée. Cette image du foot populaire qui se construit dans la résistance face aux montages financiers à plusieurs milliards d’euros des mastodontes du Real Madrid et du FC Barcelone en prend un coup. La justice et la LFP semblent bien décidées à assainir un système rongé par la corruption et l’argent sale depuis des années. Un coup de pied à été donné dans la fourmilière, attention à ce qui pourrait en sortir…
Par Pablo Garcia-Fons