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G.I. Joe

Par Maxime Brigand
G.I. Joe

Débarqué cet été à Stoke pour pouvoir trouver une place de titulaire indiscutable, Joe Allen est rapidement devenu un indéboulonnable au cœur d'un effectif en manque de confiance et qui a dû attendre le week-end dernier pour remporter son premier match de championnat cette saison. Reste que la revanche est belle pour l'international gallois, viré par SMS de Liverpool malgré une présence dans l'équipe type de l'Euro.

C’est probablement là que tout a basculé, là aussi que l’histoire de Jürgen Klopp à Liverpool a changé. Anfield étouffe, le temple des émotions suffoque. L’entraîneur allemand, lui, décide de desserrer sa mâchoire pour la première fois d’une nuit historique. Il sait son équipe capable de tout, d’absolument n’importe quoi. Même de remonter deux buts au cœur d’un quart de finale retour de Ligue Europa qui aurait pu n’être qu’une soirée comme une autre. Alors, Klopp prend la parole face à un groupe miné par le scénario : « Je veux une deuxième mi-temps dont vos petits-enfants se souviendront. » Celui qui est alors à Liverpool depuis six mois a toujours voulu écrire l’histoire. Par ses idées, par ses choix, par son caractère et sa philosophie ambitieuse.

Reste que ce 14 avril 2016, Jürgen Klopp fait face à une machine qu’il a dessiné de toutes pièces – le Borussia Dortmund – qui est probablement devenue encore plus puissante dans les bras de son successeur, Thomas Tuchel. Douze minutes après la pause, neuf après une première réduction du score de Divock Origi, Marco Reus plante les Reds avec un troisième but qu’on pense suffisant pour plier l’affaire. Alors Klopp se lève, se retourne vers un homme hier accablé par le poids des comparaisons, aujourd’hui dressé comme une icône, et décide de le lancer sur scène. On joue l’heure de jeu à Anfield. Joe Allen vient de remplacer Adán Lallana. Liverpool s’imposera trente minutes plus tard au terme d’un scénario impensable. Au bout de la folie, mais surtout grâce à un Allen revitalisé.

Jésus et les poulets

Liverpool s’inclinera quelques semaines plus tard en finale à Bâle contre le FC Séville d’Unai Emery, mais peu importe. Joe Allen a enfin atteint le niveau promis, a pris la dimension de son jeu, de son talent, de sa capacité à réguler le tempo d’une rencontre et est devenu, au fond, un autre joueur. Probablement un homme plus complet aussi depuis sa rencontre avec Jürgen Klopp. Oui, il n’est qu’un milieu que l’on utilise principalement pour redonner du souffle aux Reds en seconde période – huit titularisations la saison dernière –, mais le voilà revenu à un niveau qui était le sien quelques années plus tôt à Swansea.

C’est dangereux parce que ces surnoms n’ont pas vraiment joué en ma faveur ensuite. Voilà pourquoi j’ai essayé de me dégager de ça pour prouver que je ne suis qu’Allen normal.

Un niveau qu’il va alors balancer jusqu’en demi-finales de l’Euro 2016 avec un pays de Galles décomplexé, où Allen va gratter une place d’indéboulonnable jusqu’à une place dans l’équipe type de la compétition. Lui refuse la lumière, mais il l’attire naturellement. Il n’en a pas toujours été responsable et a souvent traîné certaines déclarations comme un boulet. Allen n’a pas choisi d’être présenté comme le Welsh Xavi à son arrivée à Liverpool en 2012 par celui qui l’a modelé, Brendan Rodgers. Il n’a pas non plus choisi d’être devenu progressivement le Welsh Pirlo et plus encore le Welsh Jesus. « C’est dangereux parce que ces surnoms n’ont pas vraiment joué en ma faveur ensuite. Voilà pourquoi j’ai essayé de me dégager de ça pour prouver que je ne suis qu’Allen normal » , expliquait-il récemment dans un entretien au Telegraph.

Il est assez fascinant de voir la courbe d’évolution de l’image de Joe Allen. Hier encore, lors de son débarquement à Liverpool, le natif de Camarthen n’était qu’un mec normal, rasé de près et avec une gueule de jeune premier. Au fil du temps, il a décidé de lâcher le rasoir et de mettre au chômage son coiffeur pour cavaler avec une allure divine comme peut l’avoir, toutes proportions gardées, un Andrea Pirlo. De quoi lui coller une aura particulière et lui permettre de se tailler progressivement une place de choix dans les cœurs à Anfield, malgré un temps de jeu relativement faible. En dehors du terrain, Joe Allen n’est pas médiatique, il se dit même gêné par les caméras braquées sur lui. Le Gallois a pourtant fracassé son image lisse il y a quelques mois en posant à la une du numéro de printemps du magazine spécialisé Chicken & Egg. La photo laisse apparaître un Allen souriant, sweat de Liverpool sur le dos et avec l’un de ses deux coqs dans les mains. Tout a commencé par un cadeau de sa femme, Lacey, pour ses vingt-quatre ans. Et voilà Joe avec aujourd’hui deux coqs et quatorze poules (Meg, Leg, Silkie Steve, Kate, Silkie Steve junior, Giblets, Snowy, Nugget, Kiev, Dora, Holly, Shimmer, Shine, Chickaletta + Bruce et Rodney). Ce qui l’a rendu encore plus attachant, laissant se dessiner dans les rues menant à Anfield des maillots « No Allen, No Party » .

Le meneur plaqué

Reste qu’à vingt-six ans, Joe Allen avait besoin de jouer. « En tant que footballeur, vous voulez jouer toutes les minutes de tous les matchs. Quand ce n’est pas possible, c’est toujours une déception. C’est une réaction naturelle, ce n’est pas spécifique à ma personne.(…)J’ai vingt-six ans, pas trente-six, donc je peux encore prouver des choses sur un terrain. » L’Euro et la deuxième partie de saison dernière l’ont prouvé. Alors l’international gallois a filé cet été à Stoke contre un chèque légèrement supérieur à 15 millions d’euros. Un choix surprenant, mais une grosse pioche pour des Potters qui entendaient franchir un palier cette saison après un dernier exercice bouclé à la neuvième place de Premier League.

Ne pas savoir si votre club a l’intention de vous vendre ou de vous garder, surtout lorsque vous essayez de poser la question, c’est décevant.

Le seul tacle de la transaction est dans la manière avec laquelle Allen a appris la nouvelle, alors qu’il était en vacances à Ibiza : « J’ai reçu un message d’un ami me félicitant du transfert, alors que je ne savais même pas que cela s’était produit.(…)Ne pas savoir si votre club a l’intention de vous vendre ou de vous garder, surtout lorsque vous essayez de poser la question, c’est décevant. » Joe Allen avait envie d’attendre la reprise, de revoir un Klopp qui parlait de lui comme un « joueur fantastique » , mais Liverpool a recruté Georginio Wijnaldum à Newcastle pour le remplacer. Dur à accepter dans la façon de faire.

Vidéo

Reste que l’adaptation d’Allen à Stoke a été inversement parallèle au début de saison de la bande à Hughes. Un groupe qui n’a gagné qu’une seule de ses huit rencontres de Premier League et qui a été sorti dès le troisième tour de la League Cup contre Hull (1-2). Car en quelques semaines, le milieu gallois est devenu indispensable et a même poussé Mark Hughes à bousculer ses schémas pour lui offrir toute la liberté nécessaire. Installé au départ à la récupération avec Glenn Whelan, Joe Allen a été repositionné en meneur de jeu en soutien du triangle Arnautović-Shaqiri-Bony. Et le tableau est saisissant : des performances étincelantes, quatre buts lors des trois derniers matchs de championnat – dont une égalisation à Old Trafford et un doublé la semaine dernière contre Sunderland (2-0) – et une faculté à porter un effectif en quête de confiance malgré les solides bases de la saison dernière. Buteur avec sa sélection lors du déplacement en Autriche (2-2) le 6 octobre dernier, Allen a même fait frissonner Hughes après une blessure aux ischios. Pour finalement se relever et déjà égaler son record de buts en Premier League. Divin, déjà.

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