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Furlan, ce pilote qui n’a jamais eu de Ferrari

Par Aymeric Le Gall
Furlan, ce pilote qui n’a jamais eu de Ferrari

Débarqué d'un commun accord du navire troyen avant la fin du premier round de Ligue 1, Jean-Marc Furlan n'aura donc pas réussi à traduire sur le papier ses ambitions de beau jeu et de plaisir à tous les étages. Défenseur d'une philosophie de jeu devenue rare dans le championnat de France, le désormais ex-entraîneur troyen se sera heurté à des moyens financiers trop limités pour atteindre son but, l'excellence. Dommage, vraiment dommage.

La nouvelle est tombée hier, brutale : après cinq années passées sur le banc de l’ESTAC et à cause d’un début de saison catastrophique, Jean-Marc Furlan et le président troyen Daniel Masoni ont décidé « d’un commun accord » de mettre fin à leur collaboration malgré un profond respect mutuel. Le chantre du beau jeu n’aura donc pas réussi à mener à bien cette nouvelle mission sauvetage en Ligue 1 et tire sa révérence à trois jours d’un match ô combien crucial pour ses anciens joueurs face à Reims. Après avoir hissé une première fois cette équipe en Ligue 1 lors de la saison 2004-2005, Furlan était parvenu à la maintenir de justesse dans l’élite (17e) avant de connaître la relégation la saison suivante malgré un style de jeu alléchant propre à sa philosophie offensive. Cette fois encore, après avoir écrasé le championnat de Ligue 2 la saison passée (Troyes fut sacré champion à trois journées de la fin de la saison), Furlan n’a pas réussi à surfer sur cette dynamique positive afin de bien figurer dans l’élite. C’est tout le paradoxe chez cet entraîneur atypique.

L’argent, le nerf de la guerre

Que ce soit en National, en Ligue 2 ou en Ligue 1, le fil conducteur de sa carrière a toujours été le même : le beau jeu et le spectacle. Mais si les équipes de Furlan ont souvent fait sensation dans l’antichambre de la Ligue 1, la question est tout autre lorsqu’il s’agit de jouer dans la cour des grands. On pourrait passer des heures à chercher à comprendre le pourquoi du comment et se perdre en théories fumeuses, mais la réalité est beaucoup plus simple et l’explication toute trouvée : le manque de moyens. En effet, l’ESTAC est connu pour être un club qui a la tête sur les épaules, ne faisant pas de folies sur le plan financier et bricolant avec les moyens du bord. Avec le deuxième plus petit budget de L1 cette saison (devant le Gazélec), difficile de pouvoir lutter dans un championnat où capacité financière et classement final vont souvent de pair. Dans un entretien accordé récemment à Ouest-France, Furlan n’oubliait pas non plus de rappeler le contexte qui a été celui de Troyes cet été. « On a vécu un tsunami, on a été rétrogradés et interdits de recrutement pendant deux mois. On n’a rien pu faire. À partir de là, j’ai vite compris qu’on ne pourrait rien espérer cette année. » Et au-delà même des circonstances du moment, la question de l’argent revient toujours sur le tapis : « Ce qui me revient aux oreilles, c’est que mes équipes produisent du jeu, même si elles ne gagnent pas. Il y a 8-10 ans, on me disait déjà ça… « Furlan, ses équipes, elles jouent, mais il n’a pas de joueurs. » Mais j’ai toujours eu la plus petite masse salariale, ce qui est un des éléments qui comptent. » Une philosophie de jeu très ambitieuse bridée par des finances restreintes, voilà donc ce qui empêcherait Furlan de briller sur le devant de la scène avec ses équipes. Conscient de cette situation, le natif de Sainte-Foy-la-Grande ne s’est pourtant jamais plaint. « Je n’ai pas besoin de lumières, j’ai juste besoin de travailler dans de bonnes conditions. Je suis bien ici, au contact d’un président avec qui je m’entends très bien » , expliquait-il la saison dernière sur le site de Footengo. De fait, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait pu donner cet entraîneur aux idées couillues s’il avait été à la tête d’un club disposant de moyens financiers importants. Même s’il ne l’avoue que du bout des lèvres, il lui arrive aussi de se poser la question : « Dans un coin de mon cerveau, j’ai bien cette idée toujours présente de bosser un jour avec un budget qui me permettrait d’avoir les meilleurs joueurs du pays, pour voir ce que je pourrais en tirer, mais ça ne va pas au-delà. »

Yes, he can !

« Je pense qu’il pourrait entraîner des équipes de haut de tableau en Ligue 1, répond Antoine Philippon, gardien de but passé par Troyes entre 2010 et 2012. Si on prend l’exemple de Lyon, je pense que son profil correspondrait très bien avec la philosophie de jeu de ce club. L’OL, c’est aussi ça : bien jouer au ballon. Je pense qu’avec sa méthode de travail, il pourrait faire de belles choses dans un club comme celui-là. » Il n’y a pas un secret : pour parvenir à faire rayonner de tels principes de jeu aujourd’hui, mieux vaut être solidement armé. Car la seule volonté de bien jouer au ballon ne suffit malheureusement pas. L’élément incontournable est et restera toujours le talent pur des joueurs. L’évidence du propos pourrait prêter à rire si elle ne venait pas du sélectionneur de l’équipe de France en personne. « Un jour, j’ai discuté avec Didier Deschamps, rembobine Furlan, et il m’a dit : « Moi, je n’entraîne que des équipes avec des grands joueurs, car ce sont eux qui te font gagner. » » Quentin Westberg, actuel gardien de Tours en Ligue 2 et ancien pensionnaire du club troyen de 2002 et 2010, se montre lui aussi enthousiaste à propos de son ancien entraîneur : « Franchement, il a les qualités pour ça, c’est sûr. Il a énormément de compétences, il suffit d’adhérer et d’y croire. » Et si l’ancien portier aubois refuse de jouer les voyants ( « le reste, c’est de la spéculation, et franchement, c’est dur de se prononcer là-dessus » ), il finit tout de même par nous donner le fond de sa pensée : « Ce qui est sûr, vu que c’est un passionné et qu’il est constamment dans un travail de recherche, c’est qu’il se mettrait au niveau. Il prône un jeu qui pousse à l’excellence, donc s’il avait un jour à coacher des joueurs plus doués que la moyenne, avec un QI footballistique supérieur aux autres, ça ne pourrait donner que de bonnes choses. Ils seraient faits pour se rencontrer. »

À quand les clés d’un bolide ?

Joueurs de grande classe ou simples bons footballeurs, tous auraient donc quelque chose à apprendre de ce monsieur. Westberg poursuit : « Ses détracteurs vous parleront toujours de ses résultats en Ligue 1, mais de manière générale, les joueurs qui l’ont côtoyé en ressortent grandis. Tous ceux qui sont passés à Troyes et qui ont joué sous ses ordres ont cette étiquette de bons joueurs, de joueurs de ballon. Et ce n’est pas quelque chose que l’on peut facilement coller de nos jours ! » Dernier témoin du jour, Gaël Sanz, ex-capitaine troyen devenu aujourd’hui un grand ami du professeur Furlan, complète : « Jean-Marc peut faire de belles choses avec n’importe quelle équipe. Que ce soit avec beaucoup ou peu de moyens, il a déjà prouvé durant sa carrière qu’il était capable de tirer le meilleur de ses joueurs. Et il ne faut pas regarder cela sur une simple saison. Qu’il entraîne une grande équipe ou des formations plus modestes, chaque entraîneur connaît un jour une saison noire durant sa carrière. Mais si on analyse sa philosophie de jeu sur le long terme, on voit clairement que ça paye. En dix ans avec l’ESTAC, Furlan, c’est trois montées, deux demi-finales de Coupe de France, un titre de champion de Ligue 2 et deux titres de meilleur entraîneur de Ligue 2(en 2004-2005 et 2014-2015, ndlr). T’as des coachs qui travaillent toute une vie et qui n’obtiendront jamais de tels résultats. Donc c’est sûr qu’avec des joueurs de qualité et techniquement au-dessus du lot, ça ne pourrait qu’aboutir à du positif. Et même si tous les entraîneurs augmenteraient forcément leur rendement s’ils étaient à la tête d’une grande équipe, avec les principes de jeu de Jean-Marc, ces joueurs-là prendraient aussi un réel plaisir à pratiquer son football. » Souvent montré du doigt dans le microcosme du foot français, la faute à un discours cash et sans langue de bois ( « C’est une aberration dans la culture du foot français pour qui jouer est souvent synonyme de défaite » ), il n’en reste pas moins vrai que Furlan est un homme qui croit dur comme fer en ses principes. Une philosophie sur laquelle il ne transigera jamais, quitte à mourir pour elle. Cette confiance en soi, que certains pourraient appeler de l’arrogance, n’est-elle pas justement la marque des plus grands ? Pour le savoir, il faudra patienter encore un peu et espérer qu’un jour un président d’une top-écurie aura le courage – ou le culot – de faire appel à ses services. Car s’il n’a encore jamais eu le privilège d’être au volant d’une Ferrari, Furlan semble pourtant avoir la bonne tête du pilote de compétition. Charge à lui maintenant de trouver les clés.

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