ACTU MERCATO
Frères de contrat
Si de nombreux paramètres expliquent l'étonnante signature de Nabil Fekir au Betis, l'inclusion de son petit frère Yassin dans la balance en fait incontestablement partie. Une pratique régulièrement utilisée sur le marché des transferts et qui soulève des interrogations.
Ce lundi 22 juillet, la moitié verdiblanca de la capitale andalouse s’offrait un début de semaine frisson. Et il y avait de quoi : Nabil Fekir, talent brut de la capitale des Gaules et récent champion du monde en Russie, atterrissait à Séville pour enfiler pour la première fois les rayures du Real Betis, qui ne s’imaginait certainement pas, il y a quelques mois, signer un tel nom. Ça méritait bien une grosse couverture sur les réseaux sociaux toute la journée à coups de maillot déployé et d’espagnol approximatif, un beau sourire sorti par le gaucher et une journée de rock star pour lui. Pendant ce temps-là, à l’arrière d’un VAN et dans un anonymat beaucoup plus marqué, un autre Fekir, de quatre ans son cadet, faisait lui aussi son apparition sous le soleil ibérique. Car Yassin, 22 ans et trois matchs professionnels dans les pattes avec l’OL, s’est glissé dans le deal. Mais on ne devrait pas le voir de sitôt évoluer sous les couleurs sévillanes en même temps que son aîné, le Betis l’ayant plutôt enrôlé pour garnir l’effectif de sa réserve en quatrième division, après avoir réfléchi à le prêter illico à Cádiz (D2). De toute évidence, l’important est ailleurs.
Ce genre de cas n’est pas isolé, dans le football. De Franck Ribéry réussissant à faire venir Steven au Bayern, à Gianluigi Donnarumma offrant un pont d’or à son frangin Antonio au Milan en passant par Kaká ramenant son défenseur de frère Digão chez les Rossoneri en 2005 ou Eden Hazard venant avec Thorgan dans ses bagages au moment de signer à Chelsea, les joueurs savent parfois faire croquer la fratrie, y compris lorsqu’elle n’est pas composée de cracks à l’état pur. « Même au niveau amateur, ça arrive très souvent, pose Julien Jerafi, jeune agent de joueurs arrivé dans le métier il y a deux ans. Dès qu’un joueur est un peu demandé, il va essayer de placer ses autres frères. »
J’irai où tu iras
Pour le beau Nabil, le fait de garder une partie de sa famille près de soi – lui qui n’avait encore jamais quitté le Rhône, voit ses intérêts gérés par son paternel depuis sa rupture avec Jean-Pierre Bernès et habitait encore à 500 mètres du domicile familial à Lyon – est certainement non négligeable. D’ailleurs, où qu’il aille, le maestro du Groupama Stadium ne se voyait sans doute pas lâcher son petit frère : il y a un an, alors qu’il était sur le point de s’engager avec Liverpool, RMC évoquait déjà la possibilité de voir Yassin le suivre dans sa nouvelle destination, alors que le frérot ne comptait alors aucune apparition en équipe première. Ironiquement, la régression de Nabil a donc également affecté Yassin.
Pour le Fekir international français, il s’agit donc aussi d’un très bon moyen d’offrir un tremplin inespéré à son prochain, et de ressentir la fierté de lui rendre un précieux service. « C’est d’abord lié à une opportunité. La situation de Yassin à Lyon n’allait pas être favorable pour lui cette saison, et Nabil était en position de force vis-à-vis du Betis » , analyse Sylvain Prcić, lui aussi agent. Le club andalou, récent dixième de Liga et pas forcément le mieux placé au départ dans la course au Nabilon malgré un certain prestige historique, a peut-être fait la différence en activant ce levier, et c’est Jerafi qui le dit : « Le Betis utilise ça comme un atout par rapport aux autres clubs demandeurs comme Naples ou Valence. Ça lui permet de créer un confort au joueur transféré, de rentrer dans l’affect. Le club donne l’espoir aux proches d’une réussite familiale, et pas seulement d’un seul joueur. » Le geste ultime pour montrer son intérêt à un joueur, en somme.
L’égal d’une prime supplémentaire
Malheureusement, dans ce genre de tractation, le « frère de » est parfois relégué au rang de minuscule monnaie d’échange. « Finalement, ce n’est pas très risqué pour le club, là en l’occurrence, prendre le frère ne coûtera pas grand-chose en plus car sa valeur est moindre, poursuit Julien Jerafi. C’est comme si Nabil avait demandé une prime supplémentaire de 900 000 ou un million d’euros, finalement. Si le joueur perce, c’est tout gagné, et s’il ne marche pas, l’année prochaine il sera prêté ailleurs ou revendu et les pertes ne seront pas importantes. Souvent, ce n’est pas très concluant, mais l’importance pour eux est d’avoir le joueur principal. »
Sans ce coup de pouce, la carrière du jeunot aurait sans nul doute pris une tout autre tournure : « À partir du moment où le Betis a pris Yassin en considération, c’était difficile pour Nabil de faire un autre choix que celui-là. Sans ça, il sait très bien que son frère n’aurait pas pu rester à Lyon et aurait été obligé de rebondir dans des catégories inférieures, et prendre beaucoup plus de temps pour retrouver un club de première division alors que là, il a un contrat pour plusieurs saisons. Il a déjà 22 ans, et à Lyon, il avait déjà bénéficié de l’aura de Nabil pour pouvoir participer à quelques matchs l’année dernière. » Faire signer son frère dans son nouveau club, un simple piston ? Steven Ribéry défendait le contraire, Prcić tempère lui aussi : « Pour que ça puisse se faire, il faut que le niveau du joueur puisse correspondre. Le niveau de Nabil est beaucoup plus élevé que celui de Yassin, mais ça reste un joueur prometteur qui a montré des choses. » Souhaitons-lui un avenir à la Thorgan Hazard plus qu’à la Digão.
Par Jérémie Baron
Propos de JJ et SP recueillis par JB