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Frédéric Roux : « La boxe est une tragédie plus évidente que le football »

Propos recueillis par Nicolas Kssis Martov
Frédéric Roux : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>La boxe est une tragédie plus évidente que le football<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

La boxe et le football sont ordinairement présentés comme les archétypes du sport populaire, du moins en France. Pourtant ces deux disciplines possèdent des univers et des mythologies très différentes, qui renvoient à des modes de production du spectacle sportif apparemment très éloignées. Frédéric Roux est sûrement l’un des auteurs français à avoir su le mieux immerger ses lecteurs dans ce monde de rencontres arrangées et de légendes par KO, notamment avec son magistral Alias Ali (Fayard) consacré à Cassius Clay. Son dernier ouvrage traite d’un combat historique entre Marvin Marvelous Hagler et Ray « Sugar » Leonard en 1987, dont le dénouement fait encore aujourd’hui couler autant d’encre que le but anglais en 1966. Il nous raconte tout ce qui sépare le ring du stade, et surtout l’art du sport…

Comment expliquez-vous que la boxe ait inspiré ou inspire encore davantage les écrivains que le football ? Sans parler du cinéma ?

Il doit exister quantité de raisons à ce que vous avancez, dont beaucoup que j’ignore. La première qui me vient à l’esprit est très pragmatique : le football n’est pas un sport très populaire outre-Atlantique, alors que l’essentiel de la littérature sportive est anglo-saxonne, bien qu’il semble que, depuis quelque temps, ça s’améliore par chez nous, que la littérature sportive en France ne veuille plus forcément dire biographies ineptes de sportifs fades et resucées décaféinées d’Antoine Blondin. Au cinéma, en revanche, elles ne peuvent pas s’améliorer puisque, de nos jours, le cinéma est presque exclusivement produit à Hollywood. D’une manière plus « technique » , le foot étant un sport collectif, son intérêt pour un lecteur ou un spectateur se disperse plus vite, les caractères sont moins marqués, les oppositions moins claires… On regarde quoi ? On suit qui ? La boxe a le net avantage d’être un sport individuel, il est plus facile pour un lecteur ou un spectateur de se concentrer sur un ou, à la rigueur, deux personnages, nécessairement les héros (Rocky, Jake LaMotta), plutôt que sur vingt-deux gus, sans compter les dirigeants, les arbitres et les coupeurs de citron. Mais la raison essentielle, je crois, tient sans doute à ce que la boxe n’est pas vraiment un sport… La mort n’y est pas perpétuellement jouée à grands coups de pied dans un ballon, elle est l’enjeu central de l’affaire jusqu’à devenir, parfois, hélas ! bien réelle. Ce qui fait, vous me l’avouerez, une sacrée différence ! C’est une tragédie plus évidente, plus immédiate. Cela sans compter qu’il n’y a pas besoin d’être un spécialiste très futé pour en comprendre les règles, elles sont d’une redoutable simplicité : deux types enfermés, un arbitre pour rappeler la loi, le dernier qui reste debout a gagné… C’est tout ! Le foot, en revanche, c’est aussi compliqué à comprendre pour les Yankees que le cricket pour un Napolitain, le base-ball pour un Uruguayen ou le rugby à XIII pour un Ousbek.


Boxe et foot sont considérés comme deux grands arts populaires, mais leurs « mythologies » semblent diamétralement opposées, peut-on parler d’une juste répartition des rôles dans l’imaginaire collectif ?

Il faut raison garder, ni la boxe ni le foot ne sont des « arts » , seraient-ils qualifiés de « populaires » . Ali n’est pas John Coltrane, Johan Cruyff n’est pas Rembrandt et il s’en faut de beaucoup ! À mes yeux, le discours qui veut faire du sport un « art » , c’est de la bouillie pour les chats, du genre qui rajoute, volontairement ou pas, de la confusion là où l’intelligence manque. Le sport, c’est, à la rigueur, de la « culture » ou, plus précisément, de la « sub-culture » , au même titre que la cuisine ou la couture. Il ne faut pas confondre la purée Robuchon et un sonnet de Shakespeare, Lagerfeld, c’est pas Velasquez, un petit pont réussi n’est pas l’équivalent d’un aphorisme de Lichtenberg. Comprenez-moi bien, je suis tout à fait d’accord avec Bertold Brecht lorsqu’il réclamait du « bon football » plutôt que du « mauvais théâtre » , mais je ne confonds pas pour autant Kopa et Racine, Bernard Tapie et Laurent de Médicis, et je ne recommande à personne de le faire ! La distinction qui me semble la plus compréhensible par tout un chacun, c’est la différence entre le statut des sportifs et celui des artistes : les artistes sont plus ou moins libres, il faut qu’ils le soient, même à l’intérieur de règles quelquefois très contraignantes, les sportifs, jamais. Ce sont des esclaves. A priori, cela peut sembler surprenant aujourd’hui où les adolescents rêvent d’être Thierry Henry plutôt que Che Guevara, mais il y a une chose que l’on oublie, c’est que dans la Rome antique, les esclaves pouvaient être riches, la seule chose qui leur était interdite, c’était d’être libres. Et il n’y a pas moins libres que les sportifs, ils ne peuvent même pas choisir la marque de leurs godasses ni dire le contraire de ce que leurs propriétaires leur demandent de déclarer !En ce qui concerne « l’imaginaire collectif » , je ne me prononcerai pas, je ne sais même pas si l’imaginaire collectif existe ! Je crois, surtout, qu’il y en a plusieurs ou, plutôt, que l’on ne peut pas fixer aussi aisément que vous semblez le faire des limites à l’imaginaire. En tous les cas, j’ignore si les « mythologies » doivent y être bien rangées, le peu que je constate, c’est qu’elles le sont bien mal. Je ne vois pas non plus en quoi les « mythologies » – avec des douzaines de guillemets – véhiculées par le foot et la boxe sont opposées, elles se confondent avec l’idéologie sportive qui est, vous en conviendrez, assez pratique pour maintenir un ordre… quel qu’il soit d’ailleurs.
C’est une religion sans Dieu, le leurre le plus couramment usité aujourd’hui pour que rien ne change et que le peuple rêve à un paradis peuplé de 4X4, de blondes en plastique, d’écrans plasma d’un hectare et de piscines à débordement en marbre de contrebande. On se prend quelquefois à regretter Abel et Caïn.

Question « raciale » , corruption, paris truqués, mégalomanie, médias… Le foot constitue-t-il en quelque sort aujourd’hui ce que fut la boxe dans les années 70-80 ?

Si je ne pense pas que l’on puisse comparer le foot et la boxe ou, plutôt, que l’on puisse décalquer exactement leur sens et leurs valeurs, les questions ou les problèmes que vous évoquez (les « races » , l’argent, la médiatisation des unes et de l’autre) étant universels, tout au moins mondialisés, et comme ils sont de tous les temps, j’en déduirais, pour ma part, qu’ils n’appartiennent pas davantage au foot qu’à la boxe et pas plus au polo-vélo qu’à la politique.

Dans votre roman, vous racontez le combat entre Marvin Marvelous Hagler et Ray « Sugar » Leonard, et surtout la décision controversée du jury en faveur de Sugar. Est-ce que, dans la boxe comme dans le foot (on songe à Séville 82), ce genre de tragédie laisse finalement une trace plus importante que les grands KO incontestés ?

Que je sache, la France a perdu à Séville et la décision n’est pas contestable. On peut regretter le résultat, refaire le match au comptoir : « Et si… Et si… Et si Battiston ne sort pas, on met Paris en bouteille ! » Mais la réalité, c’est la victoire de l’Allemagne. Pour laisser une trace, que ce soit dans son temps ou dans l’imaginaire, un événement sportif n’a pas à être juste ou injuste, la décision n’a pas à être méritée ou pas, il faut qu’il raconte une histoire que l’on a envie d’écouter parce qu’elle nous fait rire ou bien pleurer, il faut qu’il résonne avec la grande histoire. Les plus grands combats ne sont pas, sportivement parlant, les plus beaux et des matchs minables peuvent porter un enjeu grandiose. J’ajouterai que les K.-O. incontestés (la deuxième rencontre Ali/Liston en est le parfait exemple) sont parfois plus contestables que des combats clairement et nettement jugés aux points, beaucoup plus, en tous les cas, que la victoire de l’Allemagne à Séville qui, pour sa part, ne souffre aucune contestation.

L’atmosphère des matchs de boxe que vous décrivez à Las Vegas, et on peut aussi songer plus près de nous en France au match Accariès-Ferrara, semble presque plus intense et électrique qu’un Clásico Real-Barcelone, faut-il en déduire que la vraie violence dans la boxe ne se manifeste pas forcément entre les cordes ?

Si « vraie » violence il y a, elle n’advient ni sur un ring ni dans un stade, elle est dans le vrai monde. Le Rwanda, alors que l’on peut chiffrer le résultat de la rencontre, n’était pas pour autant un match Hutus/Tutsis mal arbitré par l’armée française, ce n’était pas du sport, et le sport, malgré l’abus de métaphores guerrières utilisées par les journalistes sportifs, n’est pas la guerre. Alors, bien sûr, le lendemain du jour où Jack Johnson est devenu champion du monde poids-lourd, on a relevé quelques cadavres aux quatre coins des États-Unis, mais souvenons-nous du Heysel où l’on en ramassé davantage. C’était télévisé, le match a eu lieu et tout le monde l’a regardé pour connaître le résultat, alors que le résultat c’était : Inhumanité, 3 – Humanité, 0 ! La vraie violence, c’est celle-là et ses manifestations « invisibles » : la complaisance, l’attraction morbide à son égard doublées de l’aveuglement à ne pas la placer là où il faut le faire.

En lisant Night train de Nick Toshes, on a vraiment le sentiment que davantage tordu est le destin, plus belle sera la légende. Qui parmi les footeux pourrait prétendre à s’élever dans ce cas parmi les anges déchus du ring ? Maradona ?

Maradona, bien sûr, parce qu’il raconte son temps comme Tyson ou DeLaHoya peuvent le faire… Mais sans être un spécialiste, j’ai l’impression que, côté spectaculaire pur, Georges Best ou Garrincha n’ont rien à envier à n’importe quel boxeur sans intérêt. Je n’ai aucunement l’intention d’écrire sur un joueur ou sur un match de foot, ce qui ne veut pas dire que je ne pourrais pas le faire, juste que je n’en ai pas envie ou que l’on ne me l’a pas proposé. De toutes les manières, l’art n’a rien à voir avec le « sujet » , le sujet de l’art, c’est l’art, on peut faire de l’art avec tout et n’importe quoi, il suffit de le faire artistiquement, c’est plus dur à réussir qu’une aile de pigeon.

À lire : Frédéric Roux – La classe et les vertus (Fayard)

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Propos recueillis par Nicolas Kssis Martov

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