En parcourant Smart, le lecteur peut en retirer l’impression que le foot, qui avait bien pris le tournant audiovisuel, a pour l’instant raté celui du web ?
À Gaza, je décris des jeunes jouant à PES2013 ou à FIFA d’Electronic Arts : des jeux vidéos mondialisés ! Donc, le foot est déjà sur internet ! Au-delà de l’anecdote, c’est vrai que, par rapport à la télévision, le football n’a pas encore perçu toutes les potentialités du web. Mais cela est en train de bouger.
La Coupe du monde se tient au Brésil, est-ce déjà, comme vous le décrivez, un pays suffisamment connecté pour un événement planétaire de cette ampleur ?
Dans Smart, je montre qu’au-delà des États-Unis, de l’Europe et du Japon, la vraie mutation d’internet est en train de se faire dans les pays émergents. Le Brésil est au cœur de cette évolution et c’est pourquoi je ne parle pas d’Internet, avec un « i » majuscule et au singulier, mais bien des internets, au pluriel. Le Brésil est très en avance sur le web, à la fois par des usages particuliers, des plateformes propres (je pense à Orkut, une sorte de Facebook créé avant Facebook) ou encore grâce au développement économique des favelas qui passe notamment par les « LAN houses » , ces cybercafés du pauvre. Le Brésil a connu un développement formidable, avec des millions de personnes passant des classes E et D, c’est-à-dire des favelas et des classes pauvres, à la classe moyenne – la fameuse classe C, parfois appelée la « classe Lula » . Cela étant, ces mutations rapides et, probablement positives, ont engendré beaucoup de frustrations, d’où un rejet d’une partie de la population contre le Brésil actuel, et parfois contre la Coupe du monde.
Vous évoquez souvent dans le livre le net, à la fois comme un champ de bataille, un marché et un espace de partage. De quel coté pencherait le foot ?
Le net n’est pas un secteur à part, isolé, singulier : il est aujourd’hui au cœur de l’économie mondiale, et c’est pourquoi c’est à la fois une priorité économique et un soft power. Comme le football. Et comme le foot encore, le web c’est à la fois un marché, mais aussi un secteur à but non lucratif ; on peut jouer professionnel ou faire du foot en amateur, comme on peut valoriser Google et Facebook de milliards de dollars, et défendre Wikipédia, Firefox ou les lanceurs d’alerte, qui sont hors marché et hors accélération. La dimension de partage d’internet, son sens du collectif hors de l’économie marchande, sa part de rêve sans rentabilité, doivent être entretenus pour que le secteur professionnel puissent se renouveler, se régénérer, innover, garder sa morale, etc. C’est un peu la même chose pour le foot !
Au cours de vos différentes enquêtes, quels furent le pays ou le contexte dans lequel le ballon rond paraissait occuper le plus de place dans le web ?
Le Brésil bien sûr ! Ma vision est peut-être faussée par le fait que mon enquête, menée dans une cinquantaine de pays, a été réalisée essentiellement ces 2-3 dernières années, soit à un moment où la Coupe du monde au Brésil était déjà très discutée. Mais il est vrai que ce que je décris sur le Brésil, les liens entre la revitalisation urbaine des favelas et internet, la place du sport sur l’internet brésilien, m’ont fasciné.
Le foot, contenu « apolitique » , est-il celui qui passe le mieux les barrière de la censure, comme en chine ou en Iran ?
C’est une question intéressante et c’est vrai que le sport fait peu de politique. Du coup, il est moins censuré. Mais il faut bien voir que l’internet chinois, et bientôt iranien, cubain, turc, etc, est moins un internet censuré qu’un autre internet. Facebook en Chine c’est Renren, Google c’est Baidu et Twitter ce sont les Weibos ! Donc le débat n’est pas de savoir si on peut accéder aux contenus occidentaux : pour une large part, on ne peut pas y accéder. En revanche, la question est de savoir si les plateformes et les sites chinois reprennent les images du sport en général, et du foot en particulier. La réponse est oui.
Smart, Enquête sur les internets (Stock)
F. Martel sur Twitter
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