Comment s’est passée la formation pour toi ?
J’ai commencé le foot à l’ASS Sarcelles, pendant 7-8 ans. À 14 ans, j’ai été détecté par le LOSC, j’y suis arrivé en 98. J’avais eu des contacts à Lens, Nantes, Auxerre, mais c’est à Lille qu’il y avait le meilleur feeling. J’ai fait toute ma formation là-bas, jusqu’en 2004 : 15 nationaux, 17 nationaux, équipe de France U18, réserve, quelques matchs amicaux avec les pros, sous Puel. C’était l’époque Pichot, Rafael Schmitz, Bodmer, Benoît Cheyrou… D’ailleurs, quand je joue contre Mons, Chalmé venait d’arriver, on jouait au même poste, et j’entre à la mi-temps et lui non, tu sens qu’il n’était pas content (sourire). Avant, on avait été finalistes de la Gambardella avec Jean-Noël Dusé, ça faisait 40 ans que Lille n’était pas arrivé là. C’était un mec visionnaire, qui faisait il y a 15 ans ce que tu as maintenant, avec du jeu, du jeu, du jeu.
Mais il y a un moment où ça a coincé…
Dans la tête de tout le monde, j’étais le futur pro, mais à un moment donné… C’est pas que tu prends la grosse tête, mais tu tombes dans une certaine facilité, on te caresse dans le sens du poil. Et toi, t’es indépendant, tu sors du centre, tu touches 3 000 € par mois à 17 ans… T’es jeune, tu vas faire un peu la fête, comme tout le monde quoi ! Sauf que tu dois être performant, et qu’à force, t’es un peu moins bien. Et dans les clubs pros, on va te mettre une petite tape dans le dos en disant « attention » , mais ils vont pas être derrière et t’accompagner. Si t’es pas bien, ils te l’ont dit une fois, tant pis pour toi, derrière y en a qui travaillent. Ça correspond à Cabaye, Debuchy, 1 ou 2 générations en dessous de moi, qui à un moment donné ont explosé. Mais au moment où tu te rends compte de tout ça, il est trop tard. Moi, peut-être que j’ai pas fait les choses pour être pro. Au mois d’avril 2004, j’avais 20 ans, et au moment du bilan, ils te disent « Écoute Fred, on va pas te conserver » . Pas parce que t’as pas les qualités ! Si t’as fait le cursus, c’est qu’elles sont là. Mais c’est une histoire d’homme, ça dépend d’une personne, le mec qui est à la tête de l’équipe pro. Si tu corresponds à sa philosophie, à son profil de joueur, tu signes. Sinon, tu signes pas. Ce moment-là, c’est le moment charnière. Par rapport à un autre mec qui signe, tu prends un autre chemin, et il est boueux…
On est en 2004. Tu commences donc à te chercher un nouveau club ?
Voilà, tu fais des CV, des lettres de motivation, comme quelqu’un qui va chercher du travail quoi ! Sur ton CV, tu mets ton cursus sportif : tes championnats, ton palmarès, tes sélections, tes coachs, ta latéralité, ton poids et caetera. Finalement, je signe en Angleterre, à Kidderminster en League One. C’est Jan Molby le coach, un mec qui est passé par l’Ajax, Liverpool… C’est pro, t’arrives dans le vestiaire, t’as ton slip, tu joues devant 5 00 personnes, parfois jusqu’à 30 000… Là-bas, c’est moi qui ai fait le con. En fait, on n’est pas bien classé, un jour on arrive et Jan Molby n’est plus là. Tu sais rien, juste qu’il a été viré. Le nouveau manager arrive, explique les choses, et dit : « Maintenant, on va montrer aux Français comment on joue au foot en Angleterre ! » Moi, direct, je joue moins, c’est mon premier coup dur en tant que joueur. C’est pas ma culture, ma copine, ma famille sont loin… Un soir, en sortie de boîte, je me bats. Je retourne à l’entraînement avec l’arcade sourcilière pétée, l’entraîneur arrive et me dit : « Tu vois comment on cogne en Angleterre ! » À partir de ce jour-là, j’ai dit : « Allez, je me barre » . J’avais un contact avec Sannois Saint-Gratien, mais ça a foiré pour une histoire administrative. Je suis resté 4, 5 mois sans jouer, et j’ai signé en CFA 2 à Lyon. Puis Fréjus, Menton… Et là, je pars en Italie, en Serie C, à la Cisco Roma. Le coach, c’est Paolo Di Canio !
Di Canio, il marche toujours avec un pote boxeur
Tu le savais avant d’y aller ?
Ouais, mon pote Steeve Joseph-Reinette m’avait appelé pour venir. Mais au-delà de ça, c’est un mauvais choix. J’étais à Menton en CFA 2, j’avais un boulot en mairie, un petit fixe à côté, tous les midis ils payaient le resto, un plein de course par mois… J’étais au beurre, mais tu te dis que tu dois penser à autre chose, l’élite, tu sais que ça va être compliqué. D’un coup, on te dit contrat pro, l’Italie, Di Canio, Rome ! C’est peut-être là, le moment ! Je signe 2 ans, les infrastructures sont top… Mais finalement, t’es pas payé. Un mois, deux mois, trois mois… Ils te disent que c’est les papiers en France, en France ils te disent que c’est l’Italie, les fédérations se renvoient la balle. Bref, t’es pas payé. L’agent me dit « T’inquiète pas, en Italie, c’est comme ça. » Mais toi, ça te paraît bizarre. Et ils nous envoient à gauche, à droite… On décide de faire la grève. Di Canio vient chez nous, il sonne, il y avait une caméra, tu sais. Et on voit Di Canio, mais lui, il marche toujours avec un pote à lui qui est boxeur. Et on le voit derrière ! (rires) Il dit « Ouvrez la porte, faut que je vous parle ! » « Bah non, qu’est-ce qu’il fait ton pote derrière ? » On n’a pas ouvert, il était fou. Le président du club nous appelle, nous dit que si on ne vient pas, il casse le contrat. Mon pote y va, moi je veux pas. Je vais au stade, je m’embrouille un peu avec tout le monde, je prends mes affaires et je me barre. Ce qu’il se passe, c’est que 3 semaines après, ils sont payés tous. Mais bon, j’étais comme ça, pas toujours réfléchi.
Après cette expérience, tu décides de couper avec le foot ?
Pendant que j’étais en Italie, je me remettais en question. J’avais 26 ans, j’ai fait un bilan : à Lille, c’était plutôt bien, j’étais en équipe de France, mais j’ai pas réussi. En Angleterre, c’était bien, mais encore, avec mon comportement… Bref, l’élite c’est terminé. CFA 2, CFA, au mieux National, un salaire entre 1 500 et 4 000 €… Tu vois Franck Ribéry ici, Yohan Cabaye là… C’est des très bons joueurs, mais à l’époque on était au même niveau, peut-être même qu’à un moment, j’étais un peu mieux vu. Tu te dis « Putain, eux, ils ont réussi. Moi, je suis là, je végète. » Et de toute façon, à 32 piges, tu vas devoir travailler, pas moyen de se mettre à l’abri. Donc soit j’arrête tout de suite, je monte un truc, je prends de l’expérience, soit à 32 piges je remonte les manches. Je décide d’arrêter. Et je monte une boîte de nettoyage. Attention hein, c’est une EURL, je suis tout seul, sur des gros chantiers je prends quelqu’un, mais sinon j’y vais, je mets les mains dans la merde. Et là, tu te rends compte que t’es un privilégié en football. Tu touchais 3 000 euros en CFA, à 18 ans, et tu te retrouvais à 0 à la fin du mois. Alors que là, quand tu te lèves à 5 heures, t’es sur le chantier à 6, tu vois comment c’est dur de gagner un euro, ce que c’est la vraie vie. Donc j’ai appris, j’ai pris de l’expérience. Mais je m’épanouissais pas et au bout de 2 ans, ça commençait à me manquer le football.
Qu’est-ce qui te fait revenir dans le monde du foot ?
Je rencontre Mansour, de l’AS Vieux-Lille. On boit un verre, il me propose de venir pour encadrer les petits. C’est genre la plus basse division du football, en dessous c’est le handball ! (rires) J’arrive, le terrain c’est du schiste, je vois quelques gamins qui jouent, je dis à Mansour : « Quand est-ce qu’ils arrivent les joueurs ? » « Ben ils sont là ! » Les mecs, ils sont en bermuda, ils ont un téléphone à la main… J’ai jamais connu ce niveau, même à Sarcelles on était en DH. Les joueurs, ils étaient 6, 7… Je fais une réunion, y a 2 parents qui se pointent. Comment tu veux jouer ? On fait forfait au premier match, et petit à petit les joueurs sont arrivés. Je passe 3 belles années, et de 5, je passe à 22 joueurs. Donc je réalise que ça me plaît, le métier d’éducateur, de coach. Peu après, j’arrive à Marcq, là c’est intéressant au niveau des jeunes. Depuis l’année dernière, je suis sous contrat, entraîneur des U17 et coordinateur des U6 à U13, et l’année prochaine, je serai coach de la première, en DHR. À 32 ans, c’est plutôt une belle promotion, je pense que je serai un des plus jeunes de la division. J’ai passé tous les diplômes, l’I1, l’I2, l’AS, le Brevet d’État, et là je passe en Belgique l’équivalent du formateur, qui peut te permettre d’être directeur de centre de formation. J’aimais bien les jeunes. Avec l’équipe première, j’avais un peu peur de tomber dans ce que j’ai connu, les résultats, tout ça. Les jeunes, ils t’écoutent avec des grands yeux, ils ont faim. Les équipes premières, sur les relations humaines, c’est plus compliqué. Après, sur le long terme, j’aimerais bien intégrer un club pro à la formation.
Valbuena, c’était tout petit, mais super fort
Tu fais aussi dans le recrutement ?
Au même moment que le Vieux-Lille, je parlais avec Marc Luciate, à l’époque responsable du recrutement dans la région Nord pour le Stade rennais, qui était mon ancien coach à Sarcelles. Des années avant, je lui avais parlé de Ribéry quand il s’était fait viré du LOSC. Deux ans plus tard, Franck est à Alès, je lui dis qu’il faut le faire signer à tout prix, c’est une bombe. Il me dit que non, que c’est un peu petit… OK. Il signe à Brest, et il vient jouer contre Wasquehal, en National. Moi, ça faisait un an et demi que je ne l’avais pas vu jouer. Quand je le vois, j’appelle Marco, je lui dis « Mais tu dois le faire signer ! En Ligue 1, il va tout casser ! » C’était plus le même. En formation, c’était très doué techniquement, très intelligent dans le jeu, mais c’était petit, et à l’époque, on misait sur le côté athlétique des choses. Il est viré du LOSC que pour ça hein, pas pour les bêtises, c’est pas vrai, les bêtises qu’il a faites, j’ai fait les mêmes. Sauf que moi, j’étais en équipe de France, et que lui, il était nulle part. Bref, Marco va le voir, me re-confirme que ça va être léger pour la Ligue 1. On est au moment de la fin de mon histoire avec Lille, en 2004. Après, il signe à Metz, Galatasaray, Marseille, fait la Coupe du monde, et enfin Marco me dit « OK, t’avais raison, c’est très fort. » Je lui avais parlé de Valbuena aussi, parce qu’on avait fait un essai ensemble et que c’était tout petit, mais super fort, vraiment très intéressant. Ou Issar Dia, passé d’Amiens à Nancy. Et du coup, un an et demi après, il me propose de bosser dans la région en recrutement. On a fait 3 ans, et puis l’année dernière, Reims m’a contacté, ils ont un projet très intéressant, donc là je bosse avec eux.
Comment ça se passe, le métier de recruteur ?
À Reims, je suis auto-entrepreneur, comme une prestation de service, avec un fixe par mois. Pas de commission pour les joueurs qu’ils signent, je suis pas agent. Dès que je peux, je vais voir les matchs, avec un calepin, un stylo, je regarde en fonction de nos critères, du profil particulier à Reims, chaque club à son profil. Après je creuse, je vais voir l’éducateur, je fais mon rapport au responsable du recrutement à Reims. Lui a un listing de tous les joueurs, il connaît les besoins des générations. S’il y a un manque, il m’appelle et on va faire un essai, le joueur est invité dans le centre de formation. Cette année j’en ai fait 6, sur une quarantaine de rapports. C’est rare. Quand tu en fais signer 1, normalement, c’est déjà bien. Après, le problème du recrutement, c’est que c’est hyper stéréotypé. Faut de la taille, de l’athlétique… Sauf qu’on oublie que la base, c’est d’avoir un footeux. Le reste, c’est de la branlette, le mec il est bon ou il est pas bon. Le reste va venir après. Regarde Ribéry, à 15 ans, personne n’aurait imaginé qu’il serait pro. À 20 ans, à Caen, ils le refusent. Et regarde 10 ans après. C’est dire que si tu arrives à te tromper sur un mec de 20 ans, imagine pour un petit de 12 ans ! Il y a tellement de paramètres… Faut qu’il soit footeux, qu’il sente les choses, avec la croissance, les choses vont venir. Et il y a le mental, l’entourage, ça c’est bien plus important.
C’est pas qu’un parcours professionnel, c’est une personne
Pas trop compliqué à gérer, l’entourage ?
Si tu savais combien de parents m’appellent parce que je recrute. Mais laissez faire les choses ! Faut que le gamin, il prenne du plaisir. Et s’il est bon, on va le remarquer. À mon époque, on n’avait pas les réseaux sociaux, pourtant on venait nous chercher. Le truc, c’est que tous les joueurs ont besoin de reconnaissance. Alors faut être honnête avec les joueurs, leur dire la vérité. Ça va être dur hein, mais je vais essayer de rester droit dans mes bottes dans mon parcours, parce qu’à un moment donné, tu parles de l’avenir d’un petit. C’est pas juste un parcours professionnel, c’est une personne.
C’est quoi ton message justement, à ces personnes ?
C’est qu’à travers le football, tu peux vivre des choses. Souvent, les jeunes voient Ibrahimović, Cristiano, Messi… Mais au-delà de ça, tu peux vivre du football. Je vois des joueurs, j’essaie de leur faire comprendre qu’en DH, CFA, tu peux vivre. J’en connais pas mal qui comprennent pas, qui veulent seulement être pro. Mais tu peux vivre du football, tu peux t’équilibrer grâce au football, tu peux rencontrer des personnes de tous milieux sociaux, de cultures différentes, c’est un vecteur social important. Alors c’est pas forcément simple, faut digérer de pas arriver à son rêve. Mais pfff, regarde, y a combien de licenciés dans le football, et y a combien de pros ?
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