Vous rappelez-vous la première fois que vous avez rencontré Johan Cruijff ?
Je me souviens l’avoir rencontré pour la première fois à l’Ajax alors que j’évoluais en jeunes au début des années 80. Il nous avait rendu visite parce qu’il devait retravailler avec l’Ajax pour essayer de ramener le club au niveau qui devait être le sien. Ce qui m’a le plus marqué, c’était sa présence. Rien que cela suffisait à être complètement béat. Sentir cette fierté de lui serrer la main, de lui parler. Une présence toute naturelle quand il s’agissait de parler aux joueurs, de nous mettre à l’aise. C’était un immense honneur pour nous.
Quelle est chose la plus importante qu’il vous a inculquée ?
Par-dessus tout, je pense que le simple fait de l’avoir vu jouer lorsqu’il évoluait à l’Ajax, autant pendant les entraînements que pendant les matchs. Il était très important pour nous de voir la façon dont il traitait la balle, ses capacités, sa vision de jeu et tout ce qui s’ensuit. Parce que si tu vois quelqu’un faire des gestes incroyables, que tu imaginais impensables, tu te mets à y réfléchir et à vouloir les reproduire. Rien que cela peut décupler le potentiel d’un joueur talentueux et le faire atteindre un niveau tout autre. Personnellement, je me souviens qu’il m’a appris à frapper avec mon pied gauche. Il me disait que c’était avant tout une question d’équilibre, que tu devais te servir de ton bras droit aussi. « Débarrasse-toi de ton bras quand tu frappes du gauche » , qu’il disait. J’ai travaillé ça et, en un jour ou deux, je savais le faire. Jusqu’ici, j’étais incapable de me servir de mon pied gauche et d’un coup, je pouvais frapper avec. Bon, je n’ai jamais eu la classe et la précision du « maestro » en personne, mais j’ai quand même marqué quelques buts avec ce pied gauche plus tard dans ma carrière.
Comment décririez-vous le football de Cruijff ?
De l’art dans l’élégance et la manière de faire fonctionner la technique des joueurs, de la vision dans la lecture de jeu et du leadership. Parce qu’il est et il reste le numéro 1.
À votre avis, qu’est-ce qu’il a su avant les autres ?
Il pensait simplement avec trois temps d’avance par rapport aux autres. Il lisait le jeu beaucoup plus vite qu’un joueur lambda. En plus de ça, je pense qu’il a toujours su qu’il avait besoin d’autres joueurs pour devenir champion. Pour cette raison, il était très intelligent dans la façon de rechercher cet équilibre parfait dans une équipe, d’être sûr d’avoir des joueurs complémentaires, qui fonctionnaient avec lui afin d’atteindre ses propres desseins. Il répétait sans cesse : « Tout seul, c’est impossible de gagner, il te faut la bonne équipe pour ça. »
Vous avez eu une relation tumultueuse avec lui, notamment lorsque vous avez quitté le terrain d’entraînement de l’Ajax en 1987 en criant : « Je ne jouerai plus jamais pour toi » et en quittant littéralement le club derrière. Par la suite, vous êtes devenu entraîneur et l’un de ses disciples les plus connus. Comment l’expliquez-vous ?
J’étais encore jeune à l’époque et je ne pouvais pas répondre aux attentes qu’il avait placées en moi. Très rapidement, je n’ai plus compris le comportement qu’il avait envers moi, cette façon de se montrer déçu du travail que je fournissais. Mon respect pour lui a toujours été tenace, mais à l’époque, je pensais qu’il était mieux pour moi de tenter ma chance ailleurs. Bien plus tard, j’ai commencé à comprendre, notamment en devenant entraîneur, pourquoi il procédait de cette manière et que j’étais incapable d’y répondre… À l’époque. Lorsque j’ai entraîné le FC Barcelone, Johan Cruijff m’a été d’une grande aide. Discuter avec lui de jeu, partager ses idées avec moi a été un plaisir de tous les jours.
Voyez-vous des limites, des défauts au football prôné par Cruijff ?
Pas vraiment. Même si, au début de ma carrière, je me disais qu’il ferait bien de s’occuper de sa défense (rires). Il voulait donner au public quelque chose qui puisse le réjouir. Donc au football défensif, destructeur, il a toujours préféré le football offensif. Comme il pensait plus vite que tout le monde, il pensait que la meilleure défense était l’attaque – et donc les attaquants qui, s’ils mettaient le bleu de chauffe, rendaient l’équipe plus forte. Encore une fois, il avait raison.
Quel est votre meilleur souvenir de Johan Cruijff ?
Avoir eu le privilège d’évoluer à ses côtés alors que je n’étais qu’un gamin, apprendre de lui lorsqu’il m’entraînait, puis lorsque je suis devenu entraîneur au FC Barcelone, l’avoir comme mentor et ami.
Sommaire du So Foot#128 spécial Johan Cruijff
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