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Frank, la tête haute

Par Maxime Brigand
Frank, la tête haute

Il se disait prêt à repartir, prêt à retourner une nouvelle fois son sablier, prêt à continuer à jouer avec le buste levé. Mais finalement, c’est terminé, depuis quelques heures. Frank Lampard a annoncé jeudi la fin de sa carrière sportive après vingt et un ans de créations, de génie et de larmes. Indélébile.

Frank Lampard n’a jamais baissé la tête, sauf une fois. Il sait, au fond de lui, que rien ne devait se passer comme ça, pas dans ce sens, pas ici, pas sur un tel scénario. Alors, il s’incline. Par respect, mais aussi par pudeur. Autour de lui, une foule crie, elle hurle pour lui, mais il ne veut pas l’écouter. Peut-être aurait-il dû s’arrêter plus tôt, mais peut-on lui en vouloir ? En aucun cas, non. Au fond, on s’en branle du résultat, on se fiche qu’il vienne de freiner pour la première fois depuis quelques semaines le début de saison de son ex, car sept mois plus tard, elle se baladera avec sa cinquième couronne de championne d’Angleterre, la première du XXIe siècle conquise sans lui. Un divorce est comme ça, il faut accepter les sourires de ceux qu’on laisse derrière soi. Que retiendra-t-on de ce 21 septembre 2014 ? Des larmes. Des larmes devant plus de 45 000 personnes. Des larmes devant ses potes. Des larmes devant José Mourinho, devant John Terry, devant Didier Drogba, devant Petr Čech, devant ses anciens frères d’armes.

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Mais pourquoi pleure-t-il ? Pourquoi Frank Lampard vient-il de s’écrouler ? Tout simplement car il vient de planter celle avec qui il a partagé treize ans de vie, 211 buts, près de 650 matchs et quelques breloques. Oui, juste trois Premier League, une C1, une C3, quatre FA Cup et deux League Cup. Un monument peut pleurer, surtout lors de cet après-midi de septembre. Il ne restait que quelques minutes à jouer quand l’Etihad Stadium de Manchester a explosé au moment où Frank a donc baissé la tête. Comme ce sera souvent le cas lors de cette saison d’adieux à Manchester City, Manuel Pellegrini l’avait fait entrer pour bousculer son onze, le doper et l’exciter. Puis, une ouverture de Silva, une remise de Milner et ce corps qui se couche pour sécher Thibaut Courtois. Lampard vient d’égaliser contre Chelsea. Lampard vient de marquer contre Chelsea. Il lève la main, ne veut pas être heureux, balance ses yeux au ciel, poursuivra la journée dans les bras de Terry, forcément, et la bouclera devant l’ensemble du stade avec un pouce levé. C’est aussi ça, une légende.

Une page des années 2000

Voilà, c’est terminé. Un jour sans histoire de février, un repas comme les autres et une gifle envoyée au moment où on aurait dû s’y attendre, mais où l’on ne voulait pas encore s’y faire. Histoire d’en profiter encore un peu. Si l’on aurait aimé que tout s’arrête autrement, on ne peut pas lui en vouloir. En même temps, comment en vouloir à un héros du siècle qui avait décidé de terminer son histoire avec le foot aux côtés d’Andrea Pirlo et David Villa à New York avec Patrick Vieira sur le banc ? Oui, Frank Lampard en a fini avec le foot, à trente-huit ans. Il y a quelques semaines encore, il se disait pourtant encore prêt, encore frais lors d’un entretien croisé avec John Terry. Lampard était au rythme ce que Terry était aux couilles, mais ils étaient indissociables. « Je comprends qu’une fois passé la trentaine, on commence à penser les choses différemment. Mais ce que je voudrais dire, c’est que si je suis encore amené à jouer, je veux être parfait. Je ne suis pas quelqu’un de snob ou un profiteur, donc il faut aussi que je pense à ma famille, à moi et à toutes les personnes qui m’entourent » , expliquait-il alors. Le dernier souvenir de Frank sur un terrain de foot sera donc une branlée reçue au Yankee Stadium en demi-finale retour de Conférence contre Toronto (0-5). Cette nouvelle, Lampard l’a annoncée sur Facebook par ces mots : « Après vingt et un ans incroyables, j’ai décidé que c’était, pour moi, le bon moment de mettre un terme à ma carrière de footballeur professionnel. J’ai reçu de nombreuses offres pour continuer à jouer, en Angleterre ou ailleurs, mais à trente-huit ans, je pense qu’il est temps pour moi d’ouvrir un nouveau chapitre de ma vie. » Plus de deux mois après Steven Gerrard, une nouvelle page des années 2000 vient de s’arracher. Et la prochaine portera sans aucun doute la barbe d’Andrea Pirlo ou les restes de John Terry.

Ce que Gerrard n’avait pas

Ce départ, chacun y était prêt et nous ferait presque du bien tant il nous permet de se souvenir de tout ce que Lampard a donné pour le foot. Contrairement à Gerrard, le foot avait également décidé de lui sourire, au moins autant que la vie qui lui avait filé un QI extraordinaire dans le crâne. Ce qu’il y avait d’incroyable avec lui, c’est qu’il semblait n’être avant tout qu’un homme normal : un mec qui pleure un soir de Ligue des champions en mai 2008 après avoir inscrit un penalty décisif contre Liverpool à la suite du décès de sa mère, un mec qui rêvait de finir sa carrière dans un club qu’il avait rejoint en 2001 après s’être formé à West Ham avant de le quitter en 2014 dans la controverse – Lampard avait signé un engagement avec New York City, mais était en réalité sous contrat avec Manchester City, co-propriétaire de la franchise américaine – mais aussi un mec capable d’écrire des nouvelles pour enfants. Mais, au fond, Lampard n’était pas si normal, il était différent, incroyablement différent, fidèle et humble, et surtout capable d’inventer sa propre vision du temps. Sur un terrain, Frank dictait le jeu, le récitait à son rythme pour ses partenaires, tout en croquant tous les deuxièmes ballons, et restant à jamais un membre de la génération présentée comme dorée, mais finalement maudite du foot anglais. Un jour, Lampard aura sa statue, mais avant ça, il va apprendre, comme Gerrard. Un jour, Lampard sera certainement dans un costume d’entraîneur, lui aussi. Un jour, quand on en parlera à nos enfants, on pourra se plaire à dire qu’on a vu jouer Frank Lampard, comme on a vu jouer Paul Scholes ou Andrea Pirlo. Tu es un héros et tu le resteras. Pour l’éternité, même dans les larmes. Alors merci, putain, merci et à très vite, sans crampon, mais la tête haute.

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