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Frank de Boer et l’Inter, comme un malentendu …
Sa direction voulait le voir ramener une formation sevrée de succès depuis six ans au sommet de la Serie A. Lui voulait imposer progressivement son style offensif et flamboyant en Italie. Un fonds de jeu exigeant et novateur finalement incompatible avec les impératifs de résultats immédiats inhérents au football transalpin. En définitive, Frank de Boer et l'Inter n'ont jamais été faits pour s'entendre. Retour sur une idylle qui semblait promise à un échec inévitable.
Quatre-vingt-quatre jours. C’est le temps qui se sera écoulé entre la nomination officielle de Frank de Boer sur le banc de l’Inter et sa mise à pied mardi dernier. Dans l’histoire récente des Nerazzurri, on n’a pas vu d’intermède aussi court. Même Gian Piero Gasperini, qui s’était pourtant fait congédier au bout de cinq matchs officiels sur le banc du club lombard, avait bénéficié de plus de temps pour poser sa patte sur le jeu des Milanais, qu’il avait dirigé de juin à septembre 2011, soit quatre-vingt-dix jours.
L’héritage de Mancini
Si le séjour de Frank de Boer du côté de Milan a été aussi éphémère, c’est d’abord parce qu’il a dû immédiatement composer avec l’héritage laissé par son prédécesseur, Roberto Mancini, et son style de jeu diamétralement opposé au sien. De Boer s’était en effet construit une jolie réputation à la tête de l’Ajax, avec lequel il remportait quatre championnats consécutifs entre 2010 et 2014, en revenant aux fondamentaux d’un football total, y imposant selon ses propres mots un 4-3-3 mobile misant sur un style de jeu « dominateur et offensif » avec « deux ailiers et surtout onze joueurs pour presser » . A contrario, Mancini, lui, n’a jamais cherché à faire démentir sa réputation d’entraîneur défensif, et surtout pas lors de son second passage à l’Inter, où plus de la moitié des victoires obtenues en championnat par ses hommes la saison dernière ont été acquises sur le score d’un but à zéro. L’ex-idole de la Samp n’a jamais eu peur de bétonner et l’avait même affirmé haut et fort lorsqu’il entraînait Manchester City : « J’aime les victoires 1-0… Je préfère que nous soyons ennuyeux pendant deux ou trois matchs et gagner 1-0. Si vous regardez les équipes qui gagnent des titres, elles concèdent peu de buts. » De Boer, entraîneur au style flamboyant et porté vers l’attaque, se retrouve donc catapulté le 10 août, à moins de deux semaines du début de la Serie A, à la tête d’une équipe habituée à développer un jeu résolument défensif.
Laborieux changement de style
Le Néerlandais aura beau clamer dès son intronisation à Milan ses intentions de jeu ( « Ma philosophie, c’est de former un mélange de jeunes joueurs et d’éléments expérimentés pour développer une équipe qui joue selon le style que je prône. Je propose un jeu d’attaque mais cohérent » ), la transition de l’Inter de Mancini à la sienne, forcément complexe et fastidieuse à réaliser, ne s’est jamais réellement concrétisée. Après avoir expérimenté un audacieux 3-5-2 lors de son premier match en Serie A, qui aboutissait à une défaite humiliante face au Chievo, le Néerlandais en est revenu à un 4-2-3-1 plus sage, dans la veine de ce que proposait son prédécesseur, qui permettait notamment à l’Inter de s’offrir un succès de prestige face à la Juve à la mi-septembre. De Boer ne tentait finalement que très épisodiquement d’imposer son 4-3-3 fétiche, un système exigeant et visiblement encore trop complexe à assimiler pour les latéraux de l’Inter, Santon, D’Ambrosio ou Ansaldi – souvent perdus sur le terrain –, et où Éver Banega doit abandonner son rôle de meneur de jeu pour se reconvertir en relayeur, un poste où il peine alors à trouver ses attaquants. Un milieu à trois sur lequel De Boer ne décidera de s’appuyer définitivement qu’à la mi-octobre, lors des trois derniers matchs de l’Inter en Serie A, récoltant deux défaites pour une victoire. Et qu’il n’aura donc pas eu le temps de perfectionner, après une ultime contre-performance face à la Sampdoria le week-end-dernier : « Pour faire aller ce projet de l’avant, il y avait besoin de plus de temps » , plaidera par communiqué le Néerlandais après son licenciement.
Impatiente Inter…
Mais si De Boer avait indéniablement besoin de plus de temps, il a sans doute commis initialement une erreur de taille en choisissant d’exercer à l’Inter. Le football italien est globalement réputé pour son exigence immédiate envers ses entraîneurs, et l’Inter ne fait pas exception. Le club lombard s’est même fait une spécialité ces dernières années de licencier ses Misters à tour de bras, sans leur laisser le temps d’imposer leur griffe sur le collectif nerazzurro. Avant l’arrivée de De Boer, pas moins de sept techniciens se sont ainsi succédé sur le banc interista depuis 2010. Une impatience chronique, dont De Boer avait pourtant été mis au courant par certains de ses ex-collègues et compatriotes avant de rejoindre la Botte, comme le rapporte l’ex-directeur sportif de l’Ajax, David Endt : « J’ai contacté Frank et je l’ai mis en garde contre la folie qui entoure l’Inter. Malheureusement, son ambition était trop grande. Frank a été nommé pour reproduire ce qu’il avait fait à l’Ajax, mais il n’a même pas pu effectuer la pré-saison avec ses joueurs… Tout le monde sait que c’était une tâche impossible… Je suis sûr que s’ils virent leur prochain entraîneur, on dira que Frank n’a pas eu assez de temps pour travailler. »
… inflexible De Boer
Enfin, De Boer a dû se confronter à la difficulté de gérer un groupe d’une trentaine de joueurs quasiment tous internationaux, où jongler avec les ego et les statuts a semblé trop complexe pour un entraîneur qui ne s’était jusqu’ici frotté qu’au vestiaire plein d’acné de l’Ajax. En l’espace de trois petits mois, le Néerlandais a ainsi réussi à entrer en conflit avec Marcelo Brozović, auquel il est reproché un comportement « anti-professionnel » et qu’il a longtemps écarté du groupe pro, avant de se mettre à dos Geoffrey Kondogbia, en le sortant au bout de trente minutes de jeu contre Bologne le 25 septembre dernier. Un changement humiliant que De Boer a accompagné d’une sortie assassine en conférence de presse : « Quand un joueur ne veut pas comprendre, il ne peut pas rester sur le terrain. » De Boer n’a également jamais fait mystère du peu de considération qu’il portait à Gabriel Barbosa. L’arrivée de l’attaquant brésilien en Lombardie fin août pour trente millions d’euros, un investissement important consenti par sa direction, n’a jamais été désirée par le technicien hollandais, qui écartait ainsi le joueur du groupe pro pour la quasi-totalité des matchs de championnat. Et bien sûr, Le Néerlandais a aussi dû composer avec le conflit bouillant qui a opposé Mauro Icardi aux ultras de l’Inter, un antagonisme qui a contribué à tendre les relations déjà compliquées que le club entretient avec ses supporters depuis plusieurs années.
« L’équipe n’était pas adaptée à son style de football et l’effectif était décidément trop grand, analyse Ronald de Boer, monté au créneau pour défendre son frangin après son licenciement. Il y avait sept ou huit joueurs dont il ne voulait pas, mais l’Inter n’en a vendu que deux. Ce fut une expérience malheureuse. Nous avons pensé que l’Inter, qui est un grand club, pourrait être adaptée pour lui, mais c’était une erreur de jugement. » Une erreur qui vaut à l’Inter de végéter à la douzième place de la Serie A après onze journées disputées et de pointer à la dernière place de son groupe en Ligue Europa à l’heure d’affronter Souphampton ce jeudi. Un échec cuisant dont la responsabilité incombe finalement autant à l’impatience d’un club trop pressé de retrouver les lumières de la Serie A, qu’à celle d’un entraîneur désireux de s’imposer comme une référence de sa profession, dans une formation qui était tout sauf adaptée à ses méthodes. Sauf que, finalement, à vouloir aller trop vite, l’Inter et Frank de Boer n’ont fait que perdre un temps précieux.
Par Adrien Candau