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François Ruffin: « Dans le football, le moment idéal n’a jamais existé »

Propos receuillis par Adrien Candau
François Ruffin: «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Dans le football, le moment idéal n’a jamais existé<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

En 2014, François Ruffin et un de ses collègues du journal Fakir avaient publié Comment ils nous ont volé le football, un livre visant à vulgariser l’économie et l’histoire du sport roi. L’ouvrage ressort augmenté de nouveaux chapitres, avant le mondial qatari. Une occasion en or pour évoquer pêle-mêle avec le député LFI l’épineuse question du boycott, la gouvernance des instances du football et surtout la nécessité de réinjecter du politique dans une discipline sportive qui n’obéit plus qu’aux lois du marché.

François, quel est le point de départ de ce livre ?Il est très personnel. J’ai coécrit ce livre avec Antoine Dumini. C’était un très bon copain, un jeune prof d’économie dans notre coin, joueur de foot amateur aussi, et je savais qu’il allait très mal à l’époque. Une saloperie qui ne fait pas de cadeau. Avant qu’il ne parte, j’avais envie qu’on fasse une belle chose ensemble, et on s’est dit que deux trucs pouvaient nous réunir : le football et l’économie. Donc, on a essayé d’écrire un livre qui traite de l’économie du foot, qui la vulgarise. Évidemment, je ne me vis pas comme un spécialiste du football, j’ai surtout un regard sur le monde économique, sur ce qu’a engendré la mondialisation.

Quel est votre rapport au football ?J’ai regardé Téléfoot pendant des années, j’ai lu France Football, je me suis rêvé en Platini, et je joue encore en vétéran le dimanche. Pour moi, le foot est d’abord lié à l’amitié, à l’enfance, à la paternité aussi, parce que je regardais des matchs avec mon père et que c’était un moment de tendresse, de partage… D’ouverture sur le monde aussi. J’ai par exemple le souvenir de regarder des matchs joués en Ukraine. Les cabines étaient mal capitonnées, donc tu entendais le commentateur étranger qui parlait dans sa langue. Il y a deux langues que je trouvais belles : quand on allait jouer contre des Russes et contre les Italiens. Sinon, aujourd’hui, je ne rate pas un match des Bleus, évidemment. Je suis capable de regarder du curling s’il y a un maillot bleu ! En revanche, avec les années, je me suis désintéressé du foot de clubs et je sais pourquoi.

C’est l’hyper financiarisation du football moderne et les inégalités économiques entre les clubs qu’elle engendre qui vous dérangent ?Bien sûr, ça ôte l’incertitude, qui est quand même la joie du sport. Quand j’étais môme, dans les années 1980, je me rappelle des matchs où tu avais Laval en Coupe de l’UEFA, qui allait jouer contre le Dynamo Kiev… Le Steaua Bucarest, qui se retrouvait en finale contre l’AC Milan, en 1989… Le FC Malines, un tout petit club belge qui gagne la Coupe des coupes (en 1988, NDLR)… Deux évolutions ont éliminé cette glorieuse incertitude du sport qui, à mon sens, existe quand même toujours pour les équipes nationales. D’abord, on a remplacé les coupes à élimination directe par des championnats. L’exemple typique, c’est la Coupe des clubs champions qui, avant, se disputait en match aller/retour et maintenant se joue en partie via une phase de poules. Sur deux matchs, une petite équipe pouvait se forger de la résistance, se dire que la gniaque allait l’emporter, qu’ils allaient réussir un exploit. Ça donnait parfois des petit Poucet. Ça, ça a été éliminé par le capital. Comme ce dernier investit beaucoup dans les clubs, il veut avoir une espère d’assurance que les grosses écuries seront toujours au rendez-vous… Le deuxième facteur qui a joué contre le jeu, à mon sens, c’est évidemment l’arrêt Bosman. Après cette décision européenne, les grands clubs, les plus riches, achètent les meilleurs joueurs de tous les championnats. Résultat, il n’y a plus de clubs belges au meilleur niveau… alors que leur équipe nationale est brillante. Les sélections nationales ont conservé ce principe d’incertitude, l’argent joue un moindre rôle.

Les Mondiaux ont toujours été traversés par de la corruption, des contradictions. La Coupe du monde 1966, par exemple, était truquée. Pour des raisons géopolitiques, le foot appartenait aux pays du nord et notamment aux Anglais.

Vous parlez du foot de sélections comme d’une sorte de refuge. Avec l’organisation de Mondiaux dans des conditions controversées, comme c’est le cas au Qatar, est-ce que cet ultime bastion n’est pas en train de se désagréger ?Non, ce n’est pas un refuge. Je pense que, dans le football, le moment idéal n’a jamais existé. Les Mondiaux ont toujours été traversés par de la corruption, des contradictions. La Coupe du monde 1966, par exemple, était truquée. Pour des raisons géopolitiques, le foot appartenait aux pays du nord et notamment aux Anglais. Stanley Rous – un Britannique – était le président de la FIFA de l’époque. Les Européens étaient en train de perdre leurs colonies, et il n’était pas question qu’en plus, les pays du Sud l’emportent sur le terrain du football ! Il y a d’ailleurs une anecdote extraordinaire : un journaliste chilien, juste avant la Coupe, raconte comment le Mondial va se dérouler. À savoir, comment les pays sud-américains vont se faire briser par les Européens, de façon déloyale, avec un arbitrage à sens unique. Comme son journal refuse de le publier, il place son article chez un notaire, et il ressort son papier après la Coupe du monde. Parce qu’il avait tout anticipé ! Pelé qui se fait casser les chevilles, les arbitres qui ne disent rien, mais qui distribuent des cartons rouges aux Brésiliens, aux Chiliens, aux Argentins, qui sifflent des penaltys fictifs… Des arbitres allemands et anglais, exclusivement. Les Soviétiques bien sûr éliminés aussi, à la triche. Finalement, on se retrouve avec une finale Angleterre-Allemagne, un match lui-même volé par les Anglais, avec un but imaginaire. Franchement, ce football-là n’était pas le plus beau ! C’était encore plus pourri à l’époque. La différence, c’est qu’il était d’abord soumis à des forces géopolitiques, qui ont cédé le pas à des forces économiques et financières aujourd’hui.

C’est quand même la France de Nicolas Sarkozy qui a pesé pour que le Mondial se déroule au Qatar. Si on avait demandé aux Français leur avis sur la question, ils auraient voté à 95% contre ça, ils auraient jugé ce projet absurde.

Certains appellent à boycotter le visionnage du Mondial qatari. Qu’en pensez-vous ? Je ne suis pas très convaincu, c’est toujours la même chose : on veut culpabiliser les gens, les individus. On construit un système pourri, dont les gens ne sont responsables en rien. C’est quand même la France de Nicolas Sarkozy qui a pesé pour que le Mondial se déroule au Qatar. Si on avait demandé aux Français leur avis sur la question, ils auraient voté à 95% contre ça, ils auraient jugé ce projet absurde. Donc, on fabrique un système pourri, dont les gens ne sont pas vraiment responsables, et après, on leur demande de s’autopunir sur leurs loisirs ! De s’infliger des sanctions à eux-mêmes… C’est peu ou prou la même chose pour les soucis d’environnement : les gens seraient coupables d’utiliser leur voiture ? Mais qui a fabriqué cet urbanisme, qui a éloigné les emplois des habitats ? À problème systémique, il faut une réponse systémique.

Peut-on seulement lutter contre ce système, dans le cadre du champ footballistique ?Oui, si le politique veut s’en saisir. Le problème, c’est que le sport n’est souvent pas considéré comme une question politique, une question politique sérieuse. Alors que ça l’est, je pense.

C’est-à-dire ?Au-delà des milliards que ça brasse, au-delà des millions de pratiquants, comme on dit pour une religion, la question sportive touche à l’identité, l’identité du club, c’est-à-dire de la ville, l’identité nationale, par le maillot. Par exemple, on a instauré l’ « exception culturelle » (un ensemble de dispositions visant à faire de la culture une exception dans les traités internationaux, notamment auprès de l’Organisation mondiale du commerce, NDLR), et c’est tant mieux. Mais il nous faut d’autres exceptions à la loi du libre-échange, de la concurrence, de l’argent. En football, que produit la concurrence voulue par l’Union européenne ? C’est comme le Monopoly. Tu sais que ce jeu a été inventé par des associations caritatives, qui voulaient dénoncer ce que produit le capital ? À savoir, tout pour une poignée et rien pour tous les autres. C’est un Monopoly du football qu’on a créé, quelques grands clubs ramassent tout et les autres n’ont plus grand-chose.

Les instances du football ne veulent rien changer, les fans sont réduits à une forme d’impuissance. Mais les joueurs, alors ? Ils sont au cœur du système, mais aucun footballeur en activité n’a boycotté le Mondial qatari par exemple.Pour des joueurs, le Mondial, c’est la plus grande compétition, ils en rêvent depuis l’enfance, c’est une vie d’efforts pour participer à ça. Donc, comment leur demander de s’en priver ? Ensuite, ils sont évidemment bridés, la FFF est une autorité qui pèse sur eux. Enfin, un autre point me semble important : on fait sciemment grandir les footballeurs en dehors de la société. C’est encore plus prononcé de nos jours, avec tous les centres de formation et de préformation… Ils sont vraiment mis dans un univers à part dès leur adolescence, puis leur niveau de revenus les marginalise. Ils ne baignent plus dans le bain commun de la société, et ce, de plus en plus jeunes.

Disons que le footballeur n’est pas intellectuellement formé à avoir une vision critique du système qu’il intègre. Mais, à mon sens, c’est devenu vrai de tous les métiers.

Certains sociologues – qui ont pu observer au quotidien la formation des footballeurs – ont observé qu’on ne leur prodiguait presque aucune formation intellectuelle liée au football. On ne leur enseigne pas l’histoire du jeu, ce qu’a été la Démocratie corinthiane, le militantisme ouvrier des joueurs de Manchester United au début du XXe siècle, etc.
Oui, disons que le footballeur n’est pas intellectuellement formé à avoir une vision critique du système qu’il intègre. Mais, à mon sens, c’est devenu vrai de tous les métiers. Y compris du métier de journaliste : on te forme techniquement, mais pas à comment tu vas te situer dans la société. C’est la même chose pour un couvreur… Quand tu vas faire ta formation, personne ne va t’apprendre l’histoire du mouvement ouvrier. Le capital – désolé, mais j’y vais avec mes grilles de lecture –, il veut de la main-d’œuvre qui soit spécialisée au bon endroit et qui ne pose pas trop de questions. Donc, il a intérêt à avoir des journalistes qui font leur papier en temps et en heure. À former des joueurs de foot qui jouent en produisant du spectacle. Ou à avoir des couvreurs qui posent leur toiture efficacement. Sans que tout ce beau monde n’interroge sa place dans le système, en tant que citoyen… Alors oui, on ne cherche pas à former des footballeurs citoyens, comme on ne cherche pas à former des citoyens de manière générale.

Si même la volonté des joueurs est neutralisée, comment peut-on seulement réguler ce marché ? En établissant un régime d’exception du sport, dans la loi européenne ?Par exemple. On l’a fait dans d’autres secteurs, donc c’est possible ! Je me répète, mais sans l’exception culturelle, il n’y aurait probablement même plus de cinéma français. C’est au politique, à la démocratie, de choisir.

L’Allemagne a justement mis en place des mesures de protection pour ses clubs. Notamment le 50+1.Oui. Là encore, le foot est le reflet de la société. L’Allemagne est le pays qui a le mieux réussi à préserver son industrie – qui n’a pas été pillée par les financiers – en instaurant des formes de cogestion, un capitalisme national. Ils ont fait de même dans le football.

Pourtant, le 50+1 entre en contradiction avec la loi européenne sur la concurrence libre et non faussée, non ?Oui. Au fond, je pense que la commission européenne laisse faire parce qu’elle ne veut pas trop y regarder… Les Allemands ont assumé une forme de désobéissance, en l’occurrence. Si on veut sortir le football du strict champ du marché, ça se construit politiquement.

Quand Platini se retrouve avec Sarkozy pour un déjeuner avec des dirigeants du Qatar, qu’est-ce qu’il y a de plus politique que ce moment-là ?

Les instances de gouvernance du football, comme la FIFA et l’UEFA, se revendiquent comme parfaitement apolitiques.« Je ne fais pas de politique », ça veut dire je suis de droite ! Ça veut dire : je vais dans le sens des pouvoirs et de l’argent. Par exemple, quand Platini se retrouve avec Sarkozy pour une déjeuner avec des dirigeants du Qatar, qu’est-ce qu’il y a de plus politique que ce moment-là ?

Et l’épisode de la Superligue, comment vous l’avez vécu ?Là encore, j’aimerais bien entendre le politique concernant la Superligue. Qu’on établisse ce qu’on veut précisément pour le sport européen. À l’échelle du continent, on parle de centaines de millions de personnes qui regardent leur club, qui se sentent dépossédées. J’aimerais bien entendre Von der Leyen (la présidente de la Commission européenne, NDLR) nous parler de football, mais on fait comme si ce n’était pas sérieux. Pourtant, je pense que le foot est un phénomène sérieux, en matière d’identité, en raison, aussi, de la masse financière qu’il trimbale. Les financiers du football ne devraient pas avoir seuls la parole.

Justement, les fans sont intervenus et ont participé à ce que ce projet de Superligue échoue. C’est un peu rassurant, non ?C’est sûr. Le peuple du football se lève parfois, il peut avoir assez de force pour faire tomber des projets, des projets pas encore mûrs dans les esprits. Mais le peuple du football n’a pas non plus la force pour réorienter le monde du ballon rond. C’est une force de résistance, à l’occasion, pas d’espérance, pas de proposition.

Il y a quatre ans, vous nous expliquiez que vous aviez refusé d’écrire un article dans Le Monde diplomatique. Il visait à critiquer le vote de Michel Platini en faveur du Qatar, dans le cadre de l’attribution du Mondial 2022 à l’émirat. Vous pourriez le faire aujourd’hui ?
Quand j’aime une fois, j’aime pour toujours ! Platini, j’avais son poster au-dessus de mon lit, celui du l’équipe de France 1984. Franchement, il y a du monde pour le critiquer à ma place ! Je n’ai pas envie de me mettre à cracher sur les gens qui m’ont fait vibrer. Du coup, le dernier chapitre, sur le Qatar, c’est Cyril Pocréaux, le troisième co-auteur du livre, qui l’a écrit. Platini, Tigana, Giresse, Rocheteau, Battiston, ils ont illuminé mon enfance. Je leur dois de formidables joies et d’immenses tristesses. Je ne pourrai jamais tout à fait me détacher de ça.

Dans cet article :
Paul Pog’back
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