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François Rodrigues : « On doit évoluer avec les jeunes »
Après avoir travaillé notamment dix ans au Havre Athletic Club, puis trois au Stade Malherbe Caen, où il a vu passer Lassana Diarra, Paul Pogba, Raphaël Guerreiro... François Rodrigues a intégré la formation du PSG en 2013. Cette saison, le coach entraîne la CFA et prend en charge les U19 en Youth League. Interview titi parisien.
Mercredi dernier, le PSG a aligné cinq joueurs formés au club face à Metz, en Coupe de la Ligue (2-0). Ça représente quoi, pour vous, qui œuvrez à la formation parisienne depuis trois ans et demi ?Tu soulignes ce match-là, et il ne faut pas oublier non plus que le PSG avait aligné cinq joueurs en Tunisie (face au Club africain, ndlr). Pour nous, c’est beaucoup plus enrichissant et valorisant. Quand on a des garçons qu’on connaît depuis quatre, cinq ans, qui sont capables de s’exprimer en équipe première, on a le sentiment du boulot accompli. C’est une grande fierté.
Vous avez déclaré dans un entretien pour le site Les Titis du PSG : « Respectons notre projet de jeu, c’est primordial, car c’est devenu notre ADN ! » Quel est le projet de jeu mis en place au PSG ? Il s’agit de baser notre jeu sur la possession. Ce qu’on essayait déjà de mettre en place depuis quelque temps, mais le club a voulu accentuer ce projet avec l’arrivée de Carles Romagosas (le directeur de la formation parisienne, recruté à l’été 2015, ndlr) – qui a eu un cursus au FC Barcelone – avec son adjoint David Hernandez. Le projet de jeu est basé essentiellement sur les trois équipes de la formation : U17, U19 et CFA. Aujourd’hui, sans changer fondamentalement les choses, on veut avoir le ballon, maîtriser le match. On accentue sur un jeu de passes. On essaye modestement de retrouver les principes de jeu proposés par l’équipe une.
Quels sont les échanges entre le staff professionnel et le secteur de la formation ?Le staff de l’équipe première rencontre régulièrement Carles Romagosas. À titre personnel, je suis aussi amené à aller voir des entraînements de l’équipe pro, échanger avec le staff. Papus Camara fait le lien CFA/pro, pro/CFA. Il y a des échanges entre les deux staffs ou avec la direction : sur quoi on doit appuyer, ce qu’ils souhaiteraient, le profil des joueurs… Des échanges sont créés pour qu’on puisse avoir un prototype du joueur qui sera utilisé demain, après demain en équipe première.
Quelle est votre vision du métier de formateur ?Le métier évolue en permanence. Je crois que la qualité première d’un formateur, c’est sa capacité d’adaptation. On doit évoluer avec les jeunes. Cette génération a tendance a être très pressée, il faut savoir les mesurer, les accompagner, les canaliser et leur faire comprendre qu’ils ont la chance de faire un métier exceptionnel, et que parfois, l’impatience peut-être source d’échec pour eux. Rester au contact des jeunes, c’est passionnant.
Quand vous êtes arrivé au PSG, vous avez dû modifier votre management… Qu’est-ce qui n’a pas marché et quelles ont été les solutions mises en place ?Disons que je venais de deux clubs de province, Le Havre et Caen, où le public est complètement différent.
On a beaucoup de joueurs locaux, qui s’identifient plus à leur club, qui ont un niveau social disons très confortable, et aujourd’hui à Paris, on a des garçons qui sont durs, durs en matière de respect des consignes. Il a fallu beaucoup plus durcir le ton qu’ailleurs. C’est paradoxal parce qu’on a beaucoup plus de qualités à Paris, mais je pense que si j’avais gardé le même management que celui que j’avais à Caen ou au Havre, je me serais fait bouffer. C’est être très exigeant sur certains incontournables : la ponctualité – c’est peut-être idiot, mais il fallait surtout régler ça –, le respect. Toutes ces choses qui ont peut-être été bafouées au niveau de l’éducation. Il a fallu leur donner des valeurs du quotidiens qui vous paraissent basiques. Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins de difficultés parce que j’ai eu la chance d’évoluer avec la promotion avec laquelle je suis arrivé. Ils me connaissent, je les connais.
Vous avez suivi la génération 98… La génération 97 et 98.
Comment a évolué cette relation avec vos joueurs ? Comme je te l’ai dit, ça a été difficile avec certains cas en particulier, parce que ce sont des garçons avec du tempérament. Ils évoluent plutôt bien. Concernant les individualités, certains 98 sont amenés à jouer (Jonathan Ikoné), certains 97 aussi (Jean-Kévin Augustin, Christopher Nkunku). Ils ont gardé une certaine humilité dans le travail. Il y a une promotion qui est par exemple championne de France, vice-championne d’Europe. Je pense que dans les prochaines années, on en verra de plus en plus toucher l’élite. Chez nous, je l’espère. Mais si ce n’est pas chez nous, ça sera dans d’autres clubs, j’en suis persuadé.
La saison dernière, vous avez mené les U19 en finale de Youth League (défaite 2-1 en finale contre Chelsea). Qu’est-ce que vous en retenez humainement et sportivement ? Humainement, c’est une expérience exceptionnelle à tous les niveaux. Cette compétition nous ouvre de nouveaux horizons, dans la découverte d’autres pays, la découverte d’un autre langage footballistique. Tout ça est très riche. Le parcours de l’an passé a aussi montré que la formation parisienne se portait bien, très bien. Nous avons l’ambition cette année de rééditer le parcours et de faire mieux en remportant la compétition.
En Ligue des champions, si l’on compare les styles entre les équipes des quatre coins du continent, c’est très homogène. Est-ce qu’en Youth League, vous voyez des vraies différences, des styles propres ?Ça dépend, on a rencontré Arsenal, on a fait 2-2 contre eux. Dans cette équipe d’Arsenal, on s’aperçoit qu’il y a trois Français, deux Espagnols, un Portugais…
Le football anglais peut se permettre de prendre des talents extérieurs. Nous, dans le football français, on s’appuie essentiellement sur des jeunes français. Les vrais projets de jeu, ils sont essentiellement basés en Espagne. Nous avons eu la chance de rencontrer le Barça il y a trois ans, on avait vraiment senti le projet de jeu. Sur les principes, ce sont les mêmes que ceux de l’équipe première. Le Real Madrid, l’an passé, nous a aussi montré un vrai projet de jeu : les ailiers excentrés avec de la percussion sur les côtés. Après, il y a moins de sensibilités sur les projets. Sinon, j’ai trouvé que le football suisse était en pleine progression à travers le parcours de Bâle. Je trouve qu’ils sont aussi en train de faire des progrès sur leur formation.
Et en France ?Je pense que Lyon travaille très bien. Globalement, en France, je trouve que ça travaille très bien. Les joueurs internationaux les plus utilisés en Ligue des champions sont les Français derrière les Brésiliens. Ça démontre bien la qualité qui est mise en place dans les clubs, parce qu’il n’y a pas que Paris. Il y a Monaco, on le voit avec le petit Mbappé.
Cette saison, vous entraînez la CFA. Comment concilier le fait de jouer un championnat à fond, et en même temps, d’être au service de l’équipe professionnelle ?C’est très facile parce que tu as utilisé un terme que je n’utilise jamais… Je ne joue pas le championnat à fond. Aujourd’hui, on est complètement au service de l’équipe première. Le coach, le staff font ce qu’ils veulent avec l’équipe réserve. Ce matin (l’entretien s’est déroulé jeudi dernier, ndlr), il y a trois joueurs qui sont partis avec les pros, ils ne s’entraîneront pas avec moi. Ce qu’on veut, c’est ne pas descendre et donner du temps de jeu à ceux qui stagnent un peu en U19. C’est un niveau intermédiaire entre les pros et les U19. Certains joueurs comme Antoine Bernede (milieu, dix-sept ans) par exemple, ont montré en U19 qu’ils avaient largement le niveau pour jouer, maintenant il faut leur donner du temps de jeu dans une catégorie supérieure. Je peux te dire que le championnat CFA n’est pas facile du tout et qu’Antoine ou Lorenzo Callegari (milieu, dix-huit ans), ils sont en train de s’aguerrir dans un championnat beaucoup plus exigeant dans l’impact.
Vous avez passé dix ans au HAC et quatre ans au Stade Malherbe Caen, vous avez gardé des liens avec Paul Pogba, Lassana Diarra… J’ai la chance d’avoir traversé leur carrière. C’est de l’humain après. Je les ai régulièrement au téléphone, encore dernièrement pour se souhaiter les meilleurs vœux. Lassana, Paul, Charles N’Zogbia, le petit Guerreiro qui est à Dortmund, M’Baye Niang… Mais j’ai des relations aussi avec les autres, qui n’ont pas réussi.
Vous connaissez bien Christopher Nkunku qui intègre peu peu le groupe pro depuis un an, est-ce qu’il vous demande des conseils ?Oui, c’est un garçon avec lequel je suis sûr d’avoir encore des contacts dans dix ans, parce que ça fait quatre ans qu’on se côtoie. Quand je le vois jouer, je suis à la fois le supporter, mais aussi l’entraîneur. Et c’est lui qui me demande. S’il vient vers moi, on en discute. Là, en l’occurrence, il m’a demandé quel était le bon choix pour être prêté, pas prêté, je ne vous dirais pas ce que je lui ai dit, mais en tout cas, on a des échanges. Et puis ça fait plaisir, il veut avoir mon avis.
Pour finir, en tant que joueur de jeux vidéo, vous vous mesurez à vos joueurs ? Je crois qu’il y a un tournoi organisé au sein de la CFA, je vais m’inscrire, mais je sais que je n’ai aucune chance. Mais ils sont tellement contents…
Pourquoi vous n’avez aucune chance ? Quand je vois que mon fils de sept ans m’accroche, je ne vois pas comment je peux rivaliser avec ces garçons qui font des dribbles… Mais ça fait partie du truc. Je m’inscris parce que je veux aussi aller dans leur monde et qu’ils ne soient pas toujours dans une relation d’exigence et de réprimande avec l’entraîneur. Je veux aussi me mettre à leur niveau pour qu’ils puissent me charrier.
Par Florian Lefèvre, à St-Germain-en-Laye