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Franco Battiato, mort d’un romantique de la chanson et du ballon
Véritable star de l’autre côté des Alpes, Franco Battiato était un génie musical capable d’exceller tant dans le domaine de l’expérimental que celui de la pop grand public. Décédé des suites d’une longue maladie à 76 ans ce mardi, chez lui en Sicile, ce touche-à-tout portait (discrètement) le football dans son cœur et a même revêtu une fois le maillot de la sélection nationale. Hommage.
Ce samedi, au moment où débutera la finale du 65e concours Eurovision de la chanson, nos voisins transalpins auront forcément un petit pincement au cœur en repensant à celui qui les avait représentés en 1984 : Franco Battiato. Cette année-là, le natif de Riposto (Sicile) termine à la cinquième place avec I treni di Tozeur (Les trains de Tozeur en VF). Un morceau interprété en duo avec la chanteuse Alice, vainqueure du Festival de Sanremo trois ans plus tôt et qui, tant par sa structure musicale que ses paroles, se démarque du magma de pop sucrée, caractéristique de l’événement.
Depuis la sortie de son premier 45 tours, offert en supplément d’un magazine de mots-croisés (un passe-temps dont il était friand) dans les années 1960, Battiato est passé par toutes les étapes de la création musicale. Sa carrière, longue de cinq décennies, démarre par des compositions expérimentales (il compte même parmi les premiers musiciens acquéreurs du synthétiseur VCS 3, que les fans de Pink Floyd connaissent par coeur), avant d’opérer un virage à 180 degrés à la fin des années 1970, comme il le racontait au Monde en 2013 : « J’avais besoin d’argent pour payer mon loyer, mes appareils… J’ai décidé d’écrire des hits, sans me trahir. » Le pari de la synthpop s’avère gagnant : son album La Voce Del Padrone (La voix du maître) se vend à plus d’un million d’exemplaires, une première pour un disque italien. Ses concerts se jouent tous à guichets fermés et Battiato peut désormais laisser libre cours à sa créativité : opéra lyrique, rock progressif, électro, new wave, mais aussi, théâtre, peinture et scénarios de films, rien ne lui échappe. Son héritage musical comprend une trentaine d’albums studio et une montagne de tubes intergénérationnels, dont Centro Di Gravità Permanente, Up Patriot to Arms, Voglio Vederti Danzare, Povera Patria, L’Era Del Cinghiale Bianco et La Stagione Dell’amore ne sont que quelques exemples. Sans oublier l’immense Cuccurucucù, qui accompagna la sélection nationale italienne dans son triomphe au Mondial 1982, comme le rappelait Marco Tardelli dans un tweet en hommage au Maestro.
Mondiali 82.Prima di ogni partita, per caricarci, ascoltavamo sempre una canzone, solo quella, a tutto volume:Cuccurucucù Paloma.Grazie di tutto Maestro.#Battiato pic.twitter.com/iAwqJzoXxy
— Marco Tardelli (@MarcoTardelli82) May 18, 2021
Pas les croisés, tu connais
Dit autrement, Battiato a toujours eu du nez pour flairer la bonne direction à prendre. Et ce nez, qu’il avait proéminent, vient de son autre amour : le football. Comme tous les gamins de la Botte, Franco était un amoureux du ballon rond et ni sa mamma, ni sa nonna, qui l’ont élevé pendant son enfance, n’ont rechigné à l’inscrire dans le club local. D’abord milieu défensif, puis libero (il prétend avoir été l’un des premiers à occuper ce poste en Sicile), c’est à l’âge de 12 ans qu’un événement survenu sur le rectangle vert va changer son physique à tout jamais : « Un jour, au cours d’un match, je me suis cogné contre le poteau. Je suis tombé dans les pommes et quand j’ai repris mes esprits, mon nez avait doublé de volume, racontait-il à la Gazzetta Dello Sport en 1997. Mon frère m’a suggéré de rentrer à la maison et d’aller me coucher sans me faire voir. Le lendemain matin, ma grand-mère est venue me réveiller et en voyant mon visage, elle s’est mise à hurler. Ma mère s’est inquiétée, mais ce n’est qu’au bout d’une semaine qu’elle a décidé de m’emmener chez le médecin, qui a déclaré : « Si je l’avais vu tout de suite, j’aurais pu arranger la fracture. Maintenant, je ne peux plus rien faire ». »
Malgré son pif reconnaissable entre mille, Battiato continue de taper le cuir avec Riposto, mais l’aventure s’arrête prématurément à dix-sept ans, non pas à cause d’une blessure aux croisés, mais parce que l’entreprise qui finançait le club a retiré ses billes juste après l’accession en Promotion, l’antichambre de la Serie D. Rageant, mais par la suite, la région sera bien représentée par l’un de ses anciens adversaires époque sixties : un certain Pietro Anastasi qui, pour l’anecdote, a manqué le Mondial 70 à cause d’un coup reçu dans le bas ventre par l’un des masseurs de la Nazionale qu’il s’amusait à charrier. Franco, lui, a roulé sa bosse dans la musique et c’est à ce titre, le 6 juin 1985, qu’il est appelé à San Siro pour revêtir le maillot de l’équipe nationale des chanteurs, à l’occasion d’un match amical contre la sélection féminine italienne. Une rencontre qui sera sa dernière apparition sur un terrain et qu’il n’oubliera pas de sitôt, comme il l’évoquait dans une autre entretien, rapporté par le magazine Undici : « J’ai frôlé la crise cardiaque en empêchant une attaquante blonde de tirer. Au bout de dix minutes, j’ai commencé à voir du noir et je suis rentré immédiatement au vestiaire. Cela faisait vingt-deux ans que je ne n’avais pas joué ! »
Viva il calcio romantico!
Un souvenir qui prête à sourire mais qui prouve bien que Franco Battiato ne s’est pas trompé dans son choix de carrière. Pourtant, dans sa jeunesse, il aurait été « un défenseur d’intuition, d’anticipation ; je ne touchais jamais l’adversaire. Un Facchetti (Giacinto Facchetti, l’un des plus grands défenseurs de l’histoire du foot italien, N.D.L.R.). A tel point que les supporters criaient aux attaquants adverses : « Posa a pipa ! », ce qui veut dire d’une certaine manière que c’était mieux pour eux de laisser le ballon. » Loin d’être un chambreur, adepte du jouer juste, Battiato regrettait, toujours dans la Gazzetta, les dérives mercantiles du sport-roi et « la compétition [qui] a gâché la pureté du sport. […] Avant, il y avait plus de gentillesse sur le terrain : quand un adversaire commettait une faute, il s’excusait immédiatement auprès de l’adversaire. » Pas étonnant donc, quand on lui demandait quelle était son équipe préférée, de l’entendre répondre « des clubs sans champions, mais avec une âme. Comme Vicenza ou l’Atalanta. » Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et la Dea a prouvé qu’il était possible de cumuler les deux. De là où il est maintenant, Franco Battiato appréciera sûrement.
Par Julien Duez
Photos : Page Facebook Franco Battiato Archive