- Ligue 1
- J26
- Marseille-Rennes
Franck Le Gall : « La relation de confiance avec l’entraîneur est très importante »
Après huit saisons passées dans le staff médical du LOSC, le docteur Franck Le Gall est allé retrouver Rudi Garcia du côté de l’OM cet hiver. Celui qui est aussi médecin de l’équipe de France depuis 2012 évoque son rôle en sélection et au sein d’un club professionnel.
Bonjour Franck ! Comment se passe votre adaptation à l’Olympique de Marseille ?Ça se passe très bien. J’ai déjà l’impression d’être au club depuis très longtemps. Je connaissais déjà Rudi et le staff de longue date, donc ça a facilité les choses. J’ai été très bien accueilli, tous les gens dans l’environnement du club sont très agréables.
Pourquoi avoir choisi de rejoindre le staff marseillais ?Ça s’est surtout fait grâce ou à cause de Rudi. C’est lui qui m’a proposé de venir. J’ai pesé le pour et le contre entre Lille et Marseille, j’arrivais un petit peu en bout de course à Lille, ça faisait huit ans et demi que j’y étais, donc j’avais envie d’aller découvrir quelque chose d’autre. Un nouveau projet se mettait en place au LOSC, mais la possibilité de retravailler avec Rudi et ses adjoints a pesé lourd dans la balance.
Comment cette décision a-t-elle été accueillie par le LOSC ?Le président Seydoux m’a laissé entendre qu’il voulait que je reste, mais lorsque les nouveaux propriétaires sont arrivés, ils n’ont pas vraiment insisté pour me retenir. Donc je pense qu’ils avaient la volonté de changer les choses et de repartir avec des nouvelles personnes.
Vous avez passé huit saisons dans le staff lillois, quels souvenirs garderez-vous de votre passage au LOSC ?Que des bons souvenirs. De 2008 à 2012, on a l’impression de progresser chaque année avec le doublé coupe-championnat en 2011 en point d’orgue. Malheureusement, après, on voyait partir chaque année des joueurs importants, donc on savait que ça allait être plus compliqué. C’était ma première expérience en tant que médecin dans un club pro, je découvrais ce milieu, je n’en garde que du positif. Les installations du club sont magnifiques, la ville est très agréable, mais j’avais en tête d’aller voir autre chose et lorsque l’occasion s’est présentée avec la proposition de l’OM, je l’ai saisie.
Vous êtes donc arrivés à l’OM début janvier. Expliquez-nous en quoi consiste le rôle de médecin au sein d’un club professionnel ?On est tous les jours sur le pont, du lundi au dimanche. Il faut être présent à toutes les séances d’entraînement, être là lors des demi-journées où il n’y a pas entraînement pour s’occuper des joueurs blessés. On fait aussi tous les déplacements avec l’équipe. C’est avant tout une question de disponibilité, d’expérience du terrain – on ne travaille pas uniquement dans son bureau – et un peu de compétence aussi sans doute (rires). On passe beaucoup de temps auprès des joueurs en salle de rééducation et en réadaptation sur le terrain.
Quand et comment intervenez-vous auprès des joueurs ? Est-ce que ce sont eux qui vous sollicitent ?On voit les joueurs tous les jours avant l’entraînement. On doit savoir s’il y a un problème à régler ou non et comment le régler. Si c’est le cas, il faut que ça soit vu rapidement pour savoir si le joueur peut s’entraîner ou pas. S’il ne peut pas, on l’examine, il passe des examens éventuellement, on prévient le coach, on intervient auprès du staff technique pour expliquer ce qu’il y a à faire et on met en place le traitement.
Comment la répartition du travail se fait entre les kinés, le médecin, les préparateurs physiques ?Ce n’est pas toujours évident à organiser, puisque le préparateur physique est plus proche du staff technique que du staff médical. Quand on est sur des phases de réadaptation, il faut bien s’articuler. Je considère que c’est au staff médical de gérer la réadaptation jusqu’au bout, jusqu’au retour du joueur dans le groupe. Mais il faut aussi être en phase avec le préparateur physique et le staff technique pour que nos objectifs soient les mêmes. Il faut arriver à s’entendre et apprendre à se coordonner, c’est essentiel.
Vous êtes également le médecin de l’équipe de France depuis 2012. Comment s’est déroulée votre arrivée chez les Bleus ?Didier (Deschamps) et Guy (Stéphan) m’ont proposé de venir avec eux. En équipe de France, quand il y a changement de staff technique, il y a aussi souvent changement de staff médical et je sais que le jour où Didier arrêtera, j’arrêterai aussi. Je connaissais très bien Guy pour avoir travaillé avec lui à la FFF de 1998 à 2003. Et j’avais croisé Didier comme joueur à Clairefontaine, puis surtout plus tard quand il était entraîneur de l’OM.
Quelles sont les principales différences entre ce poste-là et celui de médecin d’un club ?Chez les Bleus, ça dure le temps d’un rassemblement très court pour un match ou deux – hors périodes de Coupe du monde ou Euro –, alors qu’en club, vous avez une saison complète à faire. C’est-à-dire qu’en sélection, il ne faut pas se tromper le premier jour du rassemblement sur les joueurs qui peuvent rester et ceux qui doivent repartir en club pour cause de blessure et donc être remplacés. Comme en club, on les voit dès leur arrivée à Clairefontaine, on fait le point sur leur état de forme, un examen clinique. En général, quand ils arrivent le lundi, on sait que l’on a deux ou trois joueurs à voir en priorité, mais les vingt-trois sont vus. L’objectif, c’est que le mardi, tout le monde puisse s’entraîner.
Est-ce que les médecins de clubs vous fournissent les dossiers médicaux, documents et analyses sur les internationaux ?On est tous liés par le secret médical, mais oui, on échange assez régulièrement. Ça peut nous arriver de partager des dossiers, mais ça se fait par le biais du joueur. Si le joueur se blesse en club, c’est lui qui est garant de sa santé, de son problème médical et c’est à lui de nous en faire part. Mais aujourd’hui, si un international se blesse, on est très vite informés, quelques fois par les médias avant que ce ne soit par le joueur ou le médecin du club, ce qui va bien entendu à l’encontre de la notion de secret médical.
Vous avez participé à la Coupe du monde 2014 et à l’Euro 2016 dans le staff médical des Bleus. Comment est-ce qu’on gère ce genre de compétition ?On ne voit pas le temps passer pendant les trois premières semaines de préparation. C’est à ce moment-là qu’il y a le plus de boulot puisque les joueurs viennent de terminer leur saison et reviennent avec des problèmes divers et variés. Ils doivent avoir récupéré de leur saison et être prêts physiquement à démarrer la compétition. On ne peut pas se permettre de partir avec un joueur qui va manquer les dix, quinze premiers jours de la compétition. Une fois que la compétition est lancée, l’approche médicale est différente puisqu’on ne peut plus remplacer les joueurs blessés. Ça passe alors plus par des soins, par de la gestion.
On se souvient des forfaits de Ribéry, Grenier avant le Mondial 2014 ou de Diarra, Varane, Mathieu avant l’Euro. Comment ces décisions se prennent-elles ?La décision est généralement prise de manière collégiale. Nous, on fait le maximum au niveau médical. Mais si l’évolution doit être négative, ils comprennent ou alors ils nous expliquent que toutes les conditions ne sont pas réunies pour qu’ils participent à la compétition dans de bonnes conditions.
Le 4 septembre 2015, Nabil Fekir se blesse gravement lors d’un match avec l’équipe de France à Lisbonne. Comment les choses se passent-elles dans ces cas-là ?La blessure de Nabil, c’est un bon exemple d’une prise en charge adaptée. Il s’est blessé en tout début de match sur un appui, il a pensé pouvoir continuer jusqu’à ce que son genou lâche sur un nouvel appui trois-quatre minutes plus tard. Donc il est sorti, je suis allé dans le vestiaire avec lui pour réaliser l’examen clinique. Ça allait dans le sens d’une rupture du ligament croisé antérieur. On a pu avoir une IRM tout de suite, à la mi-temps du match et il est revenu avec nous à la fin du match avec l’IRM qui confirmait le premier diagnostic. Je préviens Emmanuel Orhant, le médecin de l’OL, le soir même. Le lendemain matin, il rentrait avec le groupe à Bordeaux, avant de regagner Lyon et d’être pris en charge au club dans l’après-midi. C’est un cas de figure où ça s’était bien articulé puisqu’on avait eu le temps de faire les choses correctement.
Qu’est-ce que vous examinez lorsque vous entrez sur le terrain à la suite de la blessure d’un joueur ? Quelles questions posez-vous au joueur ?L’arbitre nous fait comprendre qu’il faut faire très vite. Huit fois sur dix il n’y a pas grand-chose et le joueur va repartir donc notre intervention est relativement courte. On fait un interrogatoire rapide : « Qu’est-ce que t’as ressenti ? Est-ce qu’il y a eu un choc ou pas ? Est-ce que ça s’est tordu ? Est-ce que c’est sur l’accélération ? Sur l’appui ? Est-ce que t’as ressenti un coup de poignard dans la cuisse ? » On ne peut pas faire un examen clinique très complet sur le terrain. On fait les signes habituels de terrain pour se faire comprendre du staff et dire si le joueur doit arrêter le match ou non. Quand c’est musculaire, le joueur vous le dit tout de suite. En général, ils savent s’ils peuvent repartir sur le terrain ou non.
Lorsqu’un joueur doit passer des examens complémentaires, comment vous organisez-vous avec votre réseau de spécialistes ?L’approche est légèrement différente entre la sélection et le club. En club, comme on va suivre le joueur pendant toute sa rééducation, on peut mettre les examens complémentaires quand on veut, au début pour une aide au diagnostic et après pour le suivi. Tandis qu’avec les internationaux, il faut renvoyer les joueurs en club avec un diagnostic le plus précis possible et donc une prise en charge la plus précise possible. Pas question de dire « je pense que … vous verrez en fonction de l’IRM … » Donc je fais en sorte d’avoir les examens dont j’ai besoin avant le départ du joueur, échographie ou IRM par exemple. Le réseau de spécialistes, c’est important en club évidemment. Sur Marseille comme sur Lille, ces réseaux existent bien sûr, donc je sais où envoyer les joueurs pour un bilan radio, avoir un avis orthopédique, en ophtalmo ou autre.
Dans une interview pour La Voix du Nord en décembre 2016, vous affirmiez que la « relation avec l’entraîneur était primordiale » . Comment travaillez-vous en collaboration avec Rudi Garcia ? Pour un joueur, ce sera plus facile d’évoluer s’il a une relation de confiance avec l’entraîneur. Pour un médecin, c’est la même chose. Les entraîneurs ne sont pas forcément nos amis, mais c’est toujours bien d’avoir cette relation de confiance avec l’entraîneur. C’est plus intéressant de travailler avec quelqu’un qui n’est pas toujours en train de mettre en cause votre diagnostic, votre prise en charge, les examens que vous demandez, etc. si vous avez en face de vous quelqu’un de caractériel, de versatile, quelqu’un qui n’a pas d’écoute médicale, qui n’a pas de message de prévention, qui n’a qu’une envie, c’est que le joueur joue, c’est inintéressant, et c’est la meilleure façon de faire des conneries. Avec les entraîneurs, on a besoin d’échanger, eux avec leur approche de technicien, nous avec notre approche médicale, pour éventuellement modifier certaines choses à la séance. Donc oui, cette relation de confiance avec l’entraîneur, elle est très importante.
Par rapport aux dates de reprise justement, comment ça s’établit ?Quand un joueur se blesse, cela peut être difficile d’établir la durée de son indisponibilité dans les minutes qui suivent l’examen clinique. C’est déjà plus facile le lendemain sur certaines pathologies (entorse, lésion musculaire) selon que la réaction inflammatoire est importante ou pas, éventuellement aidé d’un examen complémentaire type radio, échographie ou IRM, ou d’un avis spécialisé. Plus vous vous rapprochez de la fin de la blessure, plus la date de reprise est précise bien sûr.
Comment fait-on pour calmer un joueur qui souhaite revenir plus tôt que prévu ?On s’aide d’éléments les plus objectifs possibles. On recherche une réaction inflammatoire, un gonflement, un œdème. Si vous avez un genou qui est gonflé et douloureux, c’est un argument qui montre que cela ne va pas forcément dans le bon sens. Mais ce qu’on peut tolérer comme douleurs pour une articulation, on ne peut pas l’accepter pour un muscle. En revanche, il vaut mieux avoir à freiner un joueur qui a envie, qui se donne les moyens de revenir rapidement, plutôt que d’être constamment derrière à le pousser, à lui dire de travailler et d’aller sur le terrain, ça c’est insupportable.
Cet hiver, vous remplacez le docteur Christophe Baudot à l’OM, qui est aujourd’hui pressenti pour succéder à Emmanuel Orhant, en partance pour Clairefontaine, du côté de l’OL. Est-ce qu’on n’assisterait pas aux prémices d’un mercato des médecins aujourd’hui ?Oh non, je ne pense pas qu’on puisse dire cela encore. (Rires) Non, juste une petite loi des séries. Christophe Baudot a dit qu’il voulait quitter Marseille, donc Rudi a pensé à moi pour le remplacer. Quant à Emmanuel Orhant, il prend un poste que la Fédération lui avait proposé il y a plusieurs mois. C’est plus un jeu de chaises musicales qu’autre chose.
Propos recueillis par Maxime Feuillet