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Quand Franck Haise et Régis Le Bris partageaient le même vestiaire

Par Maxime Brigand
10 minutes
Quand Franck Haise et Régis Le Bris partageaient le même vestiaire

Plus de cinq mois après leur première confrontation, Franck Haise et Régis Le Bris se retrouvent jeudi soir, en Bretagne, pour un huitième de finale de Coupe de France entre Lorient et Lens. L’occasion était belle d’écouter ceux qui ont vu en premier les deux hommes évoluer dans le même vestiaire. C’était à Laval, à la fin des années 1990.

La dernière fois que ces deux-là se sont croisés, le premier a collé une gifle au second. L’été touchait à sa fin, Florian Sotoca était arrivé sur le gazon de Bollaert-Delelis avec un brassard de capitaine serré autour du biceps gauche et avait fêté ça en arrosant le visage des différents curieux venus assister à l’un des épisodes les plus attendus de la cinquième journée de Ligue 1. Tout sauf égoïste, le numéro 7 local avait surtout accompagné le RC Lens sur les hauteurs d’une victoire probante face à un Lorient moins dominé dans les faits que dans les chiffres (5-2). Dans la foulée de son quatrième succès de la saison, Franck Haise s’était alors satisfait du jeu de son équipe, avait noté qu’il y avait certainement « de très beaux buts à revoir » et salué un adversaire « solide, bien organisé », qui n’avait pas « laissé beaucoup d’espaces » à ses Sang et Or. L’entraîneur de cet adversaire, Régis Le Bris, était, lui, venu causer « processus » et n’avait pas caché sa fierté de voir ses Merlus rester fidèles à leurs idées « malgré la lourde défaite » subie dans le Pas-de-Calais. Puis les deux hommes, potes depuis plus de vingt ans, s’étaient certainement retrouvés quelques minutes pour évoquer les premiers pas en Ligue 1 de Le Bris, les évolutions du projet de jeu de Haise, prendre des nouvelles des membres de deux familles qui étaient parties ensemble en vacances au Canada, en 2011. Jeudi soir, à l’occasion d’un huitième de finale de Coupe de France, ils se retrouvent de nouveau, à Lorient, où ils ont longtemps bûché de front – Régis Le Bris y a été nommé directeur de centre de formation en 2012 et a recruté Franck Haise pour entraîner l’équipe réserve du club un an plus tard – entre juillet 2013 et juillet 2017, juste après avoir déjà collaboré durant plusieurs années au Stade rennais. Le moment était parfait pour repartir aux origines du duo, un peu plus de 200 kilomètres plus à l’est. Direction Laval et la fin des années 1990.

Haise, l’art du saut au bon endroit, au bon moment

Lorsqu’il se pointe en Mayenne lors de l’été 1995, Franck Haise a 24 ans et vient d’accepter de mettre pour la première fois le nez hors de sa Normandie natale, où il s’est taillé un nom et un début de réputation en D2 avec le FC Rouen de Daniel Zorzetto. Son club formateur, au sein duquel il a commencé à encadrer les jeunes en parallèle de son quotidien de jeune pro, vient de déposer le bilan, et Denis Troch l’attend de pied ferme sur le banc du Stade lavallois. Troch, qui deviendra ensuite un œil plus que précieux pour le technicien lensois, a même une idée pour Haise : le replacer pour de bon latéral afin de profiter au mieux de ses qualités de teigne. « Lors de sa première saison au club, j’ai 18 ans et le week-end, je vais régulièrement voir les matchs en tribunes à Le Basser, replace Jean-François Rivière, coéquipier de Franck Haise à Laval jusqu’en 2000. Je découvre un nouveau Di Meco, le Di Meco de la Ligue 2. Franck a très vite été un défenseur impressionnant sur l’homme, un joueur qui ne faisait pas de fioritures, pas de crochets inutiles, tout en efficacité. » En plus d’apprivoiser un nouveau rôle dans un nouveau contexte, Haise va rapidement se faire un nouvel ami dans le 53 : Lilian Nalis, qui est aujourd’hui son adjoint au RC Lens et avec qui il va rapidement faire partie des leaders du vestiaire mayennais. Un vestiaire qui aime régulièrement faire la fête après les matchs, notamment au Donjon, qui va vivre une première saison enthousiasmante en 1995-1996, une seconde marquée par une demi-finale de Coupe de France, puis va ensuite vivoter dans le ventre mou de D2.

En 1995, j’ai 18 ans et le week-end, je vais régulièrement voir les matchs en tribunes à Le Basser. J’y découvre un nouveau Di Meco, le Di Meco de la Ligue 2 : Franck.

Jean-François Rivière

Arrivé aux manettes en 1997, Hervé Gauthier prolonge : « Avec Franck, j’ai vite trouvé dans le vestiaire un garçon extraverti, jovial, très pro et agréable à entraîner, avec beaucoup de joie de vivre, une top mentalité. Il avait aussi un humour très fin, très juste. Le joueur était aussi sérieux, avec un très gros volume de jeu, une très bonne endurance, mais il manquait de vitesse et d’explosivité pour pouvoir attraper le niveau supérieur. C’était un élément fiable, régulier, d’équipe, qui ne rechignait pas à mettre des tampons. » Débarqué trois ans plus tard chez les Tango, Laurent Viaud note aussi cette dualité entre un mec « aussi humain dans la vie qu’engagé sur le terrain, qui avait rarement un mot plus haut que l’autre, mais souvent celui qui tombait bien, au bon endroit, au bon moment ». C’est aussi ce type que Régis Le Bris, un poil plus jeune, va découvrir en posant ses valises en 1999 après que Paul Le Guen, son coach au Stade Rennais, a soufflé son nom à Gauthier. 

« Régis est un cérébral, un scientifique, un chercheur »

Le Bris est le personnage principal d’une tout autre histoire : celle d’un jeune espoir de Pont-l’Abbé, passé par les équipes de France de jeunes, lancé en D1 à Rennes par Michel Le Milinaire en novembre 1994, et à qui certains voyaient un très bel avenir. « J’ai connu Régis quand il avait 15 ans avec son frère, Benoît, et ils étaient très connus parce que très forts, très doués », rembobine Rivière. Mais que s’est-il passé au juste ? Tous ceux qui l’ont connu évoquent un élément intelligent, mais sont aussi unanimes sur les lacunes (vitesse, taille) du bonhomme pour percer au plus haut niveau. Hervé Gauthier résume : « Paul Le Guen m’avait dit : “Tu verras, pour un défenseur central, il ne va pas très vite, il n’est pas très grand, mais il a une grande intelligence dans son placement.” Malheureusement, son déficit était trop important, et à Laval, il s’est retrouvé en concurrence avec un joueur un peu plus guerrier, Aziz Ben Askar, un autre plus technique et plus expérimenté, Stéphane Moreau, et un jeune prometteur, Samuel Neva. En fait, Régis a toujours eu quelqu’un pour le mettre en position de second. » Malgré un statut sportif fragile, Régis Le Bris observe, consigne silencieusement ses observations dans un coin de sa tête et intrigue ceux qui l’entourent, ces derniers comprenant vite qu’ils ont dans le vestiaire un cerveau à part. « Régis est un cérébral, un scientifique, un chercheur », pose Gauthier, relayé par Laurent Viaud : « Il était plus introverti que Franck. Sa parole était très rare, donc quand il parlait, on était à l’écoute. Ce n’était pas quelqu’un de très volubile, mais tu sentais qu’il explorait. J’ai toujours eu cette sensation avec lui : il cherche des choses. Il cherche le pourquoi, le comment, il cherche comment améliorer les choses, et comme il n’a aucune barrière, qu’il n’a jamais fermé aucune porte, ça peut rapidement conduire à des discussions passionnantes. Maintenant, si on m’avait dit à l’époque qu’il resterait dans le foot, j’aurais eu des doutes parce qu’il passait son doctorat, parce qu’il était intéressé par plein de choses, parce qu’on avait parfois l’impression qu’il ne s’épanouissait pas totalement dans le foot… »

Régis n’était pas très volubile, mais tu sentais qu’il explorait, qu’il cherchait des choses : le pourquoi, le comment, la manière d’améliorer les choses…

Laurent Viaud

Autre élément fort du vestiaire devenu par la suite héros local, Guilherme Mauricio évoque, lui aussi, un Le Bris « calme, très réfléchi, avec qui tout était pesé. Ce n’était pas le défenseur bourrin. C’était un joueur technique, propre, mais discret. Aussi discret qu’intéressant. » Si discret que pas du genre à demander mille explications à la suite d’une non-titularisation. « Quand il le faisait, en revanche, il le faisait avec une conversation préparée, d’une manière très réfléchie », sourit Hervé Gauthier, qui a ensuite suivi de près l’évolution de deux anciens joueurs devenus deux techniciens de premier plan en Ligue 1 après avoir « eu la patience de l’apprentissage, l’intelligence de se frotter à différents niveaux afin de bonifier leur potentiel de réflexion sur le jeu. » S’il était peu évident à la fin des années 1990 de voir débouler un jour sur un banc de Ligue 1 Régis Le Bris, qui a arrêté sa carrière à 27 ans après une dernière pige en Belgique, imaginer Franck Haise s’installer sur un banc après avoir rangé ses crampons semblait plus évident pour ceux qui ont connu l’entraîneur du RC Lens. « Franck a toujours eu une justesse de mots, souligne Jean-François Rivière. Avec lui, c’était toujours des interventions dosées, à-propos. Joueur, c’était déjà un porteur, un grand agrégateur, et comme ce n’est pas quelqu’un qui s’enflamme, qui reste humble… » C’est aussi dans la Mayenne qu’Haise continuera de développer sa passion pour le vin, notamment auprès d’un caviste, Hubert Notais, installé dans le centre-ville de Laval, juste à côté de l’appartement du futur coach. « Dans le vestiaire, tu l’entendais souvent parler de cépages, il nous faisait parfois goûter quelques vins. D’ailleurs, on s’est revu l’été dernier et on a goûté des vins à l’aveugle ensemble, détaille Christophe Gardié, ancien portier du Stade lavallois aujourd’hui entraîneur des gardiennes de l’OL. Moi, j’étais juste goûteur, mais à Laval, il a rallié quelques joueurs à sa cause et c’est un symbole : c’est un homme qui aimante, Franck. Lorsqu’il acommencé sa carrière de coach au Stade mayennais, j’allais souvent voir ses matchs et tu voyais sa capacité à rassembler, ses idées… Ce qu’il fait aujourd’hui à Lens, mon club formateur et de cœur, c’est dans la lignée. » 

Gauthier appuie aujourd’hui dans le même sens au sujet de Le Bris : « Ce n’était, à la base, pas évident que Régis irait dans le coaching, mais au début des années 2000, j’ai été nommé à Wasquehal et Régis est arrivé un an après, en tant qu’éducateur, avec toute l’humilité qui le caractérise. Et là, j’ai vu : des séances toujours très réfléchies, très organisées, pas un cri, peu de bruit… Tu sentais la pédagogie, le côté professeur-élève, et j’ai commencé à me dire que tout ça était finalement évident. On l’a vu ensuite. » Devenus ensuite très proches lors de leurs années rennaises, Régis Le Bris et Franck Haise se sont connectés par une volonté commune de tenter des choses, d’oser, de « faire les druides » (Viaud) et de prendre, parfois, des décisions fortes, comme lorsque le premier a choisi de ne plus présenter d’équipe du FC Lorient dans le championnat U19 Nationaux pour favoriser la bascule U17-réserve des jeunes promesses du club. Début 2022, pour L’Équipe, Le Bris avait accepté de livrer quelques mots au sujet de son ami nordiste : « On sent bien aujourd’hui qu’il faut des techniciens capables de développer des joueurs, de dégager de la valeur sportive et donc financière. Des entraîneurs comme Franck, Julien Stéphan, Olivier Dall’Oglio, Pascal Gastien… Ce ne sont pas des managers à court terme. Quand on est carriériste, on peut avoir la tentation de nager en eaux troubles, de vouloir absolument se faire sa place. Franck a une vision de club, qu’il aime développer avec les autres. On ne réussit jamais seul. » Ces mots auraient aussi bien pu être sortis par Haise au sujet de son pote breton. Jeudi soir, les deux hommes auront en tout cas de nouveau l’occasion d’affronter leurs visions et leur projet de jeu respectif. « C’est quand même une belle histoire », glisse Hervé Gauthier. Elle ne fait que continuer.

Dans cet article :
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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB

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