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Franck Durix : « Les Japonais couraient derrière le bus pour s’entraîner »

Propos recueillis par Ronan Boscher
Franck Durix : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Les Japonais couraient derrière le bus pour s’entraîner<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Aujourd’hui brocanteur, Franck Durix a été le premier Français à fouler les pelouses japonaises sous les ordres d’Arsène Wenger et avec l’immense Gérald Passi à ses côtés ; les joues évidemment bien rouges. Retour avec le principal intéressé – qui a un temps fait de l’ombre à Pixsi Stojković – sur une expérience marquante qu’il aurait aimée plus longue.

Quelles sont les premières images qui vous reviennent de Nagoya ?Au centre d’entraînement, il y avait plein, mais alors plein de fleurs. Partout. C’était magnifique.

Aujourd’hui, leur centre d’entraînement, c’est le Toyota Sports Centre, c’est immense et il n’y a pas que des fleurs…Oui, ça a dû bien changer depuis. À mon époque, la pelouse était jaunie. Et bien, les Japonais, ils peignaient la pelouse en vert. Et ça tenait toute l’année. Ça ne tâchait même pas les chaussures. Je ne sais pas trop ce que c’était que cette peinture, mais ça faisait bien l’affaire.

On a l’impression que ce passage au Japon vous a particulièrement marqué…Oui, culturellement, c’est autre chose. C’était extraordinaire en terme de respect. Par exemple, une fois, mon ex-femme avait oublié son portefeuille dans un taxi à Tokyo. On appelle la compagnie de taxi. Elle a passé toute la nuit à le rechercher. Et elle l’a retrouvé. Dedans, il y avait 15000 francs. Et bien, ils étaient bel et bien là quand on l’a récupéré.

Pourquoi tu n’y es resté que si peu de temps ?Pour des raisons familiales. On jouait deux matchs par semaine, les déplacements, tout ça. Je n’étais pas souvent à la maison. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’y serais resté plus longtemps. C’est vraiment le regret de ma carrière. Je suis un peu amer quand même de me dire que j’ai raté quelque chose là-bas.

Dans les années 90, quelle notoriété vous aviez au Japon ?Franchement, les étrangers, on était considéré comme des dieux. Un truc incroyable ! Les gens, ils faisaient la queue au restaurant pour avoir des autographes ou des photos. Et je sais qu’à l’époque, Pixsi (ndla : Dragan Stojković), ça l’énervait, hein (rires) ! Il revenait de blessure et il n’était pas adulé comme il l’est aujourd’hui. Je commençais à prendre un peu le dessus sur lui, au niveau des supporters, de tout ça et c’est vrai qu’il l’a un peu mal pris. Là, il me disait : « Ben maintenant, je vais me bouger, alors. » Moi, je les comprenais, ces gens, parce que c’est quand même eux qui vous font un peu vivre. Signer des autographes, faire des photos, ce n’est pas grand-chose. Après, une centaine de personnes qui attendent, ça fait du monde.

La famille, elle subissait aussi cette notoriété ?J’avais des filles à l’époque, des blondes. Là-bas, ce n’est pas trop courant. Elles recevaient toujours des cadeaux par des gens qui passaient. Pour eux, c’étaient des poupées. C’est vrai qu’à un certain moment, c’était lourd pour elles.

Comment vous vous êtes retrouvés au Japon, au fait ?J’avais été élu meilleur joueur en France par France Football. J’étais aussi dans les Oscars de l’année. J’avais été présélectionné en équipe de France et j’avais demandé à partir. Je voulais me remettre un peu en question, avoir un nouveau challenge. Ça faisait 7 ans que j’étais à Cannes. J’avais atteint un certain niveau et, à un moment donné, t’as envie de bouger, un nouveau challenge. À Cannes, ça marchait, on était européen, j’étais capitaine, mais pas un seul club n’était intéressé. Jean-François Larios s’occupait de mes intérêts. Il n’était pas trop bien vu dans le milieu. Ça m’a porté un peu préjudice dans ma carrière.

Et Arsène Wenger est passé par là…Oui, la seule touche que j’avais. Au mois de novembre 1994, il m’appelle et me dit : « Je vais tenter l’aventure au Japon, est-ce que tu veux venir avec moi ? » Arsène, il m’a toujours apprécié. Quand il entraînait Monaco et que j’étais à Cannes, il avait essayé de me recruter, mais le président Campora voulait des noms. Et Durix, ça ne le faisait pas. Il a fallu qu’Arsène aille au Japon pour que ça se fasse. Et l’aventure japonaise me tentait vraiment.

Pour le contrat ?C’était de belles conditions, oui. Mais par rapport à maintenant, c’était de la rigolade. Le Japon, c’était surtout la seule touche que j’avais.

Quelles spécificités avaient les footeux japonais ?Ce sont des bosseurs, des costauds ! Je me souviens qu’une fois, on s’entraînait à 5 kilomètres de l’hôtel. Et ben, t’en avais qui couraient derrière le bus pour rentrer à l’hôtel. Après l’entraînement. C’était pas pour faire les kakous. Ils avaient envie de faire plus. C’était vraiment impressionnant. Et pas que dans le foot. Les PDG, les salariés, ils restaient bosser jusqu’à 2-3 heures du matin, ils dormaient même parfois sur place. Il fallait que ça avance, qu’il y ait des résultats. Bon, c’est vrai aussi que le taux de suicide était élevé. Beaucoup de pression, beaucoup de tout. Mais bon, j’ai vraiment apprécié, c’est une autre culture.

Ils avaient bien des défauts, ces Nippons, quand même ?Ouais, ils étaient un peu naïfs. Tu faisais quinze fois la même feinte, ils se faisaient toujours avoir. Il a fallu leur expliquer. Arsène, il a perdu quelques cheveux blancs là-bas.

Ça a changé depuis, non ?Oui. J’ai l’impression qu’au niveau européen, ils commencent à rentrer dans le moule. Parce qu’à l’époque, c’était vraiment pas évident. Les joueurs étrangers, il y en avait beaucoup qui faisaient du cinéma. Sur des tacles, bah, les Japonais ils s’excusaient dix mille fois. Depuis, ils ont appris. Ils sont à des années-lumière de leur niveau des années 90.

Le foot au Japon, c’est aussi les traducteurs…Ça aussi, ce n’était pas évident. Avec Arsène à Nagoya, le traducteur ne connaissait pas vraiment le football. Donc imaginez… Et puis au Japon, les joueurs ou les autres personnes, s’ils ne connaissent pas la langue parfaitement, ils ne parlent pas. Parce qu’ils savaient se débrouiller en anglais quand même.

On entend souvent que c’est une culture où on n’aime pas perdre la face…Oui. Là-bas, il ne fallait pas montrer ses émotions. Ou alors, dans un autre genre, il ne faut pas se moucher en public. Interdit. C’est comme ça. Mais bon, je m’y suis senti quand même comme chez moi, comme je vois la vie. Pour moi, c’était un peu ça le football : la simplicité, le respect pour ses partenaires, l’équipe adverse, pour l’entraîneur, pour tout le monde. Regardez, en France, on ne peut pas laisser la fenêtre de sa voiture ouverte. Alors que là-bas, oui. Les gens sont ultra gentils, plus que corrects.

Il y avait des stars dans le football japonais à cette époque ?Pas vraiment. Nakata était parti en Italie. Un ou deux joueurs étaient en France. Mais c’est tout. À l’époque, il y avait surtout beaucoup de Brésiliens : Leonardo, Carlos Mozer. Ce n’était pas très loin de chez eux. Après, dans les étrangers, faut avouer qu’il y en avait beaucoup qui venaient au Japon juste pour prendre de l’argent.

Vous suivez encore le foot japonais ?Je regarde toujours où en est Nagoya. Je connais aujourd’hui quelques joueurs de la sélection, mais pas beaucoup. Personnellement, j’aime bien leurs profils. Ils sont vifs, ils sont biens. Au milieu de terrain, ils sont pas mal. L’équipe de France devra se méfier avec ce football nouveau. Ils ne sont jamais fatigués. Ce sont des guerriers, des samouraïs, même s’ils ne sont pas armés comme tels. Ils ont vachement progressé. Après faut voir, avec les petits soucis qu’ils ont chez eux, le nucléaire, les tremblements de terre, on peut pas dire qu’ils soient gâtés. Je me souviens, à l‘époque, il y avait des tornades, tout ça. Et ben, ils n’arrêtaient jamais le match. Le stade était complet du début à la fin de l’année. Les spectateurs disaient « Non, non, on vient. Si on doit mourir, au moins on mourra sur le stade en train de regarder le match. » Si ça doit arriver, et ben ça arrive. C’était leur idée.

Vous faites quoi aujourd’hui ?Je travaille avec ma femme qui tient une brocante à Grasse. Il y a pas mal de touristes, pas mal de Japonais. Et ils sont surpris quand je parle leur langue. Je leur explique que j’ai joué à Nagoya. Là, ils sortent les appareils photos et c’est parti. Incroyable. Après, je leur dis à chaque fois de faire attention. En France, ils sortent leur porte-monnaie comme ça, ils sont naïfs.

Vous en avez fini avec le football alors…Non, j’ai des contacts avec un entraîneur qui me plaît beaucoup : Jean-Marc Guillou. Il a plein d’académies à l’étranger, en Algérie, au Sénégal, en Thaïlande, au Viet-Nam. Il devait en ouvrir une en Inde, mais ça ne s’est pas fait. Ça m’aurait bien plu. En décembre dernier, je suis parti au Mali pour voir ce qu’il faisait. C’était un football comme je l’aime. Là-bas les joueurs, on les suit de 12 jusqu’à 18 ans. Pour les former à un football simple, comme le Barça quoi. Les petits jouent pieds nus. Quand ils atteignent un certain niveau, on leur offre les chaussures. Le projet me bottait, mais bon, le Mali c’est pas trop ça en ce moment. J’attends une autre destination. J’ai un traducteur japonais aussi qui me connaît bien, qui serait intéressé par ce genre de centre. Au Japon, le problème, c’est que les parents des jeunes doivent payer cher pour les centres. Avec Guillou, il y a des investisseurs et les familles n’ont rien à payer. J’espère que ça pourra se faire l’année prochaine.

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Propos recueillis par Ronan Boscher

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